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Différentes perspectives d’un même site : artéfacts, fragments et couches

Les fouilles de 2007 ont mis au jour le dépôt de glace et le fumoir de la maison Macdonell

L'archéologie, Les bâtiments et l'architecture

Date de publication : déc. 05, 2014

Photo : Les fouilles de 2007 ont mis au jour le dépôt de glace et le fumoir de la maison Macdonell

Lorsque la Fiducie œuvre à la conservation d’une propriété aussi complexe que la maison Macdonell-Williamson, elle examine le site dans sa dimension d’artéfact sous plusieurs angles – aussi bien en surface que dans le sous-sol. Explorer le paysage souterrain peut permettre d’expliquer le contexte plus large dans lequel s’inscrit le site, révélant ainsi son environnement historique, économique, politique et culturel. Des indications historiques uniques en leur genre sont aussi conservées dans l’architecture, ce qui nous permet de comprendre l’évolution de la structure du bâtiment et son utilisation au fil du temps. L’exploration de la demeure dans ses moindres recoins dévoile un passé stratifié qui contribue à illustrer une période importante dans le développement du Canada.

Les perspectives suivantes convergent pour créer un prisme unique à travers lequel nous pouvons mieux comprendre ce site et la place qu’il occupe dans notre histoire.

Plus de 135 000 artéfacts ont été découverts lors des nombreuses fouilles effectuées sur le site de la maison Macdonell-Williamson. À partir du haut à gauche, dans le sens des aiguilles d’une montre : plat avec bordure bleue, boucles de harnais pour chevaux, bouteille en grès avec bouchon intact, boutons et cuillère.

L’archéologie par Dena Doroszenko

L’archéologie lève le voile sur les événements qui se sont produits dans le passé, aussi bien lointain que proche, grâce à la découverte, à l’examen et à l’interprétation de fragments. La nature même des artéfacts en fait des objets évocateurs du passé, qui peuvent aussi être étudiés et expliqués.

Le site de la maison Macdonell-Williamson, propriété de la Fiducie située sur un promontoire surplombant la rivière des Outaouais, offre un paysage d’artéfacts – la demeure en pierre emblématique datant du XVIIIe siècle étant sans doute l’artéfact le plus complexe d’entre eux. Sur ce site, l’archéologie souterraine et l’archéologie de surface sont utilisées pour enrichir le récit historique mais aussi pour développer une expérience d’interprétation englobant les concepts de patine, d’artéfact et de vestige ainsi que leur importance.

Le passé lointain

« Spanish John » Macdonell s’installe dans l’État de New York puis à St. Andrews West au début des années 1790. En 1793, son fils John, âgé de 25 ans, commence à travailler comme commis pour la Compagnie du Nord-Ouest, dont il devient rapidement associé. Il fonde une grande famille avec son épouse, Magdelaine Poitras. À sa retraite, il déménage à Montréal avec sa famille et, en 1813, fait l’acquisition d’une vaste propriété au bord de la rivière des Outaouais, près du village de Pointe-Fortune et des rapides Carillon.

Le terrain acheté par Macdonell avait à l’origine été obtenu par William Fortune par lettres patentes en 1788 et comptait de nombreuses constructions. L’imposante demeure que Macdonell y fait ériger en 1817 semble indiquer que la famille vivait dans une certaine opulence. Pourtant, les documents historiques et les relevés archéologiques montrent que Macdonell n’a jamais atteint une telle prospérité.

