Partager:

L’apport des technologies numériques à l’archéologie ontarienne

Modélisation d’un artéfact en 3D à partir d’une série d’images.

Par

Neal Ferris, Rhonda Bathurst, Michael Carter et Namir Ahmed

L'archéologie

Date de publication :09 oct. 2015

Photo : Modélisation d’un artéfact en 3D à partir d’une série d’images.

Depuis longtemps, l’archéologie a pris l’habitude de recourir aux nouvelles technologies pour faire avancer la compréhension de notre passé. Qu’il s’agisse de mesurer la décroissance des molécules de dioxyde de carbone dans les restes organiques pour la datation de sites millénaires; de révéler la signature isotopique marquant l’apparition de l’agriculture dans l’antiquité; ou encore d’examiner l’ADN pour identifier des personnages historiques ou déterminer l’interconnexion entre les peuples du monde entier ... Un grand nombre des découvertes majeures en archéologie sont autant le fruit des analyses de laboratoire que des fouilles sur site.

À travers le monde, la tradition veut également que des mesures soient prises pour préserver et documenter les sites archéologiques avant toute activité d’aménagement du territoire. Les efforts consentis ces 50 dernières années par le gouvernement, le secteur de l’aménagement et les archéologues ont permis la documentation de dizaines de milliers de sites archéologiques, ainsi que la collecte massive de vestiges archéologiques, lesquels peuvent tous faire l’objet d’analyses scientifiques et contribuer à la compréhension du passé archéologique (un potentiel dont la réalisation reste néanmoins entravée par la dispersion des collections dans de nombreuses installations d’entreposage, et par le manque d’accessibilité de ces découvertes empêchant les progrès de la recherche ou même l’estimation de ce riche patrimoine retrouvé).

L’Ontario est l’un des chefs de file en ce qui concerne l’exploitation des technologies émergentes au profit de la recherche archéologique et de la conservation du patrimoine archéologique de cette région. L’avenir de l’archéologie verra l’intégration de nouvelles technologies numériques permettant de gérer les activités de conservation des ressources accumulées, concrétisant ainsi leur promesse au travers de l’accès, de l’étude et de la mise à profit du patrimoine archéologique de l’Ontario par les archéologues et par les personnes au sein de la collectivité qui donnent un sens et une valeur à ce patrimoine.

Interaction avec la reproduction en réalité virtuelle d’environnements anciens.

On trouve un parfait exemple de cette tendance dans les actions de Sustainable Archaeology (SA) (Archéologie durable), un centre de recherche qui s’efforce de regrouper en un même lieu ces collections L’apport des technologies numériques à l’archéologie ontarienne Par le professeur Neal Ferris, la professeure Rhonda Bathurst, Michael Carter et Namir Ahmed Modélisation d’un artéfact en 3D à partir d’une série d’images archéologiques éparpillées, d’assurer la prise en charge à long terme de ce patrimoine matériel et de transformer ces artéfacts en données numériques afin de compiler un registre accessible en ligne à des fins de recherche, d’enseignement et de reconnaissance.

Financé par la Fondation canadienne pour l’innovation et par le Fonds pour la recherche en Ontario, SA est un projet conjoint mené par l’Université Western Ontario et l’Université McMaster, en partenariat avec le musée archéologique de l’Ontario (Museum of Ontario Archaeology). Au travers de la compilation des ressources matérielles du patrimoine archéologique de l’Ontario, cette initiative a pour objectif prioritaire de faire évoluer les méthodes actuelles vers une forme de pratique archéologique plus durable prônant la réutilisation à l’envi des objets retrouvés dans la province, et de favoriser une exploitation plus large de ce patrimoine au sein de la société.

Le principal moyen d’atteindre cet objectif consiste à numériser ces milliers de collections archéologiques. Pour ce faire, SA mise en grande partie sur la numérisation des ressources amassées afin de créer des inventaires détaillés pour chaque site, agrémentés d’images et de modèles 3D qui revêtent une grande importance pour la recherche archéologique, dans la mesure où ces artéfacts numériques peuvent ensuite faire l’objet de mesures et d’analyses comparatives virtuelles, réalisées à distance par des archéologues et d’autres experts cherchant à répondre aux questions scientifiques sur les schémas d’interaction entre l’être humain et la matière (soit de manière intensive à travers la région sur une période donnée, soit par recoupement de profondes tendances temporelles) partout dans le monde.

Interaction avec la reproduction en réalité virtuelle d’environnements anciens.

Interaction avec la reproduction en réalité virtuelle d’environnements anciens.

