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La soif d’apprendre

Femme du Métis Nation of Ontario jouant du violon (Photo : Métis Nation of Ontario)

Photo : Femme du Métis Nation of Ontario jouant du violon (Photo : Métis Nation of Ontario)

Par

France Picotte

Le patrimoine immatériel

Published Date: sept. 08, 2017

Récemment, la Fiducie du patrimoine ontarien s’est entretenue avec France Picotte, présidente de la Nation métisse de l’Ontario, afin de discuter du lien entre la langue et la culture, et de son importance sur le sentiment d’identité.

« À mon avis, perdre une langue, c’est perdre une grande partie de sa culture, car les mots et les expressions [d’une] langue – par exemple en michif, notre langue – ne sont pas simplement que cela. Oui, ce sont des mots... Mais c’est aussi un langage corporel. Lorsqu’on perd cela, on perd un grand pan de sa culture. Ainsi, pour faire vraiment l’expérience de sa culture, la langue de ses ancêtres, reflétée dans les histoires racontées, est très importante. C’est le lien – ce qui fait vraiment partie de qui nous sommes. La langue est davantage qu’un langage : c’est aussi l’expression de la culture, de l’histoire, et tout ce qui vient l’éclairer. »

Interrogée à savoir comment elle a appris le michif et comment cette langue est transmise aujourd’hui, Mme Picotte répond : « Le michif en Ontario pose un cas unique. Notre langue nous a été enseignée par nos parents et nos grands-parents. C’est ainsi qu’elle nous est parvenue. Être Métis n’a guère été à la mode pendant bien longtemps en Ontario. On nous considérait comme étant trop indiens, trop français ou trop catholiques. Je me souviens que ma grand-mère me disait de ne pas en parler en public. Je risquais selon elle d’être ostracisée. On aurait pu me rejeter. C’est donc en famille que nous parlions notre langue. »

« Notre langue n’a pas été transmise officiellement à la génération suivante en Ontario. Certaines familles refusaient que leurs enfants la parlent. Ils envoyaient leurs enfants à l’école française, et ceux-ci subissaient des moqueries et étaient ridiculisés en raison de leur manière de parler. Des générations ont perdu une partie de cette langue, mais beaucoup se souviennent d’avoir entendu leurs parents et leurs grands-parents la parler. Lorsque nous avons l’occasion de la parler en public, des gens viennent toujours nous voir, disant : “Oh, je me souviens. Je ne connais pas la langue, mais je me souviens que mes grands-parents ou mes parents la parlaient.” Nous avons beaucoup à faire pour pouvoir la transmettre. »

Groupe du Métis Nation of Ontario marchant (Photo : Métis Nation of Ontario)

Photo: Groupe du Métis Nation of Ontario marchant (Photo : Métis Nation of Ontario)

Groupe de gens du Métis Nation of Ontario dansant (Photo : Métis Nation of Ontario)

Photo: Groupe de gens du Métis Nation of Ontario dansant (Photo : Métis Nation of Ontario)

Abordant certains des défis auxquels fait face la langue michif dans l’Ontario d’aujourd’hui, Mme Picotte explique : « Le michif parlé en Ontario est un peu différent de celui parlé au Manitoba [ou] en Saskatchewan. Les gens veulent apprendre le michif, mais ils ne savent pas que le michif d’ici n’est pas le même que celui du Manitoba ou de la Saskatchewan. Je crains que nous perdions notre langue au profit de celle parlée en Saskatchewan. La langue michif telle que parlée en Ontario est sage, magnifique et devrait être (et est) respectée en tant que langue autochtone.

France Picotte et la Nation métisse de l’Ontario étudient la langue michif en Ontario et travaillent à consigner et à analyser les nombreux dialectes présents dans la province. Avec l’aide d’un groupe de travail et d’un linguiste, elles créent des petits recueils et des enregistrements audio accessibles en ligne. Mme Picotte faisait remarquer qu’« ’il y a une soif d’apprendre » la langue. « Nos jeunes veulent l’apprendre. Nos adultes veulent l’apprendre. Nous ne voulons pas rater cette chance. La soif d’apprendre notre langue est incroyable. Le fait que nous la parlions de plus en plus en public a également une incidence. La possibilité de l’utiliser en public sans jugement, au moins publiquement, est extraordinaire ».

Et de conclure : « La crainte d’être identifiés comme Métis demeure. Il nous faut encore être prudents. Nous devons quand même nous assurer que tous puissent utiliser publiquement leur langue et leur culture dans un environnement sûr. Je crois que, pour la majorité, la fierté est de plus en plus présente. Il est désormais plus facile de dire “Hé! je suis Métis” ».