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Liberté religieuse sur la terre promise

First Baptist Church, à Chatham

Photo : First Baptist Church, à Chatham

Par

Steven Cook et Wilma Morrison

Le patrimoine Noir, Les bâtiments et l'architecture, La communauté

Published Date: sept. 10, 2009

Eli Johnson travaillait sans relâche dans des plantations de Virginie, du Mississippi et du Kentucky avant de tenter sa chance sur la « terre promise », une expression utilisée par les réfugiés du chemin de fer clandestin pour décrire le Canada. Pour le punir d’avoir animé des réunions de prière durant les fins de semaine, son propriétaire le menaçait de le clouer au sol et de lui administrer 500 coups de fouet. Eli le suppliait : « Pour l’amour de Dieu, pourquoi ne pourrais-je pas, après avoir travaillé dur toute la semaine, organiser une réunion le samedi soir? Je suis condamné à recevoir 500 coups de fouet pour avoir essayé de servir Dieu. »

Les réunions de prière étaient plus que des occasions de pratiquer sa religion : elles donnaient aux esclaves noirs le sentiment d’appartenir à une communauté. Il n’est donc pas surprenant de constater que la religion a joué un rôle central dans la création des premiers établissements de réfugiés du chemin de fer clandestin en Ontario. L’église était le cœur et l’âme de l’établissement, un endroit où les réfugiés pouvaient se réunir et partager leurs expériences, s’entraider et chanter des louanges.

Le pasteur, généralement la personne la mieux éduquée de la communauté, devenait le meneur et servait souvent de modèle à la jeunesse. Les églises servaient de refuges aux nouveaux arrivants jusqu’à ce qu’ils aient First Baptist Church, à Chatham pu intégrer la communauté. Les pasteurs pouvaient également, dans les tribunaux, apporter leur aide aux fugitifs arrêtés et emprisonnés.

Les premiers établissements de réfugiés du chemin de fer clandestin étaient principalement centrés sur trois confessions chrétiennes : épiscopale méthodiste africaine, épiscopale méthodiste britannique et baptiste.

L’église épiscopale méthodiste africaine (AME) est née de la Free African Society créée par Richard Allen, Absalom Jones et d’autres personnes à Philadelphie, en 1787, pour protester contre l’esclavage et la discrimination. En 1794, la première de ces églises, Bethel AME, a été consacrée à Philadelphie en présence du révérend Allen, ancien esclave du Delaware, qui officiait comme pasteur.

Nazrey AME Church d’Amherstburg, en Ontario, fondée par l’évêque Willis Nazrey, a été construite en 1848 par d’anciens esclaves et des Noirs libres. Bâtie avec des pierres des champs ramassées à la main, cette église, qui fait aujourd’hui partie du North American Black Historical Museum, est un fier exemple des nombreuses petites églises desservant les Noirs que comptait l’Ontario des premières années.

Avec l’adoption de la Loi sur les esclaves fugitifs de 1850, qui facilitait la capture et l’extradition des esclaves fugitifs, effectuer des allers-retours aux États-Unis devenait de plus en plus difficile pour les Noirs. La conférence annuelle de l’église épiscopale méthodiste africaine était organisée aux États-Unis, et les délégués canadiens hésitaient à traverser la frontière. Ils ont donc proposé la création d’une nouvelle entité plus près de chez eux et, en 1856, l’église méthodiste épiscopale britannique (BME) était formée.

Dès 1814, des congrégations avaient été organisées à St. Catharines, à Hamilton et à Niagara Falls par Darius Durham, le premier pasteur méthodiste itinérant de la région. En 1836, la communauté noire de Niagara Falls avait bâti une petite chapelle. Cette construction géorgienne simple du HautCanada, l’une des plus anciennes églises méthodistes desservant les Noirs de l’Ontario, est toujours le centre spirituel de la communauté noire de Niagara Falls. En 1983, elle a été rebaptisée Nathaniel Dett Memorial Chapel BME Church en l’honneur de R. Nathaniel Dett, célèbre musicien, compositeur, poète, directeur de chorale et ancien membre de l’église.

Le premier pasteur baptiste connu au Canada était l’ancien William Wilks. Né en Afrique puis vendu comme esclave aux États-Unis, il a fini par s’enfuir et s’installer à Amherstburg. Il prêchait aux autres réfugiés et a reçu l’ordination en 1821. Vers la même époque, Washington Christian, un réfugié de New York, a constitué des congrégations baptistes noires à Toronto, à Hamilton, à St. Catharines et à Niagara Falls. En 1841, toutes les églises baptistes de l’Ouest canadien se sont rassemblées pour former l’Amherstburg Regular Missionary Baptist Association.

À cette époque, la région de Chatham était elle aussi devenue une Mecque pour les réfugiés de l’esclavage : le tiers des résidents étaient des Noirs affranchis. En 1841, ils avaient créé un lieu de culte. Dix ans plus tard, ils avaient bâti First Baptist Church.

La survie de nombre des premières églises construites par ces esclaves en quête de liberté témoigne de l’importance du rôle des églises dans leurs communautés. Elle prouve également la force et l’engagement des membres des congrégations, forgés par des années d’asservissement dans un système qui interdisait l’expression personnelle.

Les sentiments d’Eli Johnson se font l’écho de ceux des innombrables chercheurs de liberté qui se sont accrochés à leur foi et à leur éternel espoir de connaître des jours meilleurs : « J’étais tellement reconnaissant d’avoir pu atteindre une terre de liberté que je ne pouvais pas m’exprimer. Quand je repense à ce que j’ai enduré, j’ai l’impression d’être arrivé au paradis. Ici, je peux chanter et prier sans que personne ne s’en prenne à moi. Je suis membre de l’église baptiste et m’évertue à mener une vie de bon chrétien. »

Nathaniel Dett Memorial Chapel British Methodist Episcopal Church, à Niagara Falls

Photo: Nathaniel Dett Memorial Chapel British Methodist Episcopal Church, à Niagara Falls

Nazrey African Methodist Episcopal Church, à Amherstburg

Photo: Nazrey African Methodist Episcopal Church, à Amherstburg