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Paysages culturels : défis et nouvelles orientations

Les chaînons Richardson, aux Territoires du Nord-Ouest, font partie de la vaste voie migratoire transfrontalière de la harde de caribous de la Porcupine et il s’agit d’un exemple d’un grand paysage. (Photo : Lisa Prosper)

Les paysages culturels

Date de publication : sept. 09, 2016

Photo : Les chaînons Richardson, aux Territoires du Nord-Ouest, font partie de la vaste voie migratoire transfrontalière de la harde de caribous de la Porcupine et il s’agit d’un exemple d’un grand paysage. (Photo : Lisa Prosper)

L’expression « paysage culturel » a vu le jour dans le lexique sur le patrimoine au début des années 1990 en tant que nouvelle catégorie de ressources culturelle à valeur patrimoniale. L’ajout de la typologie a été bien accueilli, car on élargissait la portée de la pratique du patrimoine traditionnel passant des édifices, des monuments et des lieux vers des endroits à large portée et se composait d’un amalgame de caractéristiques et dont l’importance tisse un lien entre la culture et la nature. Alors que les membres de la communauté ont commencé à mettre la nouvelle typologie des paysages culturels en pratique, cependant, un certain niveau d’inconfort a commencé à être ressenti, à savoir comment l’inscrire (ou ne pas l’inscrire) dans le cadre du patrimoine traditionnel.

Cet inconfort reposait sur l’interprétation première en tenant compte de la forme et de la disposition spatiale des caractéristiques physiques discrètes par rapport à une zone géographique donnée – une interprétation qui ne permettait pas de reconnaître les qualités holistiques, dynamiques, immatérielles et axées sur le présent de la plupart des paysages culturels et limitait son application plus large. Mais d’autres sujets étaient également épineux. Il était difficile de réconcilier les paysages culturels en tant que type de ressource culturelle à valeur patrimoniale visant, par définition, à protéger la valeur patrimoniale entre culture et nature comportant une taxonomie disciplinaire existante qui insistait pour distinguer la culture de la nature ainsi que le patrimoine matériel et immatériel. L’appareil de conservation du patrimoine culturel, y compris les cadres législatifs et stratégiques conçus pour exercer un pouvoir sur les biens immobiliers, ainsi que les outils et les instruments couramment utilisés pour atteindre les objectifs de conservation du patrimoine traditionnel (comme la désignation) ont également contribué à la difficulté d’établir une relation culturelle avec la nature, ce qui ne se traduit pas nécessairement par une expression physique du caractère dynamique inhérent de tous les paysages culturels. On a donc assisté à une interprétation relativement étroite des paysages culturels au titre du cadre du patrimoine traditionnel.

Le fleuve Yukon et le paysage culturel Tr’ondëk Hwëch’in où l’on a suspendu de façon volontaire la pêche au saumon quinnat pendant un cycle de vie du poisson (de 7 à 8 ans) en raison de la baisse des stocks. (Photo : Lisa Prosper)

Après 25 ans, on constate que les perspectives non traditionnelles commencent à influencer la définition et l’interprétation des paysages culturels. Les perspectives écologiques, non occidentales et autochtones s’inspirent toutes de la réflexion et de la pratique en matière de patrimoine en partie grâce à un engagement concernant les paysages culturels. Par conséquent, les paysages culturels réaffirment le rôle qu’ils jouent dans la conservation du patrimoine en tant que lieu de contact pour assurer la réflexion à l’interne et à l’externe qui vise à mieux comprendre la pratique du patrimoine en soi et à orienter la discipline vers l’extérieur en ne se limitant pas aux frontières disciplinaires afin de contribuer aux enjeux du XXIe siècle, dont les changements climatiques, la viabilité à l’échelle régionale et communautaire et aux efforts de conservation de l’environnement et le domaine de la conservation du patrimoine culturel doit nécessairement y participer.

Les changements climatiques menacent les ressources culturelles et naturelles et, à plus forte raison, les paysages culturels doivent susciter un mouvement de mobilisation. Le Nord canadien est l’une des régions les plus touchées par les changements climatiques qui y menacent la vie de diverses espèces et la stabilité du pergélisol, les ressources archéologiques, les activités autochtones ancestrales en matière de récolte ainsi que les pratiques d’utilisation de la terre. Les stratégies de conservation des ressources naturelles utilisent de plus en plus le savoir traditionnel dans la prise de décisions et pourtant il peut être également profitable pour la gestion des ressources culturelles et des pratiques traditionnelles des Autochtones d’exploiter les connaissances scientifiques sur les changements climatiques. La viabilité à long terme des paysages culturels du Nord repose sur la poursuite de l’interrelation entre la culture et la nature ainsi que sur la capacité des communautés résidentes de s’adapter aux nouvelles conditions que suscitent les changements climatiques. Les paysages culturels offrent le fondement conceptuel permettant l’échange de ce savoir.

