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Points de vue sur la guerre de 1812

Bataille des hauteurs de Queenston, 13 octobre 1812 (mort de Brock) », John David Kelly, 1896. Bibliothèque et Archives Canada 1954-153-1.

Photo : Bataille des hauteurs de Queenston, 13 octobre 1812 (mort de Brock) », John David Kelly, 1896. Bibliothèque et Archives Canada 1954-153-1.

L’honorable David C. Onley, lieutenant-gouverneur de l’Ontario (Photo : Philippe Landreville, 2007)

Photo : L’honorable David C. Onley, lieutenant-gouverneur de l’Ontario (Photo : Philippe Landreville, 2007)

Par

David C. Onley, Martin O’Malley, Harvey McCue et Charles Pachter

Le patrimoine militaire

Published Date: févr. 17, 2012

Un point de vue britannique, par l’honorable David C. Onley

2012 s’annonce comme une année extraordinaire pour tous les Canadiens et Canadiennes. Nous célébrerons à la fois le bicentenaire de la guerre de 1812 et le Jubilé de diamant de Sa Majesté la Reine. Ces deux événements soulignent les valeurs fondamentales qui ont permis de définir l’identité de notre pays.

Il y a deux cents ans, nous avons pris les armes pour défendre le principe d’un gouvernement fondé sur les traditions parlementaires britanniques plutôt que sur les valeurs républicaines. Deux siècles plus tard, notre ancien ennemi est devenu un allié solide. En tant que nation entièrement indépendante, nous célébrons les 60 ans de règne de Sa Majesté la Reine.

L’histoire du Canada se caractérise par la recherche de vertus communes chez des peuples distincts. Malgré des désaccords fréquents, les Canadiennes et Canadiens ont toujours été prompts à défendre leurs valeurs communes face aux dangers venus d’ici et d’ailleurs. Dans le même temps, la Couronne a joué un rôle déterminant dans la protection de notre processus démocratique.

La réponse du peuple canadien face au défi lancé par les Américains en 1812 a montré la volonté des Autochtones, des francophones et des anglophones de défendre ces valeurs communes et de réaffirmer leur allégeance à la Couronne. Quelques 55 années avant la Confédération, le sens du devoir exceptionnel des Canadiennes et Canadiens et leur amour pour ce pays naissaient dans le sang et la guerre. Notre pays tel qu’il est aujourd’hui a commencé à se construire il y a bien longtemps.

En tant que lieutenant-gouverneur, j’ai pu constater directement ce sens du devoir aux quatre coins de notre province diversifiée. C’est un grand privilège d’honorer les innombrables bénévoles qui consacrent du temps et de l’énergie à nos collectivités pour créer une qualité de vie inégalée.

Nos valeurs solidement enracinées, qui se sont renforcées au fil des siècles, vont au-delà de la simple promotion de la tolérance et visent également à comprendre et à accepter la différence. Cette philosophie engendre des bénéfices immédiats pour chacune et chacun d’entre nous et revêt une importance croissante dans un monde de plus en plus diversifié et interconnecté.

À l’issue de la guerre de 1812, aucun territoire n’a changé de mains et aucun gouvernement n’a été renversé. Pour les Canadiennes et Canadiens, ceci a permis de créer une dynamique en faveur de l’indépendance nationale. Le pays allait confirmer son allégeance à la Couronne, tout en devenant une nation véritablement indépendante.

Nous continuons aujourd’hui de tenir notre rang sur la scène internationale, mais dans le même temps, fiers de notre appartenance au Commonwealth, nous célébrons le 60e anniversaire du règne de Sa Majesté la Reine.

En outre, pendant cette année du bicentenaire, nous célébrerons le fait que la frontière entre le Canada et les ÉtatsUnis – la plus grande au monde – reste démilitarisée. Nous montrons ainsi au monde entier que les ennemis d’hier peuvent devenir de bons amis et que certains différends peuvent être résolus pacifiquement.

Martin O’Malley, gouverneur du Maryland

Un point de vue américain, par Martin O'Malley

Jamais le Congrès américain n’a tenu un vote aussi serré pour déclarer une guerre qu’à l’occasion de celle menée contre la Grande-Bretagne en 1812. Les représentants du Maryland – et ses habitants de façon générale – étaient tout aussi divisés.

Dépendant du commerce maritime, ils ressentaient peut-être plus fortement que la plupart de leurs compatriotes le poids de l’un des facteurs déclencheurs de la guerre, l’enrôlement forcé des marins américains par la Royal Navy – soit plus de 10 000 hommes à l’époque où débute le conflit. Deux habitants du Maryland travaillant sur le USS Chesapeake ont ainsi été notoirement enrôlés de force en 1807 – le souvenir de cet enrôlement hante cette génération tout au long de la guerre, et représente pour elle l’équivalent du massacre de Boston.

