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Je ne chasse pas sur votre terre agricole… vous faites de la culture sur mon territoire de chasse

La rivière Grand au Lieu historique national Ruthven Park près de Cayuga.

Les paysages culturels

Date de publication : sept. 09, 2016

Photo : La rivière Grand au Lieu historique national Ruthven Park près de Cayuga.

Mon peuple – les Haudenosaunee – vit sur le territoire le long de la rivière Grand depuis des millénaires tandis que d’autres origines culturelles habitent ici depuis la période glaciaire. Nous croyons que notre créateur nous a fait don de ce territoire et nous y avons vécu depuis toujours.

Le territoire le long de la rivière Grand a subi de nombreux changements depuis le recul des glaciers – la flore, la faune et le climat ont changé. Les Premières Nations se sont adaptées à ces changements et elles ont prospéré grâce aux richesses que nous a données notre créateur. Et nous lui en rendons grâce tous les jours.

Mais avant que les pionniers puissent apprivoiser la terre, la vallée de la rivière Grand était un lieu tout à fait différent et méconnaissable. Les membres de mon peuple auraient vécu dans de longues maisons en écorce. La longueur de certaines de ces maisons pouvait atteindre 100 pieds et bon nombre d’entre elles auraient été constituées de villages de plusieurs centaines, voire de milliers, d’occupants. Ces villages auraient été situés près de sources d’eau – servant à l’alimentation, à l’irrigation et au transport. Nous aurions pêché et récolté des plantes servant à l’alimentation et de traitement médicinal. Nous aurions utilisé le produit de la chasse comme denrées, vêtements et outils. Il n’y avait aucune perte. Les arbres étaient en abondance et diversifiés et nous en retirions divers avantages et ils servaient de refuge aux animaux et aux oiseaux qui existaient à l’époque – loups, wapitis du sud, ours noirs et orignaux – une communauté d’animaux sensiblement différente de celle d’aujourd’hui. On comptait tellement d’arbres que l’on pouvait littéralement se promener du lac Érié au lac Huron sans quitter la forêt.

À cette époque-là, le climat aurait été nettement différent aussi – pas aussi rigoureux qu’aujourd’hui – et nous aurions reconnu les avantages que nous procurent les saisons en rendant grâce par l’organisation de cérémonies, d’activités dansantes et festives. Nous aurions reconnu les redoutables tonnerres qui annoncent la pluie qui donne la vie. Nous aurions remercié le soleil qui nous réchauffe et de tous les produits qui peuvent être cultivés sur la terre mère. Nous aurions fait preuve de reconnaissance de tous les bienfaits que le créateur nous offre – comme nous le faisons toujours aujourd’hui. Il s’agit de l’enseignement que nous avons reçu.

La rivière Grand (https://flic.kr/p/Rk6Xe), image utilisée en vertu de CC BY-NC-ND 2.0 (https://creativecommons. org/licenses/by-nc-nd/2.0/). (Photo : Ann et Peter Macdonald)

Malheureusement, aujourd’hui, il est plus difficile de rendre grâce. Cette terre ayant commencé à être nourrie d’idées par les Occidentaux sur l’utilisation de la terre, l’idée de la domination de l’homme sur la nature et de la transformation au gré de ses besoins est devenue la norme. L’idée de laisser un champ se renaturaliser est réputée être peu économique. La croyance selon laquelle l’ensemble de la terre doit nous procurer un certain produit est une notion occidentale. Les arbres sont devenus un obstacle pour l’exercice de toutes sortes d’activités – de l’agriculture à la construction de routes et de villes. L’industrie forestière a progressé alors que l’on abattait davantage d’arbres dans la vallée de la rivière Grand. Les forêts ont été abolies de façon si fructueuse que l’on ne peut plus marcher d’un lac à l’autre sans quitter la forêt. Aujourd’hui, on peut se promener d’un lac à l’autre sans quitter d’interminables zones agricoles bâties.

Ces changements sont survenus dans un laps de temps relativement court. Alors que nous avons toujours pu nous adapter, il a été plus difficile de nous adapter aux grandes transformations le long de la rivière Grand. La conversion non contrôlée de la forêt en terre agricole, en zones urbaines, en puits d’agrégats et en propriétés privées – tout cela dans l’intérêt de l’esprit de pionnier ou du soi-disant progrès – s’est produite avec la bénédiction des divers paliers de gouvernement qui ont octroyé des permis d’autorisation et en faisant appel à des conseils juridiques et à des avis d’experts.

Toute cette transformation a eu de lourdes retombées négatives sur les activités culturelles ancestrales des Premières Nations, telles que la chasse, la pêche et la récolte. On a assisté à la disparition de la forêt et la terre appartient maintenant à des propriétaires privés et a fait l’objet d’une importante altération; les plantes médicinales sont plus difficiles à trouver; la présence d’animaux n’est plus abondante et des conflits ont émergé alors que nous essayons de perpétuer notre culture.

L’harmonisation du savoir ancestral à la science occidentale n’est pas une mince tâche, car cette science hésite à abandonner son emprise sur le milieu de l’enseignement et les gouvernements sont réticents à délaisser leur contrôle des avantages financiers potentiels. On m’a dit un jour « les Autochtones possèdent des richesses territoriales, mais peu de connaissances. » (Traduction libre) Comment peut-on modifier ce schème de pensée? Nous commençons par faire preuve de persistance et de patience en donnant l’exemple. Si l’on effectue une recherche du bassin des Grands Lacs sur Google et que l’on agrandit la carte tout juste au sud de Hamilton, on constatera une petite parcelle de forêts caroliniennes entourée de fermes – là où sont situées les Six Nations de la rivière Grand. Nous pouvons contribuer à assurer la reforestation de ces terres – non seulement pour les Six Nations, mais également dans les comtés environnants où le couvert forestier a été réduit à 11 ou 12 p. 100 par rapport à ce qu’il était auparavant. En donnant l’exemple, nous pouvons, espérons-le, modifier les attitudes tant au niveau politique que local.