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Réparer les cœurs : les innovations dans le domaine de la chirurgie cardiaque

Le Dr Wilfred G. Bigelow, A2012-0009/002 (69), University of Toronto Archives (UTA), Robert Lansdale Photography Ltd.

Par

La Dre Shelley McKellar

Le patrimoine médical

Date de publication :12 févr. 2016

Photo : Le Dr Wilfred G. Bigelow, A2012-0009/002 (69), University of Toronto Archives (UTA), Robert Lansdale Photography Ltd.

Jadis considéré comme une zone interdite au scalpel du chirurgien, un cœur malade n’est plus synonyme de sentence de mort immédiate.

En 1900, la communauté médicale ne peut soigner que les symptômes d’une maladie du cœur. Les médecins proposent de la digitaline pour traiter l’insuffisance cardiaque, des diurétiques administrés par voie orale pour combattre la rétention d’eau qu’elle provoque et, à partir des années 1930, des médicaments pour faire baisser la tension artérielle. Divers médicaments sont prescrits pour améliorer la contraction du muscle cardiaque, alléger le travail du cœur et protéger des caillots, mais n’inversent que rarement les dommages cardiaques. Le milieu du siècle voit l’apparition de nouvelles interventions chirurgicales pour remédier aux cardiopathies congénitales et acquises, lesquelles doivent beaucoup aux travaux novateurs de plusieurs chirurgiens ontariens : les docteurs Wilfred Bigelow (1913-2005) et William Mustard (1914-1987) à Toronto, et le docteur Wilbert Keon (né en 1935) à Ottawa. Pour les Canadiens et les Canadiennes, leurs travaux marquent l’avènement de l’ère tant annoncée de la chirurgie à cœur ouvert et des opérations de chirurgie cardiaque correctrice.

Avant 1950, seule une poignée de chirurgiens, notamment le docteur Gordon Murray (1894-1976) de l’Hôpital Toronto General, opère à cœur ouvert, intervenant sur des cœurs qui battent, gorgés de sang, pour boucher les trous des parois cardiaques d’enfants ou pour ouvrir les valvules durcies de cœurs adultes. Mais le succès de ces opérations est limité. Ce sont les docteurs Wilfred Bigelow et William Mustard qui montrent le chemin à la génération suivante de chirurgiens pratiquant la chirurgie à cœur ouvert en inventant de nouvelles techniques permettant de réaliser des interventions cardiaques correctrices plus complexes avec des résultats plus probants.

Le Dr W.G. Bigelow et ses collègues participant à l’étude sur l’état d’hibernation sont groupés autour d’un électrocardiographe et d’un bain réfrigérant. Archives de l’Université de Toronto (printemps 1961), p. 56-57. Photo : Archives de l’Université de Toronto, Robert Lansdale Photography Ltd.

En 1947, Wilfred Bigelow se met à étudier les effets de l’hypothermie générale sur le métabolisme du corps, s’intéressant tout particulièrement à l’incidence de basses températures corporelles sur la fonction cardiaque. L’idée est de refroidir l’ensemble du corps, de réduire les besoins en oxygène, d’interrompre la circulation puis d’ouvrir le cœur pour remédier au problème. Il parvient avec succès à mettre au point une technique d’hypothermie qui coupe la circulation du sang vers le cœur pendant huit minutes, livrant ainsi un cœur pratiquement exsangue au chirurgien, et ce, sans dommage au cerveau du patient. Dans ses écrits, le docteur Bigelow se remémore le scepticisme initial de ses collègues : « C’était un blasphème. Ce concept était en contradiction totale avec les enseignements qui avaient alors cours, lesquels préconisaient d’éviter toute chute de la température corporelle. » (Traduction libre) Dès le début des années 1950, la communauté médicale loue l’hypothermie comme une méthode aisée et sûre de procéder à la correction chirurgicale de malformations cardiaques simples. Durant la même période, le docteur Bigelow et l’ingénieur du National Research Council Jack Hopps conçoivent également un stimulateur cardiaque externe dérivé des recherches sur l’hypothermie, dans le but de réanimer par stimulation électrique les cœurs qui se sont arrêtés.

À l’Hospital for Sick Children de Toronto, il faut cependant plus de huit minutes au docteur William Mustard pour réparer les cœurs lésés des nouveau-nés atteints de la maladie bleue, souffrant d’une remise en circulation du sang désoxygéné qui donne à leur peau, leurs lèvres et leurs ongles une teinte bleue. Peu de ces nouveau-nés parviennent à l’âge adulte avec cette maladie congénitale. Aussi, imagine-t-on une méthode pour faire circuler le sang à l’extérieur du corps et l’oxygéner pendant que les chirurgiens remédient aux malformations cardiaques des patients. Le docteur Mustard réalise des expériences faisant appel à des poumons de singe comme oxygénateur biologique relié à une pompe à sang. Au cours des années 1950, il opère 28 enfants en employant cette méthode, mais seuls trois d’entre eux survivent. Il délaisse alors les poumons de singe en faveur d’oxygénateurs mécaniques et obtient de meilleurs résultats chez les patients. En 1963, il introduit une nouvelle opération de transposition des gros vaisseaux chez les nouveau-nés souffrant de la maladie bleue, qui sera connue sous le nom d’« opération de Mustard ».

Fondé par le docteur Wilbert Keon, l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa ouvre ses portes en 1976 et devient rapidement un centre d’étude et de traitement des maladies cardiovasculaires de pointe. En 1981, on y pratique la première angioplastie (intervention chirurgicale pour déboucher un vaisseau sanguin) réalisée en Ontario. En 1986, le docteur Keon remplace le cœur défaillant de Noella Leclair par un cœur mécanique afin de la maintenir en vie, ce qui en fait la première patiente au Canada à recevoir un cœur artificiel Jarvik. Une semaine plus tard, il remplace le dispositif par le cœur d’un donneur, permettant à Noella de vivre 20 années de plus.

La chirurgie en tant que traitement s’est développée tout au long du XXe siècle, de la simple ablation au remplacement de parties entières du corps, en passant par la réparation des structures endommagées. Ce sont des chirurgienschercheurs ontariens tels que les docteurs Wilfred Bigelow, William Mustard et Wilbert Keon qui, en entrevoyant les possibilités qu’elle offrait, ont repoussé les limites de la chirurgie cardiaque en introduisant de nouvelles techniques audacieuses. Au final, des milliers de Canadiens et de Canadiennes profitent aujourd’hui de procédures salvatrices rendues possibles par ces innovations dans le domaine de la chirurgie à cœur ouvert.

Le Dr William Mustard (Photo reproduite avec l’aimable autorisation du service des archives de l’Hospital for Sick Children, Toronto)

Photo: Le Dr William Mustard (Photo reproduite avec l’aimable autorisation du service des archives de l’Hospital for Sick Children, Toronto)

L’appareil de dérivation du Dr William Mustard, qui permettait de suspendre des poumons de singe dans le réceptacle en verre afin de s’en servir comme oxygénateur (Photo reproduite avec l’aimable autorisation du service des archives de l’Hospital for Sick Children, Toronto)

Photo: L’appareil de dérivation du Dr William Mustard, qui permettait de suspendre des poumons de singe dans le réceptacle en verre afin de s’en servir comme oxygénateur (Photo reproduite avec l’aimable autorisation du service des archives de l’Hospital for Sick Children, Toronto)