Après la déclaration de guerre, le Maryland enregistre sa première victime en juillet 1812 pendant les émeutes de Baltimore, qui éclatent entre des factions favorables à la guerre et d’autres qui lui sont opposées. Les passions s’échauffent dans le Maryland et la région de Chesapeake tout au long du conflit.

Même si les combats entre Américains et Britanniques ne commencent dans le Chesapeake qu’au printemps 1813, le Maryland devient la scène d’une activité militaire qui dépasse en intensité celle qui règne dans tous les autres États pendant les 18 mois suivants, ce qui correspond à la période que l’on appelle « la terreur du Chesapeake » (Terror on the Chesapeake). L’incroyable succès de la défense contre l’armée de terre et la marine britanniques à Baltimore en septembre 1814 – soit tout juste deux semaines et demie après l’incendie de la President’s House et du Capitol – est un tournant majeur pour la fin de la guerre. La défense de Baltimore est en grande partie composée de miliciens – des citoyens-soldats – de personnes qui ne sont pas nées aux États-Unis et d’Afro-américains libres et esclaves.

La bataille de Baltimore a offert aux États-Unis deux de ses plus importants symboles – son drapeau, la bannière étoilée américaine (aujourd’hui, l’objet qui attire le plus grand nombre de visiteurs au National Museum of American History à Washington, D.C.) et son hymne national. Elle a contribué dans le même temps à créer un nouveau sens de l’identité américaine.

La guerre a dévasté le Maryland. On estime que 4 000 esclaves et leurs familles – un capital humain important pour l’économie de l’État – sont partis avec les Britanniques pour s’installer en NouvelleÉcosse, à Trinidad ou ailleurs. Ces communautés délocalisées existent encore aujourd’hui dans des villes comme Halifax. Le sud du Maryland, en particulier, a été mis à feu et à sang et devra attendre le XXe siècle avant de retrouver sa prospérité d’avant-guerre. Les riches marchands de Baltimore avaient en effet coulé leur flotte pour protéger le port. Néanmoins, le succès de la défense contre les Britanniques – dès le point du jour – a inspiré un désir collectif et immédiat de commémorer ces événements, lequel perdure depuis maintenant deux siècles. Defenders Day est le plus ancien jour férié au Maryland.

Les esprits raisonnables débattront pendant encore des siècles des causes et des conséquences de la guerre de 1812. Les points de vue varieront d’une région à une autre, d’une nation à une autre – mais, au bout du compte, dans la passion commune que nous éprouvons à l’égard de l’histoire de la guerre de 1812 s’expriment notre amour de la terre, la célébration de l’unité dans la diversité et notre survie devant l’adversité.

Harvey McCue

Harvey McCue

Un point de vue des Premières nations, par Harvey McCue

Quel a été le rôle des Premières nations pendant la guerre? Les Premières nations ont joué le rôle d’alliés essentiels et stratégiques, et ont davantage soutenu les Britanniques que les Américains. La GrandeBretagne avait désespérément besoin des ressources supplémentaires offertes par les Premières nations, tant pour la stratégie défensive qu’offensive. Les deux camps valorisaient l’efficacité des stratégies militaires des Premières nations, et les guerriers autochtones étaient réputés être des combattants redoutables du fait de leur résistance à l’invasion de leurs terres traditionnelles.

Quelles sont les Premières nations qui ont participé?
De nombreuses Premières nations ont combattu dans un camp comme dans l’autre. Du côté britannique, les plus célèbres combattants sont Tecumseh, chef important de la nation Shawnee, et son demi-frère, le prophète Tenskwatawa. Ils ont fondé une confédération temporaire constituée de guerriers des Premières nations de Wyandot, Pottawatomie, Ojibwe, Ottawa (Odawa), Creek, Winnebago et Kickapoo ainsi que de leurs propres partisans Shawnee.

Après avoir initialement choisi la neutralité, la confédération iroquoise (les Six-Nations) a fini par participer en apportant son soutien à chacun des deux camps, par l’intermédiaire des guerriers de la rivière Grand sous le commandement de John Norton et de Joseph Brant, des guerriers de la baie de Quinte et des membres de St-Régis, de Kahnawake et de Kanesatake dans le Bas-Canada.

Les guerriers Mississauga et Ojibwe des lacs Simcoe, Couchiching, Muskoka et Rice dirigés par les chefs Yellowhead, Snake, Assaince et Mesquakie ont défendu Fort York et se sont battus aux côtés des guerriers menés par Assiginack et Shingwaukonse, chefs Odawa et Ojibwe.

Quant au camp américain, il bénéficie du renfort des guerriers des nations Choctaw et Creek. Les guerriers des Six-Nations des nations Seneca, Onondaga, Oneida et Tuscarora, parmi lesquels beaucoup résidaient dans les réserves d’Alleghany, de Cattaraugus et de Cornplanter dans l’actuel État de New York, se rallient aux États-Unis.

