Partager:

Prières, pétitions et protestations : la controverse à propos du Règlement 17

Manifestation d’écoliers contre le Règlement 17, devant l’école Brébeuf, square Anglesea dans la basse-ville d’Ottawa, à la fin janvier ou au début février 1916/[Le Droit, Ottawa]. Université d’Ottawa, Fonds Association canadienne-française de l’Ontario (C2), Ph2-142a

Le patrimoine francophone

Date de publication : mai 18, 2012

Photo : Manifestation d’écoliers contre le Règlement 17, devant l’école Brébeuf, square Anglesea dans la basse-ville d’Ottawa, à la fin janvier ou au début février 1916/[Le Droit, Ottawa]. Université d’Ottawa, Fonds Association canadienne-française de l’Ontario (C2), Ph2-142a

En 1912, après une enquête sur l’état des écoles bilingues en Ontario, le gouvernement provincial du premier ministre conservateur James Whitney fait adopter le Règlement 17, lequel introduit de nouvelles restrictions très strictes concernant l’utilisation du français comme langue d’enseignement.

Le surintendant provincial, Frederick Merchant, fait état de graves lacunes dans ces écoles; il met notamment en évidence la prépondérance d’instructeurs non qualifiés, dont une grande partie n’est pas capable de parler un bon anglais. Le Règlement 17 restreint l’utilisation du français aux deux premières années du cycle élémentaire, tandis que les élèves des années suivantes doivent se contenter d’une leçon quotidienne d’une heure par classe. Dorénavant, l’anglais doit être la langue d’enseignement dans toutes les classes de la province.

Ce règlement dans le domaine de l’éducation fait suite à des réformes similaires entreprises dans les Territoires du Nord-Ouest et au Manitoba à la fin du XIXe siècle. À l’ère de l’impérialisme britannique, la plupart des Canadiens anglais croient en la vision de Dalton McCarthy pour le Canada : « Une langue, un drapeau et un pays ».

Réunion de prêtres canadiens français locaux au presbytère de la paroisse Our Lady of the Lake, qui sera plus tard le théâtre d’une émeute. Au milieu de la rangée inférieure, parmi les prêtres, se trouve Henri Bourassa, le célèbre leader nationaliste canadien français de Montréal. (Source : Centre de recherche en civilisation canadienne-française, Université d’Ottawa)

Les communautés francophones de l’Ontario, cependant, n’acceptent pas cette réforme de l’éducation en silence. À Ottawa, leur principale organisation culturelle, l’Association canadiennefrançaise d’éducation de l’Ontario (ACFEO), exhorte ses compatriotes à résister au Règlement. Le corps enseignant est encouragé à aller au-delà de l’heure de français prescrite, tandis que les parents incitent leurs enfants à quitter l’école à l’arrivée de l’inspecteur des écoles de la province, un protestant, qu’ils considèrent comme un intrus dans leurs établissements catholiques.

En octobre 1913, lorsque l’inspecteur visite une école dans le village de Pain Court, les enfants quittent l’école en chantant « O Canada » ce qui l’empêche d’effectuer une inspection en règle. Des scénarios semblables se reproduisent à travers la province, non sans conséquences. ÀTilbury, par exemple, lorsque l’inspecteur arrive dans une école vide, il annonce que le conseil local ne recevra pas sa subvention provinciale annuelle.

L’émotion suscitée par la situation atteint parfois un point critique et entraîne même des actes de violence. Par exemple, pendant la campagne électorale provinciale de 1914, lorsque le candidat conservateur, le colonel Paul Poisson, organise un rassemblement à McGregor, un groupe de jeunes hommes pousse des cris et lance des insultes à l’endroit de Poisson depuis l’extérieur de la salle. Ne parvenant pas à interrompre la réunion, certains hommes commencent à jeter des pierres à travers les vitres. Au milieu des bruits de vitres brisées, Poisson poursuit son discours en défendant la politique du gouvernement jusqu’à ce qu’un projectile – un œuf pourri – vienne s’écraser sur son épaule, mettant abruptement fin au rassemblement. Les critiques très virulentes contre le Règlement 17 entraîneront la défaite de Poisson dans la circonscription.

En 1916, à l’École Guigues d’Ottawa, un groupe de mères forme une chaîne humaine autour de leur école pour empêcher la police d’expulser deux enseignants récalcitrants. Lorsque les agents de police arrivent sur les lieux, les femmes sortent leurs longues épingles à cheveux et tiennent les agents à distance.

Le sénateur Gustave Lacasse s’adresse à un groupe de Canadiens français à Tecumseh, en Ontario, dans la banlieue de Windsor de Ford City, en octobre 1918, pour protester contre la  nomination de François Xavier Laurendeau comme nouveau pasteur de la paroisse Our Lady of  the Lake. Le père Laurendeau est soupçonné d’être un opposant aux écoles bilingues.  (Source : Centre de recherche en civilisation canadienne-française, Université d’Ottawa)

Le sénateur Gustave Lacasse s’adresse à un groupe de Canadiens français à Tecumseh, en Ontario, dans la banlieue de Windsor de Ford City, en octobre 1918, pour protester contre la nomination de François Xavier Laurendeau comme nouveau pasteur de la paroisse Our Lady of the Lake. Le père Laurendeau est soupçonné d’être un opposant aux écoles bilingues. (Source : Centre de recherche en civilisation canadienne-française, Université d’Ottawa)

L’année suivante, à Ford City, en banlieue de Windsor, des paroissiens canadiens français de l’église Our Lady of the Lake forment un blocus puis déclenchent une émeute lorsque la police tente de mettre en place un nouveau pasteur réputé être un opposant aux écoles bilingues et un partisan de l’évêque Michael Francis Fallon. Fallon avait publiquement demandé l’élimination des écoles bilingues afin de protéger le système des écoles catholiques de ses critiques; il était alors devenu l’ennemi des nationalistes canadiens français un peu partout. Neuf personnes sont arrêtées lors de l’émeute de Ford City tandis que 10 sont blessées, notamment deux femmes âgées d’environ 70 ans. Les paroissiens demandent au Vatican d’annuler la nomination du prêtre mais en vain; ils sont contraints d’accepter le prêtre en question sous peine de risquer l’excommunication. En octobre 1918, ils finissent par reculer, mettant fin à un affrontement qui aura duré un an.

Contrairement à la plupart des Franco-Ontariens, cependant, la majorité des francophones présents dans la région de la frontière de Windsor se soumettent volontairement au Règlement 17, après de modestes protestations. L’anglais est la langue de la région et les enfants ont de meilleures chances de trouver un emploi s’ils possèdent de solides aptitudes en anglais.

Contrairement aux autres collectivités de l’Ontario français, dans lesquelles la résistance connaît un succès bien plus important, seules 10 des 30 écoles bilingues de la région montrent des signes de résistance clairs à l’encontre de l’inspecteur des écoles. En 1926, le premier ministre G. Howard Ferguson annonce ses plans pour réformer cette politique scolaire qui a contribué à une crise d’unité nationale. Cela n’empêche pas Ferguson de claironner que la région de la frontière de Windsor est l’exemple éclatant du succès du Règlement 17, les inspecteurs louant en effet les enfants francophones de la région pour leur impressionnante maîtrise de l’anglais, tant à l’oral qu’à l’écrit.

L’esprit du nationalisme canadien français enraciné dans une préservation prudente de la langue maternelle n’a pas eu préséance sur le désir des parents de voir leurs enfants maîtriser l’anglais, en tout cas dans le Sud-Ouest de l’Ontario.