Chez SA, la démarche de numérisation en 3D s’apparente à celle d’une chaîne de montage, ce qui permet la génération relativement rapide d’objets diagnostiques à l’aide d’une série de scanners à lumière structurée, chacun étant conçu pour exploiter des spectres de dimensions spécifiques. Une fois créés, ces modèles 3D sont accessibles sur la plateforme d’information en ligne de SA. Ils peuvent également servir à la reproduction d’anciennes colonies dans un environnement de réalité virtuelle. Grâce à des lunettes spéciales, des contrôleurs de mouvement et une rétroaction haptique (ou tactile), il devient possible d’interagir avec ces ressources matérielles, de façon virtuelle ou concrète, afin d’obtenir de nouveaux éclairages sur l’espace, la temporalité et les conditions d’existence de ces objets, à l’époque où ils étaient utilisés au quotidien par les peuples ancestraux qui les ont laissés derrière eux.

Par ailleurs, une imprimante 3D multi-couleurs permet aux chercheurs d’explorer la piste de la copie (grandeur nature ou en modèle réduit) à des fins pédagogiques. Ils peuvent ainsi manipuler des articles par ailleurs fragiles, reconstruire un objet à partir des fragments archéologiques d’un artéfact, ou se pencher sur les implications éthiques de l’impression du patrimoine archéologique de l’Ontario.

Numérisation d’artéfacts visant la création d’un modèle 3D.

SA emploie également d’autres technologies disponibles à l’Université Western Ontario, comme la radiographie numérique et la micro-tomodensitométrie, qui permettent d’analyser de manière non invasive la structure interne d’une plante, d’un os d’animal et de divers objets afin d’en identifier l’espèce ou d’en examiner la composition et la fabrication à l’échelle micronique. L’installation de l’Université McMaster met à profit l’examen sur tranche mince et l’utilisation d’une batterie de microscopes à fort grossissement afin de permettre l’étude scientifique d’artéfacts et de micro-artéfacts.

Plus généralement, les technologies numériques aident SA à gérer et à intégrer le volume colossal des collections archéologiques des deux universités. Par exemple, la plateforme d’information de SA comporte un module d’inventaire qui assure le suivi de chaque objet et conteneur au moyen d’étiquettes d’identification par radiofréquence (RFID). Nous connaissons donc toujours l’emplacement exact des objets au sein des vastes entrepôts. Cette information est automatiquement mise à jour lorsque les objets sont transportés d’une pièce à l’autre ou transférés entre les deux établissements. De fait, l’intégration en ligne du statut de toutes les ressources peut modifier le mode de gestion d’une collection, dans la mesure où une partie (par exemple, la vaisselle en céramique et les restes végétaux provenant d’un même site) peut se trouver sur une multitude de rayonnages dans des installations distinctes, tout en restant un tout cohérent entièrement accessible en ligne pour mener des travaux numériques et virtuels. Cette traçabilité numérique des collections n’est pas un concept radicalement nouveau, mais elle contribue à renforcer la confiance et la sécurité au regard d’activités fondamentales de documentation et de gestion, ainsi que l’accessibilité qui faisait jusque-là cruellement défaut à l’archéologie ontarienne.

Toutes ces technologies numériques rendent les ressources largement accessibles en ligne, mais elles permettent en outre aux archéologues de collaborer avec les Premières Nations et les communautés de lignée ancestrale dans l’optique de repenser l’archéologie de cette région au-delà des priorités divergentes. Chez SA, cela offre la possibilité de gérer conjointement le patrimoine archéologique physique et numérique de l’Ontario : un comité consultatif réunissant archéologues et représentants des Premières Nations est chargé de forger la philosophie et de définir les activités menées dans le cadre du projet. En outre, cet accès direct et sans entrave aux ressources archéologiques numériques permet aux Premières Nations et aux communautés de lignée ancestrale d’en savoir plus sur leur patrimoine et de le comprendre à leur manière, donnant ainsi lieu à la mise en commun de leurs propres interprétations au-delà de la sphère archéologique.

L’ambition de SA (qui passe par la consolidation des ressources sous forme numérique et par leur accessibilité en ligne) fera de l’archéologie une pratique durable, s’intégrant aux technologies émergentes afin de gérer et d’appréhender les multiples ressources préservées, tout en appuyant les efforts de conservation visant à mettre les vestiges du passé ontarien à la disposition des chercheurs, des Premières Nations et du grand public. En fin de compte, nous serons en mesure d’entrer en relation avec le passé et de modeler notre compréhension.

Image de micro-tomodensitométrie d’un vase ancien en céramique.

Photo: Image de micro-tomodensitométrie d’un vase ancien en céramique.

Impressions en 3D d’une pointe de projectile dans différentes tailles. Selon vous, laquelle est la vraie!?

Photo: Impressions en 3D d’une pointe de projectile dans différentes tailles. Selon vous, laquelle est la vraie!?

Scanner permettant la lecture des étiquettes apposées sur les boîtes et les artéfacts pour une traçabilité simplifiée.

Photo: Scanner permettant la lecture des étiquettes apposées sur les boîtes et les artéfacts pour une traçabilité simplifiée.