Partager:

De l’adversité à la célébrité

Base Clinton de l’ARC, Journée de la Force aérienne, 1956

Par

Jan Hawley et Carolyn Parks Mintz

L'économie du patrimoine, La communauté

Date de publication :01 oct. 2019

Photo : Base Clinton de l’ARC, Journée de la Force aérienne, 1956

Entre champs et établissements historiques datant du milieu du XIXe siècle, la municipalité rurale de Huron East donne la part belle à l’agriculture, à l’industrie manufacturière et au secteur tertiaire en plein essor. Toutefois, c’est par son patrimoine naturel et architectural que cette collectivité se démarque et s’est imposée comme un chef de file en matière de développement économique, pesant de tout son poids dans la défense des questions patrimoniales.

Faisant fond sur diverses initiatives primées par le passé, le sentier de randonnée et de cyclotourisme « Vanastra Heritage Walking and Cycling Trail », dernière attraction lancée à Huron East, arpente les terres de l’ancienne base Clinton de l’Aviation royale du Canada (ARC). Située à l’extrémité sud-ouest de la municipalité de Huron East, cette dernière a été transformée en village : Vanastra. Si la collectivité a connu des hauts et des bas depuis la désaffectation de la base en 1971, elle vit aujourd’hui une sorte de renaissance. De fait, ce sentier du patrimoine met la région sous le feu des projecteurs, attirant les visiteurs de toute la province et donnant ainsi la preuve que le patrimoine fait marcher les affaires. Pour profiter au maximum de l’expérience, il vaut toutefois la peine de se familiariser avec l’histoire de cette collectivité extraordinaire.

Radome

Pour répondre aux besoins en personnel spécialement formé durant la Seconde Guerre mondiale, l’ARC a construit une base au cœur du comté de Huron pour en faire le plus grand centre des Forces canadiennes de ce type à l’échelle nationale. Aujourd’hui, cette collectivité rurale comptant 650 résidents et divers commerces a été rebaptisée « village de Vanastra ».

Si les années nécessaires pour convertir une telle installation militaire en hameau rural n’ont pas été un long fleuve tranquille, cette base n’en reste pas moins un exemple notoire de collaboration internationale autour d’une technologie scientifique de pointe : le radar. Cet équipement changera la donne non seulement pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), mais aussi tout au long de la Guerre froide (1947-1991), période au cours de laquelle la tension militaire et politique est à son comble sur la scène internationale.

Le vrai point de départ de cette histoire se situe en 1941. Cette année-là, la Grande-Bretagne adresse une demande urgente au Canada : si le radar s’est avéré extrêmement précieux en mettant un coup d’arrêt aux offensives aériennes allemandes, la Royal Air Force (RAF) ne dispose plus d’un vivier suffisant d’officiers, de techniciens et d’opérateurs pour exploiter les stations disséminées le long des côtes britanniques. Elle a désespérément besoin de former au plus vite de nouvelles recrues.

Quelques mois plus tard et à des milliers de kilomètres du Royaume-Uni, les deux alliés se lancent dans un exercice de coopération et de collaboration sans précédent. Dès avril 1941, des représentants de la RAF et de l’Aviation royale du Canada se mettent en quête d’un site pouvant accueillir une école de formation à la technologie de pointe du radar, l’objectif étant qu’il reflète la topographie de l’Angleterre tout en restant à l’abri des regards ennemis. Après un repérage soigneusement coordonné dans le plus grand secret, ils jettent leur dévolu sur une parcelle de terres agricoles de 40 hectares au sud de Clinton, dans le canton de Tuckerman en Ontario. La construction d’une toute nouvelle base peut alors commencer. Les ouvriers travaillent 24 heures sur 24, par roulement. Au bout de 14 semaines, la base est terminée et prête à accueillir les aviateurs du monde entier. L’école radar RAF/ARC recevra ses premiers élèves dès le mois d’août. Plus de 8 000 personnes y décrocheront leur diplôme entre 1941 et 1945. Parmi elles : des Américains, des Britanniques et quelque 5 000 Canadiens qui serviront dans tous les théâtres de guerre.

