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Elizabeth Bagshaw, défenderesse des droits génésiques au Canada

Elizabeth Bagshaw (Photo gracieusement fournie par The Hamilton Spectator)

Le patrimoine des femmes, Le patrimoine médical

Date de publication : mars 20, 2018

Photo : Elizabeth Bagshaw (Photo gracieusement fournie par The Hamilton Spectator)

Lorsque la Dre Elizabeth Bagshaw prend sa retraite en 1976, elle est la médecin en activité la plus âgée du Canada. Au cours de son illustre carrière de 70 années, elle a traité des milliers de patients et mis au monde plus de 3 000 bébés. Elle a reçu de nombreux prix, notamment l’Ordre du Canada, le Prix du Gouverneur général en commémoration de l’affaire « personne » et le titre de Citoyenne de l’année de Hamilton, en plus d’être intronisée au Temple de la renommée médicale et de faire l’objet d’un documentaire de l’Office national du film en 1978. Néanmoins, la Dre Bagshaw est sans contredit bien mieux connue pour sa lutte pour les droits génésiques des femmes à une époque où promouvoir et fournir n’importe quel type de contraception était illégal.

En 1905, elle obtient son diplôme du Collège de médecine des femmes de l’Ontario, affilié à l’Université de Toronto, bravant ainsi la volonté de sa mère, mais avec le soutien de son père. Parmi les premières femmes médecins au Canada, elle se heurte à de nombreux obstacles lors de sa formation et au début de sa carrière. La plupart de ses cours pratiquent la ségrégation par sexe et il lui est difficile d’effectuer l’internat dans un hôpital nécessaire à l’obtention de son permis pour pratiquer la médecine. En effet, peu d’internats au Canada acceptent les femmes à cette époque.

Finalement, Elizabeth Bagshaw opte pour le préceptorat (une alternative à l’internat) et travaille auprès d’une autre femme médecin. En 1906, elle est en mesure de s’établir à son compte à Hamilton et se spécialise en médecine familiale et obstétrique. Son cabinet est prospère : dans les années 1920, pendant trois années consécutives, elle appose sa signature sur plus de certificats de naissance que tout autre médecin de Hamilton. La Dre Bagshaw est restée célibataire, mais a adopté l’enfant d’un de ses proches dans sa quarantaine. [Traduction] « Elle faisait ses propres choix et agissait en fonction de ses propres décisions à une époque où la plupart des femmes dépendaient encore des hommes pour prendre les grandes décisions de leur vie », indique sa biographe Marjorie Wild.

Elizabeth Bagshaw (Photo gracieusement fournie par The Hamilton Spectator)

La Dre Bagshaw pratique également la médecine à une époque où les femmes n’avaient que peu de droits génésiques. L’avortement et la contraception étaient alors illégaux. En 1892, une loi fédérale avait rendu illégal le fait de donner accès à une forme de régulation des naissances ou de diffuser de l’information à ce propos. Les personnes condamnées risquent jusqu’à deux ans d’emprisonnement. Toutefois, son travail de médecin de première ligne lui fait voir les conséquences de la naissance et de l’accouchement sur les femmes. Une étude de 1934 démontre qu’un décès sur six parmi les jeunes femmes de l’Ontario résulte directement de la grossesse et de l’accouchement. Les avortements illégaux contribuent également à ce taux de mortalité puerpérale. On estime que le nombre de femmes au Canada ayant péri des suites d’un avortement de 1926 à 1947 s’établit à entre 4 000 et 6 000 – un nombre probablement sous-déclaré compte tenu de la stigmatisation sociale. Dans les années 1930, la Direction de l’hygiène des mères et des enfants de l’Ontario révélait que l’avortement représente constamment 20 p. 100 de tous les décès maternels dans la province.

La Dre Bagshaw observe les répercussions de la Crise de 1929 sur ses patients lorsque celle-ci frappe. Elle raconte : « La grande dépression est arrivée et nous voyions beaucoup de personnes pauvres. Il n’y avait pas d’aide sociale et d’assurance-chômage et ces gens étaient affamés parce qu’ils étaient sans travail. Ils ne pouvaient se permettre d’avoir des enfants s’ils n’avaient pas les moyens de se nourrir! » En 1932, la Dre Bagshaw se voit offrir le poste de directrice médicale de la première clinique de régulation des naissances au Canada. Cette dernière est illégale et ne peut fonctionner publiquement. Soixante personnes sont attendues pour la première année de la clinique. Mais c’est plus de 400 qui se présentent.

Élizabeth Bagshaw et ses collègues doivent faire face aux critiques émises par les communautés médicale et religieuse. Les paroisses locales demandent aux femmes d’éviter la clinique. « On disait que j’étais le diable, raconte la Dre Bagshaw des années plus tard. Mais cela ne m’a jamais inquiétée. » La femme médecin reste la directrice médicale de la clinique pendant plus de trente ans et quitte ses fonctions en 1967. Deux ans plus tard, lorsque la régulation des naissances est enfin décriminalisée, la clinique peut fonctionner légalement pour la première fois.

La Dre Elizabeth Bagshaw n’a marqué que l’un des nombreux jalons de la lutte de longue haleine menée pour les droits génésiques des femmes au XXe siècle. L’arrêt Morgentaler ayant conduit à la légalisation de l’avortement en 1988 fait aussi partie de ces jalons, et le combat perdure. Bien que l’accès à une régulation des naissances et à l’avortement soit consacré par la loi, celui à des soins de santé sexuelle et génésique sécuritaires est encore une problématique pour les Canadiennes aujourd’hui. Les femmes qui vivent en dehors des grandes villes doivent parcourir de longues distances, faire face à des retards et débourser des sommes élevées afin d’avoir accès aux soins nécessaires. Les militantes d’aujourd’hui se fondent sur l’héritage laissé par Elizabeth Bragshaw et ses contemporaines. Elles s’efforcent de préserver des droits juridiques, y compris les aspects liés à la justice génésique, afin d’offrir un accès égal aux soins de santé génésiques à toutes les Canadiennes.