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Suffrage et femmes autochtones au Canada

Cynthia Wesley-Esquimaux (à gauche) avec Elizabeth Penashue, née dans une famille de chasseurs et piégeurs innus qui vivait à Kanekuanikat, entre Esker et Churchill Falls, au Labrador. Elizabeth Penashue a déménagé à Sheshatshiu dans les années 1960 lorsque sa famille et sa nation ont été encouragées à se déplacer afin de faciliter leur intégration à la société canadienne par l’éducation et un mode de vie moins nomade. Photo offerte par l’auteure.

"Nous savons que nous sommes des leaders. Nous sommes les porteuses de la culture, des chants, de l’espoir, de la ténacité et d’une incroyable persévérance. Parce que nous sommes encore ici, nous savons que nous avons gagné."

Par

Cynthia Wesley-Esquimaux

Le patrimoine des femmes, Le patrimoine autochtone

Date de publication :20 mars 2018

Photo : Cynthia Wesley-Esquimaux (à gauche) avec Elizabeth Penashue, née dans une famille de chasseurs et piégeurs innus qui vivait à Kanekuanikat, entre Esker et Churchill Falls, au Labrador. Elizabeth Penashue a déménagé à Sheshatshiu dans les années 1960 lorsque sa famille et sa nation ont été encouragées à se déplacer afin de faciliter leur intégration à la société canadienne par l’éducation et un mode de vie moins nomade. Photo offerte par l’auteure.

À quoi pouvait ressembler une enfance dans une société qui ne commence que maintenant à prendre en compte et à respecter les contributions des femmes autochtones? Lorsque l’on nous pose cette question, beaucoup trop d’entre nous sont ramenées aux expériences de nos mères (et de nos pères), vécues dans les pensionnats indiens avant même que nous sachions que de telles choses existaient. Le passé est le passé, et la lumière à la fin du chemin parsemé d’embûches que j’ai dû, comme la plupart d’entre nous, arpenter pour réussir mes études ou ma carrière n’est pas apparue et n’a pansé aucune plaie avant que nous soyons parents, voire grands-parents, nous-mêmes. Dans certains cas, nous avons guidé nos propres enfants sur ce même chemin vers l’enfer. Il nous fallait intégrer notre invisibilité, étouffer cette impression que rien n’arriverait jamais dans nos vies, nous cacher silencieusement pour pleurer nos blessures et nous rendre, abandonner notre esprit et, bien trop souvent, notre corps aussi.

Nous nous frayions un chemin au milieu de conversations troublantes, d’une hypersexualisation trop précoce et d’une négligence aux formes variées et confuses. De nombreux moments porteurs de leçons, que nous absorbions, jalonnaient la route. Mais qu’apprenions-nous? Mais quel était le sens de cela pour nous, nos filles, et de ce phénomène déjà absent et évanoui avant même d’avoir fleuri, auquel nous faisons face actuellement? Mais on ne peut pas changer ces questions et « savoirs » sans réponse ni les effacer avec le temps. Nous, les femmes autochtones, dont on a fait planer les cœurs juste au-dessus du sol, à un cheveu bien mince d’être brisés,1 avons reçu cette double lourde tâche : d’un côté, nous devons nous attaquer aux répercussions intergénérationnelles et les démonter et, de l’autre, nous devons définir les mesures nécessaires à la déviation de la trajectoire actuelle de l’existence féminine autochtone dans ce pays. Au-delà de la réplique de Justin Trudeau, « parce qu’on est en 2015 », nous savons qu’il existe une multitude de problématiques « sous la pointe de l’iceberg » qui doivent d’abord être reconnues avant que nous puissions réellement parler de guérison.

Et oui, nous prenons notre place dans tous ces corps de métier qui nous étaient autrefois refusés : nous sommes enseignantes, universitaires, chefs, ingénieures, architectes et médecins. Nous ne faisons que commencer, nous nous multiplierons. Et ce n’est pas maintenant que nous nous arrêterons. Nous étions ici hier, nous sommes ici aujourd’hui et nous serons ici demain.

Le suffrage? Nous avons souffert pendant 600 ans de rage, d’oppression et de pertes; et lorsque nos systèmes de gouvernance traditionnels ont été détruits et que le scrutin a été mis en application, nous avons subi 67 années où le droit de vote nous était refusé. Nous ne pouvions même pas voter au sein de notre propre communauté, pour élire nos propres chefs. Il ne nous a pas été possible de voter librement en Ontario et au Canada avant 1960, même si les femmes autochtones ont obtenu le droit de vote en 1867, À CONDITION qu’elles abandonnent tant leur droit à leur patrimoine et à leurs foyers que leurs réserves. Qui aurait fait ça?

Nous avons nos héroïnes, des « femmes qui ont fait connaître les clauses sexistes de la Loi sur les Indiens de 1876 grâce à leur militantisme et au moyen de poursuites judiciaires. La Loi sur les Indiens, autrefois appelée Acte des Sauvages en français, est un archaïsme de la législation canadienne qui définit le mot colonial dans un pays qui a longtemps nié sa propre histoire. Mary Two-Axe Earley (Mohawk) a lutté contre son expulsion de la réserve de Kahnawake au Québec et l’a fait connaître au monde entier lors de la conférence tenue à l’occasion de l’Année internationale de la femme à Mexico en 1975. En 1973, la Cour suprême a entendu les cas de discrimination concernant Jeannette Corbières Lavell (Anishinaabe) et Yvonne Bédard (Haudenosaunee). En 1977, Sandra Lovelace (Wolastoqiyik) a porté son cas devant le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies. Le comité a statué en sa faveur le 14 août 1979. » Plus récemment, l’arrêt McIvor de 2009 a remis les femmes autochtones sur un pied d’égalité avec leurs homologues masculins concernant la protection de leurs enfants et petits-enfants contre l’expulsion de leurs territoires natifs. En 2017, Lynn Gehl gagne son premier combat contre la discrimination sexuelle dans le libellé de la Loi sur les Indiens.

Alors, où cela nous mène-t-il lorsqu’il est question des droits des femmes, de leur mobilisation lors des élections et de l’exercice de leur influence dans le monde d’aujourd’hui? Les femmes autochtones ont assuré la survivance de leurs cultures et de leurs langues face au colonialisme hostile, à une marginalisation publique et à un silence politique. Notre gouvernement actuel dit « oui », mais quelles en sont les répercussions? Nous devons encore patienter et voir si les prochaines élections traduiront à nouveau une volonté de forcer le changement. Nous ne sommes pas encore convaincues que notre peuple a reçu le tribut qu’il espérait. Mais les femmes autochtones sont des organisatrices pragmatiques et nous n’accepterons plus la défaite. Ensemble, nous élevons nos cœurs pour qu’ils ne forment plus qu’un.

1 Selon un proverbe cheyenne, [traduction] « une nation n’est pas conquise tant que les cœurs de ses femmes ne sont pas abattus. À ce moment, ni la bravoure de ses guerriers ni la force de leurs armes n’ont plus d’importance. »