Dès 1820, trois années seulement après avoir entamé la construction de sa maison, Macdonell connaît des difficultés financières. Les années qui suivent ne l’épargnent pas, puisqu’il est accablé par d’incessants problèmes financiers et par des drames personnels. Malgré tout, son entreprise de transit semble, dans les premiers temps, rencontrer le succès. En 1821, en revanche, la compagnie de traite des fourrures pour laquelle Macdonell avait autrefois travaillé disparaît suite à sa fusion avec la compagnie concurrente – la Compagnie de la Baie d’Hudson. Ce rebondissement a de fortes répercussions sur la vie de Macdonell, dont les revenus issus de la participation qu’il détient dans la traite des fourrures sont bien inférieurs à ce qu’il croyait en obtenir. Les effets de ce revers de fortune, qui intervient alors que Macdonell est en train de faire construire sa vaste demeure, ne tardent probablement pas à se faire sentir. Pire encore, l’emplacement choisi par Macdonell pour y bâtir sa maison perd tout intérêt lorsque la Compagnie de la Baie d’Hudson décide de ne pas utiliser la voie navigable de la rivière des Outaouais pour l’acheminement des biens vers l’intérieur.

John Macdonell décède chez lui le 17 avril 1850, à l’âge de 81 ans. Il lègue la maison à son fils John Beverly Palafox Macdonell. En 1882, lorsque la propriété est vendue à la famille Williamson, elle ne compte plus que trois acres (un hectare) sur les 1 400 acres (566 hectares) d’origine. La famille Williamson et ses descendants occuperont la maison pendant les 79 années suivantes et y apporteront d’importantes modifications ainsi qu’aux dépendances. Toutefois, ils préserveront les trois acres aujourd’hui détenus en fiducie par la Fiducie du patrimoine ontarien.

Le passé proche

Le destin de la maison semble scellé lorsque celle-ci est expropriée par Hydro-Québec en 1961 en vue d’un aménagement hydro-électrique à Carillon. Le barrage est finalement construit plus en amont et la maison est épargnée, quoique laissée à l’abandon. Le gouvernement du Canada la désigne lieu historique national en 1969 et la Fiducie du patrimoine ontarien en fait l’acquisition en 1978. En 1995, les Amis de la maison MacdonellWilliamson voient le jour pour devenir le partenaire exploitant de la Fiducie et gérer la propriété en tant qu’attraction patrimoniale saisonnière. Ce partenariat sera à l’origine d’une période d’investissement pour l’étude, l’exploration archéologique et la préservation architecturale du site, qui se poursuit encore aujourd’hui.

Les fondations en pierre du magasin de Macdonell datant de 1822

Les fondations en pierre du magasin de Macdonell datant de 1822

Le paysage archéologique

Le domaine Macdonell-Williamson a considérablement évolué en plus de 220 ans d’existence. Le paysage archéologique est un construit culturel par le biais duquel notre perception du territoire est transformée et modifiée par notre compréhension de l’histoire telle que l’archéologie nous la fait partiellement découvrir. Le site actuel est toutefois différent de ce qu’il était autrefois – une exploitation agricole et une entreprise prospères s’inscrivant dans une culture villageoise. L’envie de déchiffrer ce paysage de vestiges documenté par des données historiques a donné lieu à une série de recherches archéologiques à partir de 1978.

On sait que John Macdonell fut un bâtisseur prolifique pendant qu’il occupait la propriété. Entre 1817 et 1842, il y a fait construire plus de 20 dépendances; rien que sur une surface d’un acre, six dépendances ont été découvertes depuis 1981 grâce aux travaux archéologiques.

Plusieurs fouilles ont permis de glaner une foule de renseignements et de mettre au jour de nombreux éléments physiques, notamment des éléments de nature structurelle attestant l’existence de constructions préalables. On a trouvé au nord de la maison les fondations du magasin de vente au détail construit par Macdonell en 1822, tandis que les fouilles menées à l’est de l’entrée du sous-sol ont fait apparaitre d’énormes fondations en pierre qui s’étendent en diagonale jusqu’au mur principal de la maison. La découverte de pièces de monnaie datant du XVIIIe siècle qui y sont associées pourrait indiquer que cette structure correspond à l’un des bâtiments construits par William Fortune (que l’on retrouve sur un plan de 1797). Les fouilles menées au niveau de la pelouse située au sudest ont mis au jour l’assise d’une voie d’accès datant de la fin du XIXe siècle ainsi qu’un mur posé à sec. Ce mur pourrait correspondre à l’un des édifices de Macdonell visible sur le plan historique de la propriété réalisé en 1829.

