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Force combattante : la préparation des soldats ontariens

Ce groupe affiche une allure considérablement plus martiale. Ces soldats à la tenue très soignée appartiennent à l’unité torontoise Queen’s Own Rifles, en poste en Angleterre avant le début de la Première Guerre mondiale.

Le patrimoine militaire, La communauté

Date de publication : févr. 14, 2014

Photo : Ce groupe affiche une allure considérablement plus martiale. Ces soldats à la tenue très soignée appartiennent à l’unité torontoise Queen’s Own Rifles, en poste en Angleterre avant le début de la Première Guerre mondiale.

Les Canadiens forment un peuple non militaire : voilà une idée qui s’élève pratiquement au rang de lieu commun. Pourtant, un examen rétrospectif de l’Ontario à l’été 1914 pourrait susciter une tout autre impression.

Dans toute la province, des unités de la milice canadienne interviennent dans l’entraînement annuel habituel. Dans les manèges militaires des villes (dont beaucoup sont tout neufs – fruit de la campagne de construction du gouvernement fédéral à l’époque édouardienne), des soldats à temps partiel prennent part à des exercices d’entraînement, s’exercent à la mousqueterie et se forment à l’hygiène de campagne et au génie militaire. Ces unités portent des noms imposants – Queen’s Own Rifles, Governor-General’s Foot Guards, Prince of Wales’ Own Regiment – et les hommes ont belle allure. Fortunés et influents, leurs officiers disposent des ressources nécessaires pour veiller à ce que les soldats s’acquittent toujours bien de leurs fonctions. Certains commandants vont même jusqu’à emmener leurs unités en Grande-Bretagne pour leur faire effectuer des manœuvres estivales destinées à améliorer leurs performances et pour les exhiber.

Un groupe de miliciens décontractés au camp Petawawa en juin 1914

En dehors des grandes villes, en revanche, la situation est légèrement différente. Si les unités portent des noms tout aussi majestueux – 25th Brant Dragoons, Simcoe Foresters, St. Clair Borderers –, leurs camps d’entraînement estival sont plus décontractés, comme le montrent des photos d’époque. Les hommes flânent dans des tenues qui marient étrangement vêtements civils et uniformes militaires, ce qui empêche parfois de distinguer les officiers des autres grades. Les soldats défilent et galopent en pleins champs, passant leurs journées à simuler des affrontements entre armées ennemies. Si la presse décrit généralement ces exercices comme des simulacres de combat, un soldat enthousiaste en confessera la vraie nature : c’était la « pagaille ». Pour de nombreux jeunes hommes, le camp de milice n’est pas tant un camp d’entraînement pour se préparer à une guerre à venir qu’une occasion de se détendre, de se divertir et d’échapper aux pénibles travaux de la ferme familiale.

Lorsque la guerre éclate au début du mois d’août 1914, les villes sont les premières à réagir – d’après les historiens en tout cas. Le 29 juillet, quelques unités de milice avaient été mises en activité pour faire le guet au niveau de docks, d’intersections ferroviaires et d’autres sites stratégiques. Suite à la déclaration de guerre quelques jours plus tard, les manèges militaires urbains entrent en effervescence au fur et à mesure que les travailleurs citadins – dont beaucoup sont nés en Grande-Bretagne et ont de l’expérience militaire – répondent à l’appel. À la campagne, la ferveur patriotique ne s’empare pas autant des hommes, dont l’attention est accaparée par des questions pragmatiques rurales, à l’image de la récolte toute proche.

S’il est vrai que la majeure partie des premiers volontaires étaient britanniques de naissance, la réalité du Canada rural était quelque peu différente : ce n’est pas que les hommes y aient été plus lents à répondre à l’appel aux armes, c’est qu’il leur était plus difficile d’y répondre. Le premier appel est en effet lancé à l’ensemble des unités de milice du pays, mais seules celles en poste dans les villes reçoivent l’ordre d’accepter des volontaires et de les envoyer au camp de rassemblement de Valcartier, au Québec. Ce n’est que deux semaines plus tard que les régiments ruraux reçoivent l’autorisation de commencer à y envoyer des soldats. Les unités du premier contingent sont alors en grande partie remplies et la plupart des volontaires des campagnes n’ont d’autre choix que d’attendre le deuxième contingent.

Par ailleurs, ces premiers volontaires n’étaient pas non plus les soldats expérimentés que certains prétendaient être. Lorsqu’ils se présentaient à l’enrôlement, les hommes devaient indiquer s’ils servaient dans la milice ou s’ils disposaient d’une expérience militaire préalable. Il convient toutefois d’interpréter leurs réponses avec circonspection.

