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Les cellules souches hématopoïétiques : une histoire ontarienne

Les docteurs Jim Till et Ernest McCulloch (Photo : Université de Toronto)

Photo : Les docteurs Jim Till et Ernest McCulloch (Photo : Université de Toronto)

Par

Dr Hans A. Messner

Le patrimoine médical

Published Date: févr. 12, 2016

Le sang… il circule dans tout notre corps, approvisionne en énergie, protège des dangers internes comme externes et soigne les blessures.

Il se compose d’un miraculeux réseau de cellules et de substances hautement spécialisées qui accomplissent ces tâches avec précision au sein d’un environnement extrêmement régulé. Au XIXe siècle, de grands progrès sont réalisés dans la description de la multitude de types de cellules sanguines et la découverte de leurs fonctions. Leur origine, cependant, reste obscure et demeure un sujet de spéculation. Dès 1868, une hypothèse fascinante est formulée par un des pionniers du domaine, suggérant que les cellules sanguines pourraient être issues d’une unique cellule destinée à produire la myriade de cellules sanguines et, pour la première fois, le terme de cellule souche est prononcé.

C’est à l’automne 1960 qu’on trouve la clé permettant d’accéder aux secrets des cellules souches hématopoïétiques. Suite à l’holocauste nucléaire de 1945, on sait alors déjà qu’il est possible d’inverser les effets d’une irradiation létale du système sanguin en injectant des cellules normales de moelle osseuse. Deux jeunes scientifiques fraîchement recrutés au sein de l’Ontario Cancer Institute nouvellement créé par l’Hôpital Princess Margaret de Toronto, Jim Till et Ernest McCulloch, sont déterminés à en apprendre davantage sur ces fascinants mécanismes de réparation. Avec leurs antécédents et leurs personnalités disparates, Jim Till (le physicien) et Ernest McCulloch (le médecin) forment une équipe de recherche singulière appelée à régner en maître sur le domaine des cellules souches pendant des décennies.

L’une des premières questions qu’ils se posent consiste à déterminer si l’effet réparateur observé dépend ou non de la dose d’irradiation : plus la dose est forte, plus les chances de bienfait sont minces. Puis, en 1960, le docteur McCulloch procède à l’évaluation d’une de leurs expériences visant à vérifier si l’effet réparateur de la moelle peut être amélioré en injectant des quantités croissantes de cellules médullaires à des souris mortellement irradiées. L’expérience confirme l’hypothèse, mais Ernest, doté d’un grand sens de l’observation et d’une imagination sans limite, remarque un changement à la surface de la rate des animaux de laboratoire. Celle-ci est couverte de petits nodules. Il se met alors à compter les nodules, avant de parvenir à une stupéfiante conclusion.

Il existe une corrélation entre la fréquence de ces nodules et le nombre de cellules médullaires injectées. Les travaux suivants montrent que les nodules contiennent des milliers de cellules sanguines. Certains d’entre eux sont constitués d’un seul type de cellules sanguines tandis que d’autres en renferment plusieurs, ce qui correspond à l’hétérogénéité habituellement observée dans la moelle. De nouvelles expériences confirment que chacun de ces nodules pourrait provenir d’une unique cellule. Compte tenu de la taille des nodules, la cellule en question doit posséder un potentiel de forte croissance. L’origine unicellulaire de nodules composés de plusieurs types de cellules sanguines apporte la preuve ultime de l’existence d’une cellule souche hématopoïétique. Non seulement ces cellules sont capables de produire quotidiennement des milliards de cellules sanguines, mais elles assurent également la maintenance à vie du système grâce à leur capacité de se reproduire.

Nous comprenons désormais les mécanismes de contrôle complexes qui président au bon fonctionnement de la moelle et à la capacité de moduler rapidement les taux de production cellulaire pour répondre aux besoins accrus pouvant se faire sentir en cas d’infection ou de perte de sang importante. Nous connaissons également les risques en cas d’arrêt de la fonction médullaire, provoqué par une anémie aplastique par exemple, ou si elle est altérée pour produire des cellules sanguines malades, comme lors d’une leucémie.

Les cellules sanguines et médullaires sont une ressource renouvelable. Elles nous maintiennent en bonne santé et nous donnent la possibilité de transmettre leurs vertus en étant compatibles avec les pratiques de transfusion modernes et la transplantation de cellules souches chez les patients qui en ont besoin.

Jim Till et Ernest McCulloch ont lancé les recherches sur les cellules souches à Toronto et inspiré nombre de scientifiques et de cliniciens d’ici et d’ailleurs à poursuivre leur œuvre imaginative. Ils ont reçu de nombreuses distinctions nationales et internationales qui témoignent à la fois de leurs travaux révolutionnaires en vue de comprendre comment le sang est produit dans la santé comme dans la maladie, et de leurs inlassables efforts pour concevoir des traitements novateurs.