La campagne d’exploration de 2003 a mis au jour les fondations en pierre d’un bâtiment antérieur, plus anciennes que celles découvertes à l’extrémité nord de l’entrepôt situé du côté nord de la maison. Ces fondations en pierre représentent probablement le dépôt de glace et le fumoir, également visibles sur le plan de 1829. Près de la maison, le long des façades ouest et sud, on a découvert cinq encadrements de soupirail en pierre restés intacts et un encadrement démoli. Les fenêtres murées sont toujours visibles sur les murs du sous-sol de la maison.

Toutes ces fondations, exhumées avec le plus grand soin, ont été documentées avant d’être minutieusement remblayées pour garantir leur préservation. Elles sont à nouveau hors de la vue des visiteurs. Toutefois, elles font maintenant partie du paysage archéologique à des fins d’interprétation.

Les recherches archéologiques ont permis de dénicher plus de 135 000 artéfacts sur le domaine Macdonell-Williamson et de comprendre comment le paysage de ferme avait évolué au fil du temps. L’emplacement des fondations sur ce site semble témoigner d’une concentration autour de la maison. Sur la pelouse est, un ensemble de dépendances entourent la maison, comme pour former une cour d’entrée.

Ces dépendances incluent le magasin de vente au détail datant de 1822, le dépôt de glace et le fumoir, ainsi peutêtre qu’un hangar à voitures à cheval ou une écurie. Elles sont toutes associées à des fonctions de la vie domestique ainsi qu’aux besoins personnels et commerciaux des occupants de la maison, mais pas nécessairement aux affaires de l’exploitation agricole et du domaine dans leur ensemble. Le chemin qui mène actuellement aux abords de la maison au sud pourrait avoir été conçu comme une allée tandis que les dépendances liées à l’agriculture et au bétail auraient été placées de l’autre côté, à l’écart de la maison. Au fur et à mesure que les exploitations agricoles se sont développées et que le patrimoine des exploitants s’est élargi, la disposition s’est modifiée, favorisant plutôt une organisation selon un plan dispersé autour de cours, avec une distinction nette entre l’exploitation agricole et la maison de ferme. Il semble que Macdonell ait adopté cette configuration, créant ainsi une séparation entre les différentes fonctions de la ferme – c’est-à-dire en dissociant son domicile de ses intérêts commerciaux.

Les fragments archéologiques

Les artéfacts permettent aux archéologues de reconstituer le passé et de formuler des théories sur la manière dont l’évolution sociale, économique et technologique d’un foyer a eu des répercussions sur le déplacement de ces objets ou fragments au fil du temps.

Parfois, l’archéologie sert à documenter le passé avant que ses traces ne disparaissent complètement ou ne soient supprimées. Cela a par exemple été le cas lorsque la moitié du sous-sol de la maison a été fouillée préalablement à l’installation d’une nouvelle dalle de plancher. On peut tirer des conclusions d’ordre général quant à la nature de la sédimentation du grand nombre d’artéfacts découverts.

On a retrouvé de nombreux ossements d’animaux attestant le problème d’invasion de la propriété par les rongeurs au fil des années. La grande quantité de clous découverts témoigne du remplacement du plancher en bois dans la maison, au moins à deux reprises, qui sera suivi de la désintégration progressive des planches de plancher existantes en raison de l’humidité croissante. On a relevé la présence de la structure d’origine de solive de plancher dans toute la moitié est du sous-sol, ainsi que celle des âtres de cheminée en pierre d’origine dans les pièces côté nord-est et sud-est. On a également découvert un artéfact remarquable : un bol à thé Copeland and Garrett/Late Spode (impression bleue par transfert, v. 1833-1847). Des fragments de ce bol ont été retrouvés lors des fouilles de 1981 et, lors de la campagne de fouilles de 2009, on a déterré d’autres fragments qui venaient directement compléter ce récipient, permettant ainsi d’en reconstruire la forme d’origine.