Avant de pouvoir être affectés à une unité outre-mer, les volontaires désireux de s’engager dans le Corps expéditionnaire canadien (CEC) devaient bien souvent rejoindre le régiment de milice chargé du recrutement, ce sur quoi ils s’appuyaient pour affirmer avoir de l’expérience dans la milice, même si celle-ci se réduisait aux quelques minutes nécessaires au remplissage d’un formulaire avant de passer au deuxième. On ne peut pas non plus prendre pour argent comptant les déclarations d’expérience préalable dans l’armée, puisqu’aucune preuve n’était requise. Il est possible que des volontaires aient indiqué avoir servi dans l’armée territoriale britannique, sachant pertinemment que personne n’essaierait de vérifier leurs dires. Et la difficulté était encore supérieure en ce qui a trait aux déclarations de service dans des armées étrangères. Le 3e Bataillon, levé à Toronto au début de la guerre, comptait des volontaires qui prétendaient avoir combattu pendant la guerre hispano-américaine, avoir servi dans les armées grecque et russe, ou encore avoir fait partie de la milice de Guyane britannique. Évaluer la véracité de ces déclarations – déjà à l’époque et, à plus juste titre, un siècle plus tard – est impossible.

Quoi qu’il en soit, la réponse de l’Ontario à l’appel des hommes n’en reste pas moins spectaculaire. Avant la guerre, un plan de mobilisation avait déterminé la quote-part de la province à tout contingent affecté outre-mer. En août 1914, l’Ontario dépassait déjà cette quote-part d’environ 30 pour cent.

Les habitants de St. Thomas rassemblés pour saluer un groupe de volontaires en partance pour le front de l’Ouest

Les habitants de St. Thomas rassemblés pour saluer un groupe de volontaires en partance pour le front de l’Ouest

Les trois zones divisionnaires de l’Ontario ont fourni presque 10 000 hommes et officiers au premier contingent, qui en comprenait 26 000, et c’est sans compter les centaines d’enrôlements ontariens comptabilisés dans des districts du Manitoba et du Québec.

Ce chiffre ne tient pas non plus compte de nombreux autres volontaires ayant répondu rapidement à l’appel. L’Ontario était le lieu de résidence de milliers de réservistes de l’armée britannique (sans parler des armées française, italienne, russe, et même allemande et austro-hongroise), ces soldats qui étaient arrivés au bout de leurs conditions de service ordinaire mais pouvaient être rappelés par leurs unités en cas d’hostilités. À la fin de l’été 1914, les journaux ontariens étaient remplis de chroniques consacrées à des immigrants récents qui retournaient en Grande-Bretagne pour rejoindre leur régiment. Des unités ad hoc, telles que la Welland Canal Force et la St. Lawrence Patrol, acceptaient des volontaires afin de protéger les intérêts vitaux. Plus tard, les hommes pouvaient rejoindre la Railway Service Guard afin de travailler sur les trains de soldats. Les régiments de milice continuaient également d’accepter des volontaires qui, vers la fin de la guerre, seraient transférés en masse au CEC. Pourtant, en 1914, ils ne figuraient dans aucune des statistiques habituelles.

En l’espace de quelques jours, en ce mois d’août 1914, l’Ontario connaît un changement radical. Les rues n’ont peut-être rien de différent – les affiches de recrutement aux couleurs vives, les publicités pour l’emprunt de la Victoire, les drapeaux de service accrochés dans les vitrines des commerces, les brassards noirs et les voiles de deuil n’apparaîtront que plus tard – mais la population est envahie du sentiment manifeste que la vie a pris un tournant irréversible.

Et il est au moins un foyer ontarien déjà endeuillé. Stanley Wilson, natif de Toronto, servait dans la Marine royale britannique depuis plus d’une décennie lorsque la guerre éclate. Son navire, HMS Amphion, était actif depuis le premier jour. Le 6 août, pourtant, alors qu’il retourne vers sa base, à Harwich, Amphion se heurte à deux mines et sombre en l’espace d’un quart d’heure, emportant Stanley Wilson et une centaine d’autres marins. Au cours des quatre années suivantes, des milliers d’autres foyers ontariens allaient être pareillement meurtris; personne n’échapperait au deuil. [Toutes les photos sont reproduites avec l’aimable autorisation de l’archive Ley and Lois Smith Archive of War and Popular Culture du département d’histoire de l’Université Western Ontario.]