Partager:

Musées et patrimoine : le pouvoir de convaincre au service du mieux-vivre

Le Distillery District de Toronto (Photo : Josh Evnin)

L'économie du patrimoine, Les bâtiments et l'architecture, La communauté, Réutilisation adaptative

Date de publication : oct. 01, 2019

Photo : Le Distillery District de Toronto (Photo : Josh Evnin)

Les musées et le patrimoine architectural sont les moteurs de la réhabilitation et de la revitalisation des villes. L’agence Lord Cultural Resources a mis ses talents au service de 2 600 musées, projets culturels, parcs et bibliothèques répartis dans 450 villes à l’étranger. Et ces 30 dernières années, j’ai été le témoin privilégié de cette montée en puissance.

Nous, Ontariennes et Ontariens, pouvons-nous honorer de ce que la plupart de nos villes et centres-villes sont aujourd’hui des lieux où il fait mieux vivre, des lieux où l’on aspire véritablement à résider. Ces espaces, toujours plus agréables, doivent toutefois être préservés en tant qu’environnements propices à la vie. Dans cet esprit, les musées et les sites patrimoniaux doivent s’allier aux organismes et aux établissements qui créent du lien au travers d’actions autour de la santé et du bien-être, du logement abordable, de l’éducation, du logement des aînés, de l’accueil des immigrants et de la création d’emplois. J’évoque ces partenariats dans mon dernier livre, Cities, Museums and Soft Power (Villes, musées et pouvoir de convaincre) [traduction].

Le pouvoir de convaincre (« soft power » en anglais) est un concept théorisé par le professeur Joseph Nye au début des années 1990 pour illustrer de quelle manière on peut s’appuyer sur la persuasion, la force d’attraction et la capacité à modeler l’ordre du jour pour influencer le cours des choses, au lieu de recourir à l’approche coercitive fondée sur des leviers militaires et économiques. Au cours des quatre dernières années, le rôle du pouvoir de convaincre dans la diplomatie culturelle mondiale a fait l’objet d’un débat accru. Néanmoins, l’ouvrage que nous publions s’intéresse en premier lieu à l’application de ce pouvoir de convaincre au sein des collectivités, et s’interroge notamment sur la façon dont les musées, les sites du patrimoine et la culture peuvent contribuer à tisser des réseaux au service de la société, qui encouragent le changement culturel et offrent aux citoyens les outils nécessaires pour créer une société où il fait bon vivre. Nous avons cerné 32 stratégies que les musées et les organismes culturels peuvent appliquer pour mettre en œuvre leur pouvoir de convaincre. Voici cinq d’entre elles.

Woodland Cultural Centre, Brantford (Photo : Wikimedia Commons : Illustratedjc)

Woodland Cultural Centre, Brantford (Photo : Wikimedia Commons : Illustratedjc)

Former, tout au long de la vie

En collaboration avec les bibliothèques, les théâtres et les galeries d’art, les musées peuvent s’organiser de manière à devenir un vivier de ressources pour les écoles et les établissements de formation continue, ainsi qu’un relais pour l’apprentissage et l’acquisition de compétences professionnelles. Ce point est particulièrement important, car de nos jours, nous changeons d’emploi et déménageons plus souvent que ne le faisaient les générations précédentes. L’enrichissement continu des compétences profite à toutes et tous. Et une société propice à la vie est une société où règne l’empathie. Quel meilleur endroit pour nouer le dialogue entre les générations qu’un musée ou un site patrimonial, où elles pourront explorer, ensemble, les objets récents ou anciens?

Rapprocher et unir

Le sociologue Robert Putnam a mis en lumière ces deux comportements qui président à la création du capital social (à savoir la capacité des individus à faire front commun pour résoudre les problèmes : le rapprochement [bridging], qui se manifeste lorsque des personnes issues de milieux différents mettent en commun leurs idées, et l’union par des liens solides [bonding], lorsque des personnes issues d’un même milieu ou ayant des points de vue similaires collaborent pour s’aider mutuellement). Ces 20 dernières années, nous avons constaté que la communication numérique a renforcé les liens solides entre des groupes homogènes, alors même que l’hétérogénéité de la société est aujourd’hui plus marquée. Trop souvent, les musées et les sites patrimoniaux unissent des personnes ayant en commun des valeurs éducatives ou culturelles. Or, si ces musées et sites travaillent main dans la main avec des organismes fournissant des services de santé et des services sociaux, ils contribueront à bâtir un capital social par l’ouverture aux idées nouvelles et l’interaction avec des personnes issues d’horizons divers.