Manteau de cheminée de l’époque georgienne à Drayton Hall

L’artéfact d’architecture par Romas Bubelis

Les artéfacts archéologiques historiques exhumés sont des objets statiques qui ne sont plus utilisés aujourd’hui pour remplir leur fonction d’origine. Un artéfact d’architecture, en revanche, est un objet qui, à l’image de la maison Macdonell-Williamson, continue d’être utilisé et, par conséquent, est soumis à un changement permanent.

Ce changement peut se matérialiser sous la forme d’une volonté de remonter le temps par le biais de travaux de restauration, voire de reconstruction, ou de se tourner vers l’avenir par l’intermédiaire de travaux de réhabilitation et de conservation intégrée. Mais si l’on accorde une certaine valeur aux boiseries et aux éléments d’origine ayant subi les effets du temps, alors il convient d’adopter une approche de préservation des fragments, de la patine et des couches.

En 2014, dans le cadre d’un projet visant à renforcer la charpente en bois de la maison Macdonell-Williamson, il a fallu vider la demeure de tout ce qu’elle contenait. Retirer le mobilier a mis en évidence la nature d’artéfact de la maison et a soulevé des questions liées à l’intérêt que présente le vide, au caractère percutant des vestiges dans le cadre d’une stratégie d’interprétation et au rôle de l’archéologie du bâti pour comprendre les couches qui forment la structure encore présente de l’édifice.

Précédents

Le vide n’est jamais aussi enchanteur que dans le cas des vestiges architecturaux, où l’appréciation des effets du passage du temps s’accompagne d’une certaine sensation d’abandon et de mélancolie et où l’activité humaine se conjugue au passé.

Tirer parti du vide, de ce qui est partiellement à l’état de vestige et de l’archéologie du bâti au sein de musées du patrimoine n’est pas inédit. Drayton Hall, près de Charleston (Caroline du Sud), est l’une des maisons de maître de plantation les plus anciennes qui soient préservées aux États-Unis. Construite en 1738, elle a conservé la majeure partie de ses moulures en plâtre intérieures et de ses belles menuiseries et boiseries de style georgien, ce qui est assez exceptionnel pour être souligné. Après avoir habité cette demeure pendant sept générations, la famille Drayton a fait don de cette propriété à la National Trust for Historic Preservation en 1974. La National Trust a alors pris la décision peu commune de préserver la maison dans l’état où elle l’avait reçue. À ce jour, celle-ci ne dispose pas de mécanismes modernes de régulation des conditions ambiantes et tient lieu de laboratoire permettant l’étude des techniques de conservation de sa structure datant du XVIIIe siècle. Bien qu’il s’agisse d’une attraction patrimoniale, on en a volontairement ôté le mobilier et les objets culturels afin de mettre l’accent sur l’édifice, qui constitue un artéfact digne d’être étudié. Que ce soit intentionnel ou non, la majesté mélancolique des lieux apparaît intensifiée par leur vacuité.

Autre précédent plus récent : le Tenement Museum, dans le quartier du Lower East Side à New York. Fondé en 1988, ce musée cherche à interpréter l’expérience des immigrants au XIXe et au XXe siècle telle qu’elle a été vécue dans un immeuble locatif de qualité minimale typique de l’époque. Ledit immeuble date de 1863 et a abrité des centaines de familles. Au cours de ses 72 années d’exploitation, il a fait l’objet de nombreuses modifications. Muré puis laissé à l’abandon en 1935, il s’est conservé telle une capsule témoin pendant les 50 années suivantes.