Pourquoi ont-ils combattu?
Pour Tecumseh et Tenskwatawa, la guerre représentait une nouvelle occasion de défendre leurs terres traditionnelles dans les États actuels de l’Illinois, de l’Indiana, de l’Ohio et du Michigan face aux invasions de plus en plus nombreuses des Américains, après une première campagne lancée en 1763 sous l’égide du chef Odawa Pontiac, puis de nouveau en 1791 par le prédécesseur de Tecumseh, le chef Shawnee Blue Jacket, et son allié Miami, Michikinikwa.

En réalité, la confédération de 1812 de Tecumseh a été le chant du cygne des Premières nations en Amérique du Nord pour protéger un vaste territoire traditionnel non envahi par l’étranger.

Pour les Iroquois favorables à la cause britannique, la guerre de 1812 a permis de se venger de la destruction de leurs communautés par les Américains dans l’État de New York – campagne ayant commencé en 1779 et s’étant poursuivie après la Guerre d’indépendance aux États-Unis. Cela a également permis de renouveler leur allégeance à la Couronne britannique, qui remontait à la guerre de Sept Ans et à la proclamation royale de 1763.

Pour les guerriers et chefs Mississauga, Ojibwe et Odawa, de même que pour les chefs Assiginack (Blackbird) et Shigwaukonse (Little Pine) du HautCanada, l’effort de guerre a permis d’affirmer leur loyauté à la Couronne.

Sans le soutien des Premières nations dans de nombreux conflits clés de cette guerre, l’Ontario n’existerait pas aujourd’hui. Les chefs et guerriers des Premières nations ont combattu dans des batailles décisives, à Queenston Heights, Beaver Dams, Stoney Creek et à Fort George, lors de la bataille pour la récupération du fort.

Charles Pachter

Un point de vue canadien, par Charles Pachter

Célébrer l’anniversaire d’événements militaires – dans le cas présent, une guerre datant de deux siècles – peut s’avérer problématique. Les souvenirs estompés et le révisionnisme historique enjolivent souvent les sombres réalités des conflits anciens.

La guerre qui a fait rage entre 1812 et 1815 peut être considérée comme la seconde guerre d’indépendance américaine. Cette fois-ci, elle voit la jeune nation américaine composée de 18 États chercher hardiment à s’étendre sur les territoires détenus par les Autochtones et les colons britanniques. Beaucoup pensent qu’il sera aisé de vaincre les Britanniques, étant donné que ces derniers ont déjà fort à faire avec la guerre en Europe. Les colonies britanniques du Haut-Canada et du Bas-Canada, de Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick comptent alors quelque 75 000 habitants, alors que la population américaine, en plein essor, comprend huit millions de personnes.

Mais la victoire n’est pas aussi facile qu’on pouvait le penser. La guerre, se déroulant principalement sur un sol qui fait aujourd’hui partie du Canada, est ancrée dans une sombre et effroyable réalité. Ce n’est pas l’image qui en ressort si l’on se fie aux reconstitutions de bataille présentant aujourd’hui les soldats d’il y a 200 ans. Dans tous les sites historiques, on met surtout l’accent sur les uniformes éclatants, les fusils rutilants, les bottes étincelantes, les tentes triangulaires d’une blancheur immaculée – on insiste plus sur la tenue vestimentaire que sur la souffrance et les horreurs de la bataille.

Or, la souffrance et les horreurs étaient bien réelles. Les soldats risquaient tout autant de succomber d’une maladie que d’une blessure de guerre. Sur fond de moustiques et de malaria, les batailles étaient ponctuées d’exactions, de pillages, de vols, de saccage, mais aussi de scalpations, d’éviscérations et d’amputations. Sans parler des famines. Aux yeux des premiers colons, les atrocités de la guerre incluaient la destruction de propriétés privées, le vol de bétail, l’incendie de granges et de foyers, le pillage de céréales, de légumes et de vêtements.

Une fois le conflit terminé, aucun territoire n’avait changé de main. Deux nations émergentes – des cousins de race blanche, bon nombre d’entre eux anciens compatriotes, tant à l’attaque qu’à la défense – se sont entretuées pour le pouvoir et la terre. Les véritables perdants, bien sûr, ont été les peuples des Premières nations.

Après la victoire britannique contre Napoléon, des milliers de soldats aguerris se sont joints aux colonies britanniques d’Amérique du Nord. Qui sait comment les choses auraient tourné si Napoléon n’avait pas perdu? Le Haut-Canada, l’actuel Ontario, serait-il devenu un immense État américain?

Dans les mois à venir, il va être beaucoup question de ce conflit qui a finalement mis un terme à la lutte hargneuse entre deux nations voisines en devenir. Il ne faut pas oublier que ces sacrifices insensés si nombreux sont à l’origine de la coexistence pacifique qui règne entre nos deux grandes démocraties au XXIe siècle. Réjouissons-nous de cette paix que nous avons tendance à considérer comme allant de soi.