Intégrer la culture locale à la planification

L’intégration de la culture locale à la planification est une méthode ascendante de planification culturelle que Lord Cultural Resources a introduite dans de nombreuses villes. Les musées et les établissements œuvrant pour le patrimoine se trouvent souvent au premier rang lors du processus de planification, mais la stratégie de soutien la plus prometteuse passe par une approche de proximité. Une fois les projets définis (ouverture d’une bibliothèque, préservation d’une structure historique, des journées portes ouvertes, ou un programme « Portes ouvertes »), il convient d’encourager chaque service de la ville à s’investir. Ainsi, la ville dans son ensemble, mais aussi ses employés, seront impliqués dans la vie historique, patrimoniale et artistique locale, non seulement par l’intermédiaire d’événements ponctuels ou de projets d’investissement, mais également au travers de chaque composante du quotidien de la ville – de la gestion des déchets au logement en passant par les services à la personne.

Transversalité du pouvoir

Du point de vue administratif, les musées et les organismes œuvrant pour la conservation peuvent être considérés comme un continuum – composé d’entités appartenant à l’État et gérées par celui-ci, et d’entités privées. Au centre se trouvent divers acteurs – publics ou privés – de la société civile. Ce sont les organismes de la société civile qui disposent du plus fort potentiel de pouvoir de convaincre, car chacun détient une partie du pouvoir. La transversalité du pouvoir est au pouvoir de convaincre ce que la concentration du pouvoir est au pouvoir de coercition. Dans la société civile, les organismes culturels dont les efforts portent leurs fruits sont ceux qui sont structurés en réseaux et disposent de conseils d’administration et de conseils consultatifs hétérogènes; définissent des politiques d’ouverture sur le monde; proposent des offres d’emploi et des possibilités d’avancement qui reflètent la diversité de la société; et offrent des programmes de bénévolat et de stage valorisants.

Union culturelle

Les villes ont compris que la richesse de leur histoire est un levier qui permet de gagner en notoriété; d’attirer des secteurs créatifs, des investissements, de nouveaux résidents et des touristes en exploitant les quartiers historiques et artistiques; de donner une vocation nouvelle et évolutive aux édifices historiques; et de stimuler le tourisme culturel. Ces quartiers d’exception confèrent aux individus un sentiment d’appartenance – ils établissent le lien entre passé, présent et futur dans une société complexe, en pleine mutation. Un édifice patrimonial aura pour les nouveaux arrivants une résonance autre que la valeur prêtée par les défenseurs du patrimoine historique, garants de l’exactitude historique, une valeur qui se distinguera à son tour de l’acception embrassée par les Autochtones. Les efforts de conservation qui permettent aux individus de mettre à l’honneur des pans divers de l’histoire, et qui protègent des œuvres et objets qui ont leur pertinence, s’inscriront davantage dans la durée que les initiatives descendantes. S’ils collaborent avec les organismes locaux pour cerner les lieux méritant d’être classés, établir leurs grandes lignes d’action et trouver un financement, les porteurs de projets patrimoniaux pourraient contribuer à créer une « union culturelle » durable.

Ce sont là seulement cinq pistes parmi les nombreuses stratégies grâce auxquelles les musées et les organismes œuvrant en faveur du patrimoine pourront bâtir des collectivités où il fait bon vivre. Mais sans aide, il nous sera impossible d’atteindre cet objectif. Il est capital d’investir dans les musées, la conservation du patrimoine, les écoles, les hôpitaux, les installations sportives, les parcs, les transports et les infrastructures pour assurer la pérennité de ces collectivités. Il est temps que le monde des musées et du patrimoine contribue à réaliser cet objectif en usant de son pouvoir de convaincre. [Photos avec l’aimable autorisation de Gail Lord]