La moitié de ses appartements ont été restaurés, meublés et interprétés afin de rendre compte de la vie des anciens locataires à certaines époques, tandis que les autres appartements ont été laissés dans l’état où ils ont été trouvés – dépourvus de meubles, dotés d’installations anciennes, présentant une peinture défraichie écaillée et des balustrades ébréchées ainsi que des escaliers et des encadrements de porte usés – retenant les traces laissées par leurs anciens occupants. On accède à la partie restaurée en passant par celle qui a été laissée dans l’état où elle a été découverte. Dans ces pièces et couloirs oppressants, on réfléchit au quotidien des personnes qui vivaient dans ces logements précaires et on se prend à imaginer ce qu’a pu être leur vie. Dans le document énonçant sa philosophie de préservation, le cabinet d’architecture Li-Saltzman indique que ce projet « vise à maintenir la sensation tangible d’histoire que renferment ses murs et à rendre compte de ce qu’étaient ces appartements de qualité minimale aussi bien à l’époque où ils étaient occupés que lorsqu’ils ont été découverts » (traduction libre).

La maison Macdonell-Williamson de Pointe-Fortune vient s’insérer à mi-chemin entre la majesté exceptionnelle de Drayton Hall et l’humilité du Tenement Museum de New York. À son démarrage en 1817, la construction de la maison Macdonell-Williamson constituait une entreprise des plus grandiose aussi bien en termes de surface que de savoir-faire, étant donné que Pointe-Fortune se situait à l’époque en pleine nature sauvage au bord de la rivière des Outaouais à quelque 60 milles (100 kilomètres) en amont de Montréal. Les pièces principales ont été ornées de corniches en plâtre décoratives et d’encadrements de fenêtre en lambris d’une qualité exceptionnelle. Au deuxième étage, une salle de bal de belles dimensions arbore en son plafond un médaillon travaillé. Les chambres se présentaient sous la forme d’un ensemble de placards-lits disposés autour d’un salon commun pourvu d’une cheminée. Il s’agissait d’un système ingénieux pour cette famille qui comptait douze enfants étant donnée la difficulté à chauffer une telle demeure. À l’époque, cette maison devait être d’une beauté exceptionnelle.

Le four à pâtisserie et foyer ouvert du sous-sol, préservé à l’état de vestige architectural

Le four à pâtisserie et foyer ouvert du sous-sol, préservé à l’état de vestige architectural

Le caractère percutant des vestiges

Il va de soi que le site visible aujourd’hui est bien différent, mais il n’en est pas moins intriguant – son identité visuelle est devenue complexe et confuse en raison des circonstances historiques qui ont déterminé son évolution. On retrouve des fragments datant de différentes époques qui, mis ensemble, sont plus évocateurs de la vie de l’édifice que ne le serait une restauration ou une reconstruction imitant le bâtiment d’origine. Il faut une certaine conscience archéologique, alliant la recherche, l’observation et l’analyse, pour voir au-delà de la détérioration et apprécier la structure de l’édifice.

En raison des difficultés financières de John Macdonell – et de celles de son fils ensuite – les espaces intérieurs, quoique majestueux, n’ont pas été redécorés aussi souvent que de coutume. Toutefois, la famille Williamson a sans le vouloir protégé nombre des boiseries des premières années en les recouvrant de papier peint. Au cours des 80 années qui ont suivi le départ de la famille Macdonell, la maison n’était généralement utilisée qu’en saison. L’électricité n’y a jamais été installée, pas plus que des systèmes de plomberie ou de chauffage, hormis les cheminées d’origine. C’est en grande partie parce que la demeure n’a pas été modernisée qu’il en émane aujourd’hui une atmosphère ancienne. Enfin, la maison est restée inoccupée entre 1961, année de son expropriation, et 1995 environ. Pendant cette longue période, de nombreux éléments ont disparu en raison d’actes de vandalisme et de vol ainsi que d’une détérioration accélérée causée par l’eau.