Verger, Kingsville. (Photo : © 2000 La Société du Partenariat ontarien de marketing touristique)

Verger, Kingsville. (Photo : © 2000 La Société du Partenariat ontarien de marketing touristique)

Les paysages culturels sont également pertinents aux efforts de viabilité des communautés locales. On dénote un intérêt grandissant à l’égard des économies à petite échelle axée sur des activités de subsistance visant des systèmes de gestion d’utilisation de la terre de façon traditionnelle afin d’atteindre une plus grande production agricole et animale plus durable et, en ce qui concerne les économies de ressources traditionnelles, qui sont en voie de transition vers des économies créatives dont le lieu est important. Cette attention renouvelée au niveau local exploite le caractère perceptible des lieux et y contribue tout en mettant en valeur les stratégies de gestion orientées par la communauté et en investissant dans l’économie durable à long terme. La lentille d’observation du paysage culturel nous permet de saisir ces paysages vivants comme des systèmes socioculturels, naturels et économiques entrecroisés qui possèdent leur propre écologie du lieu – l’amalgame des pratiques traditionnelles d’utilisation de la terre, des lieux et des modèles de peuplement et d’habitat, et propres à un lieu et à un territoire ainsi que les économies créatives en plus du caractère et de l’identité communautaires. Le défi à relever pour la gestion de ces paysages culturels consiste à veiller à la poursuite de leurs éléments traditionnels, des pratiques et de l’engagement constant à assurer ayant servi à leur fondement tout en contribuant à leur croissance viable et durable.

La conservation du paysage à large échelle tire profit de l’ampleur qui y est consacrée afin d’atteindre les objectifs de conservation entre plusieurs paliers administratifs et diverses communautés d’utilisateurs et d’habitants. Couramment associé aux initiatives sur la gestion de l’habitat et des corridors fauniques (dont l’initiative Yellowstone to Yukon Conservation Initiative), le modèle du paysage à large échelle est également pertinent dans un contexte régional et urbain. Cette nouvelle orientation sur la pratique visant le paysage culturel signifie se concentrer sur l’élaboration de rigoureux mécanismes de mobilisation des intervenants, de cadres législatifs et stratégiques complexes et de structures de gestion propices à la collaboration et à la cogestion afin que le tout fonctionne. La perspective du paysage culturel contribue au succès à long terme des initiatives du paysage à grande échelle en mettant en valeur les valeurs culturelles liées au paysage qui contribue à favoriser un sens d’interconnexion entre les frontières matérielles et immatérielles qui est crucial pour assurer la conservation du paysage à large échelle.

Outre cette ouverture vers l’extérieur, la réflexion interne se poursuit chez les membres de cette discipline au sujet de la typologie des paysages culturels et de son interprétation dans son ensemble. En outre, le comité national d’ICOMOS au Canada et celui aux États-Unis ont lancé des initiatives en ligne afin d’établir une collectivité de personnes et une base de connaissances portant sur l’idée qui a été avancée. L’initiative nationale d’ICOMOS Canada portant sur la conversation sur les paysages culturels ainsi que l’initiative d’ICOMOS États-Unis de la communauté du savoir sur la pratique concernant les paysages culturels visent à favoriser un dialogue à l’échelle nationale sur la mise en pratique de la conservation des paysages culturels. De plus, la pratique de la conservation du paysage culturel au niveau du patrimoine mondial en matière de culture et de nature a mené à l’adoption d’une initiative de coopération entre ICOMOS et l’IUCN afin d’explorer l’interrelation entre les deux organisations et cette question sera revue au prochain congrès mondial de conservation de l’IUCN qui aura lieu à l’automne 2016.

En guise de conclusion, les paysages culturels représentent bien plus qu’un nouveau type de ressource patrimoniale. À la suite des défis à relever concernant la difficile adaptation dans le cadre du patrimoine traditionnel, l’ouverture vers l’extérieur pour tenir compte de la diversité des enjeux sur la scène mondiale (dont les changements climatiques) et l’évaluation à l’interne des progrès réalisés à ce jour, les paysages culturels continuent à orienter le domaine vers de nouvelles avenues.