Visite à pied de la base Clinton de l’ARC

Visite à pied de la base Clinton de l’ARC

Si la base Clinton de l’ARC a indéniablement contribué à la victoire alliée lors de la Seconde Guerre mondiale, sa mission de formation ne prendra fin que 26 ans plus tard. Aux dires de Fred Anderson, l’un des membres de l’équipe de construction de la base, « ces 40 hectares renfermaient le bien immobilier le plus précieux côté Allié ».

Une fois achevée, la base Clinton de l’ARC constitue sans nul doute la première collectivité « sécurisée » de l’époque, avec à l’intérieur toutes les commodités d’usage : poste, banque, centre de loisirs, bibliothèque, piscine, stade, restaurants, bar, hôpital, lieux de culte, etc. Bon nombre d’habitants des alentours n’ont alors aucune idée de ce qui se trame dans l’enceinte de la base, derrière ses portes gardées en permanence.

Jim Sands, vétéran de la Seconde Guerre mondiale posté là-bas dès les premiers jours, raconte : « Toutes les personnes présentes étaient tenues au secret absolu pendant 50 ans, nous avions ordre de ne rien révéler à propos du radar ». C’est d’ailleurs ce culte du secret qui renforcera l’intrigue autour de l’ancienne base, attirant l’attention des producteurs de Still Standing chez Radio-Canada en 2016.

Sur le plateau de Still Standing de Radio-Canada (saison 2, épisode 2)

Vanastra est mis à l’honneur dans la deuxième saison de cette série télévisée, dont la vedette Jonny Harris s’est fait connaître pour son rôle dans Les Enquêtes de Murdoch. Dans chaque épisode, le héros se rend dans de petites collectivités canadiennes qui restent deboutmalgré les difficultés financières. Les producteurs sont séduits par Vanastra en raison de son rôle dans l’histoire du radar et, bien sûr, du secret qui entoure ce lieu. Le récit et son script très bien écrit font mouche, valant aux auteurs une nomination et une récompense lors des prix Écrans canadiens au printemps suivant. Ainsi, ce programme aura non seulement contribué à la notoriété de Vanastra, mais aura aussi fait taire bon nombre des rumeurs et sous-entendus qui ont proliféré au fil des années.

Malgré sa désignation de « base aérienne », aucun avion n’y a jamais atterri ou décollé. Et pour cause : la propriété ne compte pas une seule piste. Le personnel arrivait bien par les airs, mais en hélicoptère, et l’appareil atterrissait sur le terrain d’exercice à l’intérieur de l’enceinte.

Ni le ministère de la Défense nationale, ni le comté, ni la ville n’ayant trouvé de solution pour redonner vie à cette installation désaffectée, elle est vendue à un promoteur immobilier quelques années après sa fermeture. Cette offre exclut alors l’école élémentaire rachetée par le Collège Conestoga, ainsi que l’espace vert, le centre de loisirs et le club de curling, cédés quant à eux à la municipalité. À la suite de cette acquisition, le promoteur vend son bien lot par lot avant de quitter la ville. Au fil des années, certains bâtiments perdent leur prestance, tandis que d’autres périclitent, victimes de négligence, et finissent par être démolis ou détruits par les flammes.

Peu à peu, la région commence à valoriser et à mettre à l’honneur son patrimoine militaire, attirant une attention positive qui semble porter ses fruits sur le long terme. Au-delà de sa contribution à l’effort de guerre, Vanastra se montre désormais sous un nouveau jour avec l’ouverture récente d’un sentier du patrimoine traversant le site d’origine, et fait ainsi renaître un sentiment de fierté communautaire chez les résidents comme chez les propriétaires. Ce sentier contribue sans conteste à revitaliser la collectivité et à donner un coup de projecteur sur Vanastra. Le cadre s’améliorant, davantage d’industries viennent s’installer là-bas et les titres de propriété prennent de la valeur. Récemment, Huron East y a tenu plusieurs événements communautaires à succès (y compris une Promenade de Jane et un regroupement de planificateurs de la conservation du patrimoine ontarien), chacun d’eux attirant des centaines de personnes venues des quatre coins de la province.

Le sentier compte dix panneaux disséminés dans le village pour retracer l’histoire de chaque site. Le centre de loisirs de Vanastra propose en outre d’admirer une vue aérienne de la base datant de 1952, et met à disposition des plans et itinéraires. Vous pouvez également les obtenir en contactant Jan Hawley par courriel à l’adresse jhawley@huroneast.com. [Photos avec l’aimable autorisation de Jan Hawley]