La valeur patrimoniale nationale que présente encore ce site réside principalement dans la qualité et la quantité des moulures décoratives et des boiseries peintes qui ont perduré depuis le début du XIXe siècle. Celles du deuxième étage présentent un intérêt particulier puisqu’elles n’ont pas été restaurées et permettent d’apprécier le passage du temps. Des morceaux de la corniche en plâtre moulurée en creux ornée de feuilles de vigne et d’une rangée de feuilles d’acanthe en saillie manquent par endroits, mais il en reste une quantité largement suffisante pour se représenter sa splendeur passée.

Celle-ci est d’ailleurs visible en coupe transversale dans les cassures. Le plâtre qui subsiste est fragile – la chaux en son centre a été lessivée et il ne reste plus que du sable recouvert d’une fine couche extérieure de gypse. La majeure partie de ces moulures décoratives a été peinte à la calcimine. L’escalier est doté d’un plafond incurvé peint à la calcimine, d’un bleu foncé intense mat caractéristique des premières années de l’édifice.

La calcimine est une peinture soluble dans l’eau qui était privilégiée pour les moulures en plâtre, car elle pouvait facilement être enlevée avant la pose d’un nouveau revêtement, évitant ainsi que l’accumulation de couches de peinture n’alourdisse les formes. Le fait qu’elle ait tenu jusqu’au XXIe siècle est inattendu et rare. Ailleurs, les murs ont été recouverts de couches successives de différentes couleurs, aujourd’hui défraichies ou ébréchées par endroits, ce qui crée une riche structure colorée de profondeur et de texture. Au sous-sol, il ne subsiste que des fragments du plafond en plâtre sur lattis d’origine, fixé entre des poutres en bois équarri soulignées par des bourrelets de bordure décoratifs. À l’inverse, la corniche en plâtre de la salle à manger du rez-de-chaussée est intacte et ne nécessite que de menues réparations pour conserver son intégrité d’origine.

Interpretation

Aujourd’hui, la maison allie le résultat d’efforts de préservation récents (de réhabilitation et de restauration) avec des éléments préservés à l’état de vestige partiel. Ces derniers sont précieux car, contrairement aux premiers, ils ne peuvent pas être reconstitués. Comme les fragments d’artéfacts archéologiques, ces artéfacts d’architecture sont plus parlants lorsqu’on ne les modifie pas et qu’on les isole.

L’architecte de restauration Peter John Stokes avait peut-être vu juste dans le rapport remis à la Commission des lieux et monuments historiques du Canada en 1969. Il y écrivait : « Le meilleur plan serait peut-être une utilisation muséologique qui évoluerait et qui aurait recours uniquement à certaines pièces de mobilier et à des panneaux d’interprétation permettant de mettre en valeur le caractère exceptionnel des intérieurs » (traduction libre).

La moulure de corniche en plâtre de la salle de bal du deuxième étage, avec sa peinture à la calcimine, tombant partiellement en ruine

Photo: La moulure de corniche en plâtre de la salle de bal du deuxième étage, avec sa peinture à la calcimine, tombant partiellement en ruine

Plan du deuxième étage, v. 1817, montrant le plan originel des trois salons, chacun entouré de trois placards-lits

Photo: Plan du deuxième étage, v. 1817, montrant le plan originel des trois salons, chacun entouré de trois placards-lits

Salon singulier du deuxième étage avec ses placards-lits et ses finitions originelles intactes, peintes à la calcimine

Photo: Salon singulier du deuxième étage avec ses placards-lits et ses finitions originelles intactes, peintes à la calcimine

La cheminée de la salle de réception a été restaurée dans le style de 1817 : elle présente un âtre en brique et une enceinte sculptée ainsi qu’une reproduction du manteau en bois peint

Photo: La cheminée de la salle de réception a été restaurée dans le style de 1817 : elle présente un âtre en brique et une enceinte sculptée ainsi qu’une reproduction du manteau en bois peint