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Alors que l’été s’estompe…

« La guerre est déclarée! » Scène ayant eu lieu devant les bureaux du Toronto Star à minuit, le 4 août 1914. Photo : Archives de l’Université Queen’s, fonds A.A. Chesterfield.

Le patrimoine militaire

Date de publication : févr. 14, 2014

Photo : « La guerre est déclarée! » Scène ayant eu lieu devant les bureaux du Toronto Star à minuit, le 4 août 1914. Photo : Archives de l’Université Queen’s, fonds A.A. Chesterfield.

L’Europe déborde d’énergie lorsque le printemps de 1914 cède la place à l’un des étés les plus beaux et les plus chauds de mémoire d’homme. Cependant, cette énergie est en majeure partie alimentée par la tension.

Les coutumes et modes de vie anciens se heurtent à l’ère moderne. La mondialisation a rapidement gagné de plus en plus de terrain au cours des décennies passées; les structures de gouvernance existantes sont mal équipées et peinent à tenir le rythme. Les nouvelles structures sociales et politiques sont en cours d’établissement et les identités nationales en cours de redéfinition. Certains envisagent un futur différent alors que d’autres restent fermement attachés aux modèles traditionnels qui ont permis d’instaurer une certaine stabilité et d’orienter l’Europe pendant près d’un siècle de paix relative. Tandis que les pays et empires européens s’efforcent de s’adapter, de contenir et d’atténuer ces forces, les tensions montent entre eux et en leur sein.

L’Autriche-Hongrie, notamment, lutte pour maintenir l’unité de son empire. Une succession complexe de confrontations et de machinations diplomatiques est déclenchée le 28 juin, lorsque l’héritier du trône, l’archiduc François-Ferdinand, et son épouse sont assassinés à Sarajevo par un jeune nationaliste serbo-bosniaque. Ces événements, par ricochet, impliquent un enchevêtrement nouvellement formé d’alliances qui voit ce qu’on appelle la Triple Entente (France, Russie et GrandeBretagne) opposée aux puissances centrales (Allemagne et Autriche-Hongrie).

Bureau de recrutement de l’armée, 5 août 1914, Toronto. Source : Toronto Star.

L’assassinat fournit à l’Autriche-Hongrie le prétexte qu’il lui fallait pour étouffer la menaçante révolte slave qui gronde au sud de l’empire; ce dernier sollicite l’aide de l’Allemagne pour riposter contre les Serbes, qu’il soupçonne d’être à l’origine de la mort de l’archiduc. L’Allemagne est disposée à accorder le soutien désiré, en partie par crainte que si l’Empire austro-hongrois venait à s’effondrer, elle serait cernée par les puissances de la Triple Entente.

En Ontario, les journaux et leurs lecteurs suivent avec intérêt les événements qui surviennent sur le continent européen. Cependant, c’est la menace de guerre civile en Irlande qui domine le débat public et semble être l’affaire la plus pressante en juin et juillet 1914. Toutefois, le sujet sera vite éclipsé par les événements se déroulant sur le continent.

Dès la fin du mois de juillet, les choses ont pris un tour dangereux en Europe. Après l’échec de la Serbie à se plier à un impossible ultimatum, l’Autriche déclare la guerre le 26 juillet. L’Allemagne et la Russie sont entraînées dans le conflit et rapidement, en raison d’efforts diplomatiques bâclés, d’un manque de dialogue, de soupçons, de peur, d’orgueil et de jalousie, la France et la GrandeBretagne sont également impliquées. En l’espace de quelques jours, les principales puissances européennes se préparent à faire la guerre.

Dans toute l’Europe, les foules se massent dans les rues et les places, entonnant des chants patriotiques, écoutant des discours et partageant des nouvelles. Dans la plupart des nations concernées, des nationalistes radicaux exacerbent la rhétorique et le ressentiment, exerçant une pression supplémentaire sur les dirigeants politiques pour qu’ils se montrent déterminés et combatifs. Nombreux sont ceux qui, adhérant aux théories fumeuses du darwinisme social, pensent que la guerre va anéantir les nations et les maillons les plus faibles de l’Europe et ainsi s’avérer régénératrice. L’opinion publique devient un facteur de plus en plus important dans une Europe en pleine démocratisation. Mais en l’occurrence, cela contribue en fait à faire pencher la balance en faveur de la guerre.

Les mobilisations qui ont lieu durant les premiers jours du mois d’août sont difficiles à annuler et limitent sérieusement le laps de temps dont disposent les décisionnaires pour trouver des solutions de rechange tandis que la crise s’intensifie. Toutefois, comme les historiens l’ont récemment souligné, la guerre n’était pas inévitable; toutes les nations impliquées ont eu des occasions de désamorcer la situation.

Le 2 août, après avoir exigé l’interruption de la mobilisation en Russie, l’Allemagne lui déclare la guerre, puis, le lendemain, à son alliée la France. L’Allemagne envahit ensuite la Belgique, contraignant la Grande-Bretagne à entrer en guerre le 4 août à minuit. La déclaration de guerre de cette dernière signifie que ses colonies, y compris le Canada, sont également en guerre.

Au début, l’Ontario et le Canada tout entiers sont balayés par un sentiment d’excitation à l’idée de servir la mère patrie et de prendre part à ce conflit mondial. Les foules se réunissent dans les villes et villages de tout l’Ontario, entonnant le « Dieu protège la Reine » et « Rule Britannia ». Certains prononcent des serments patriotiques, et condamnent ou calomnient les ennemis qui sont des barbares dégénérés qui menacent la liberté, la stabilité et, paradoxalement, la paix. D’autres estiment simplement qu’il en va de leur devoir de défendre le pays et l’empire auxquels ils appartiennent.

De semblables assemblées se tiennent à Paris, Saint-Pétersbourg, Vienne, Berlin et Munich, où le jeune Adolf Hitler tombe à genoux et remercie le ciel qu’il lui soit permis de vivre à une telle époque. La naïveté, le chauvinisme et le nativisme affichés durant cette période peuvent paraître difficiles à comprendre en sachant que dans les années qui vont suivre, des millions de personnes vont perdre la vie et un nombre incalculable d’autres vies seront dévastées tandis que se déroulera le plus grand massacre que le monde ait jamais connu.

Au cours des jours qui suivent la déclaration de guerre, les quartiers généraux de la milice sont pris d’assaut partout en Ontario par des milliers de jeunes hommes réclamant à cor et à cri d’être enrôlés. En fait, nombre d’entre eux doivent être renvoyés. Cependant, ceux qui parviennent à s’engager sont formés dans les manèges militaires locaux avant d’être envoyés à Valcartier, au Québec, où se regroupe et s’entraîne le premier contingent du Corps expéditionnaire canadien, avant d’embarquer pour l’Angleterre le 1er octobre. Après des mois d’instruction dans la boue de Salisbury pendant l’un des hivers les plus pluvieux depuis des décennies, les troupes canadiennes prennent avec empressement le chemin de la France. Sans trop savoir ce qui les attend.