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Évolution du paysage culturel agricole

Nombre de routes de campagne ontariennes présentent encore les indices des plantations d’arbres commencées à la fin du XIXe siècle. Remplacer ces arbres anciens par de nouveaux garantira le maintien du caractère spécifique de ce réseau rural.

Par

Wendy Shearer

Les paysages culturels, L'alimentation

Date de publication :12 oct. 2012

Photo : Nombre de routes de campagne ontariennes présentent encore les indices des plantations d’arbres commencées à la fin du XIXe siècle. Remplacer ces arbres anciens par de nouveaux garantira le maintien du caractère spécifique de ce réseau rural.

Le paysage culturel agricole visible aujourd’hui constitue une archive complète des petits et grands changements d’un secteur qui était autrefois le moteur de l’économie ontarienne. De nos jours, bon nombre de ces évolutions de la communauté agricole ont des retombées sur le caractère unique du paysage rural établi à l’origine au XIXe siècle par les arpenteurs britanniques, qui ont quadrillé la province en concessions et routes secondaires. Ce réseau a encadré l’établissement et permis la répartition efficace d’exploitations mixtes de 100 et 200 acres (40 et 80 hectares), schéma dominant de l’agriculture jusqu’à plus de la moitié du XXe siècle.

Le modèle d’exploitation mixte est une façon très efficace d’organiser le travail d’une famille agricole, l’élevage et la culture. Il impose une disposition et une division nettes du domaine en huit à dix champs clôturés, un petit bois entretenu pour le combustible et la matière première, un centre dominé par une vaste grange en bois pour héberger les animaux et entreposer le foin et le grain, de nombreuses dépendances et une grande maison entourée de jardins et d’un verger.

La division du paysage en zones d’activités domestiques dévolues aux femmes et en zones de production pour les hommes suit un schéma bien établi, qui s’articule autour du sentier de la ferme reliant les champs situés à l’arrière ainsi que le cœur de l’exploitation à la route publique. Tous les champs sont clôturés pour garder les animaux; on laisse pousser les arbres et les arbustes le long de ces clôtures, ce qui définit clairement chaque parcelle. Au centre de la ferme, on plante des allées d’érables à sucre et d’épicéas communs pour bloquer le vent et définir la limite du cœur de l’exploitation. Aujourd’hui, dans beaucoup d’endroits, ces allées sont les seuls repères indiquant qu’une ferme se trouvait là.

Ce croquis tiré d’un atlas historique illustre la disposition idéale d’une exploitation mixte. La ferme, la grange et les dépendances sont réparties efficacement le long du sentier qui relie les champs et le centre de l’exploitation à la route publique. (Extrait de l’édition de 1877 de l’atlas historique illustré du comté de Peel.)

Dans ce contexte d’exploitations agricoles mixtes, les églises, cimetières, écoles et petites entreprises modèlent l’identité de la communauté et créent une industrie locale. Dans les années 1800 par exemple, 98 fromageries prospèrent dans les campagnes du comté d’Oxford, à proximité des sources de lait et de crème dont elles dépendent.

L’économie de l’agriculture mixte s’améliore au début du XXe siècle grâce à la distribution, dans les régions rurales, de l’électricité provenant de la rivière Niagara. Ce progrès accélère la révolution des pratiques agricoles. En outre, le remplacement des chevaux par des tracteurs permet encore d’améliorer l’efficacité. L’équipement mécanique est plus grand, plus efficace, et les propriétaires acquièrent de nouvelles terres pour que l’exploitation demeure profitable. Ainsi, au milieu du XXe siècle, la taille des domaines s’accroît avec le regroupement de plusieurs fermes sous un même propriétaire. Au fil des acquisitions, nombre de bâtiments et de clôtures deviennent superflus et sont détruits. La transition vers une culture spécialisée à grande échelle, par exemple du maïs, efface complètement le dessin correspondant au modèle mixte.

Les exploitants innovent constamment dans leurs pratiques, passant rapidement d’une culture ou d’un outil à l’autre en fonction des conditions du marché. Cette évolution s’est traduite par la mutation continue du paysage rural, du fait de la nature même du secteur agricole.

Aujourd’hui, le paysage des campagnes subit des pressions exogènes supplémentaires qui le poussent à changer. De nouvelles infrastructures, comme les tours de télécommunications, les lignes de transport d’énergie, les stations de panneaux solaires et les éoliennes ponctuent l’environnement agricole de constructions d’envergure. De la même manière, le développement des banlieues à la limite de nos frontières urbaines ainsi que l’expansion des zones d’activités en bordure de nombreuses petites villes ont suscité des changements en matière d’aménagement du territoire modifiant le modèle historique de l’activité agricole, avec en contrepartie une demande accrue d’amélioration des routes et des services.

La route de campagne traditionnelle est étroite et bordée de végétation naturelle et de plantations d’arbres. En bien des endroits, de vieux érables à sucre continuent d’ombrager ces routes, ajoutant à leur charme pittoresque. Ces bordures sont toutefois menacées par les travaux d’élargissement des voies imposés par l’augmentation du trafic.

Malgré ces transformations, on peut encore entrevoir le tracé historique de l’agriculture dans certains paysages de la province. Par exemple, les agriculteurs de la région de Waterloo engrangent certains des meilleurs revenus de l’Ontario bien qu’ils fassent encore appel aux chevaux de trait sur des exploitations de 64 hectares (159 acres) en moyenne. Par ailleurs, aux quatre coins de la province, une nouvelle génération d’exploitants expérimente avec succès une gamme de nouveaux produits et de cultures spéciales destinés à des marchés de niche. Ce changement aboutit à de nouvelles configurations dans la construction des exploitations au sein du réseau routier historique des campagnes, à la base du paysage agricole. L’évolution continue de ce paysage est absolument évidente pour le voyageur qui s’aventure hors de l’autoroute afin d’observer ce qui se passe à la ferme.

Wendy Shearer est architecte paysagiste et l’administratrice déléguée du patrimoine culturel auprès de MHBC Planning, Urban Design & Landscape Architecture à Kitchener.