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L’interprétation de la maison Macdonell-Williamson au travers de quatre artéfacts

Photographie aérienne de la maison Macdonell-Williamson avec le barrage de Carillon à l’arrière-plan (Photo : Carl Bigras)

Les bâtiments et l'architecture, Les objets culturels

Date de publication : déc. 05, 2014

Photo : Photographie aérienne de la maison Macdonell-Williamson avec le barrage de Carillon à l’arrière-plan (Photo : Carl Bigras)

Il est tentant, en admirant les murs de pierre vieux de plusieurs siècles, la splendeur palladienne et le cadre pittoresque de la maison Macdonell-Williamson, d’évoquer une époque caractérisée par sa continuité – où les anciennes traditions étaient encore bien ancrées, où les voyages et les communications étaient lents, et où la vie et le gagne-pain des gens étaient solidement attachés aux terres qu’ils habitaient. Une époque pastorale, pittoresque, cyclique et fondamentalement locale. En d’autres termes, une époque bien différente de la nôtre. Cependant, en observant de plus près quatre artéfacts provenant du site, ils racontent une tout autre histoire.

La maison (alors baptisée Poplar Villa, la villa des peupliers) a été construite en 1817, après une guerre dévastatrice. Son propriétaire, John Macdonell, était un commerçant de fourrures et soldat à la retraite qui avait connu son lot de voyages, de bouleversements et d’aventures. En dépit de ses profondes racines catholiques d’Écossais des Hautes Terres, John avait passé le plus clair de son enfance dans la Mohawk Valley (État de New York), avant que sa famille loyaliste (ils avaient été jacobites en Écosse) ne fuie aux Canadas après la Révolution américaine. L’épouse de John, Magdeleine Poitras, qu’il avait rencontrée du temps où il vivait dans la vallée Qu’Appelle (dans l’actuelle Saskatchewan), était métisse et leur imposante nouvelle demeure sur la rive de la rivière des Outaouais se trouvait dans une collectivité majoritairement francophone, à cheval sur la frontière avec le Bas-Canada. Le commerce d’objets divers et de transport de fret exploité par John Macdonell sur sa propriété attirait des visiteurs et clients provenant de régions éloignées, ce qui ajoutait encore à la nature publique du site et contribuait à y faire converger une variété d’influences culturelles.

Registre du magasin d’objets divers

Malgré sa proximité avec la rivière des Outaouais, autoroute du transport de l’époque, il s’agissait d’une résidence de front pionnier située dans une collectivité de front pionnier. Les structures, relations et pratiques sociales traditionnelles étaient souvent ébranlées, ou tout du moins compliquées par les pressions de la vie pionnière. Les tentatives de la famille Macdonell pour instaurer de l’ordre, des traditions et des convenances ont parfois été remarquablement fructueuses, compte tenu du contexte. D’autre fois, elles se sont avérées idéalistes et inefficaces.

L’examen de plusieurs artéfacts typiques du ménage et de la propriété donne un aperçu des efforts réalisés par les Macdonell pour instiller de l’ordre au sein d’un environnement caractérisé par le mouvement, la fluctuation et la fluidité.

En plus de son entreprise de transport de fret, John Macdonell exploitait à la villa des peupliers un magasin d’objets divers qui proposait une variété de marchandises à la collectivité locale et aux personnes qui voyageaient en longeant la rivière des Outaouais. Plus de 100 ans plus tard, au milieu du XXe siècle, les occupants de la maison ont ouvert un tiroir et trouvé un registre répertoriant des centaines de transactions ayant eu lieu au magasin au cours des années 1820 et 1830.

Ce registre de 275 pages livre un aperçu fascinant du commerce et de la clientèle de John. Les renseignements consignés sur les titulaires de compte incluent souvent leur profession (p. ex., lamaneur, chapelier, voyageur ou négociant en vins), ainsi que des données anecdotiques concernant leur santé (par exemple, Bernard Courville est mort du choléra), leurs allées et venues (Darby Byrne a épousé la fille de Jock Judah et s’est enfui) et leurs caractéristiques physiques (Isaac Thompson, « gros nez »). Il indique également que le troc était courant, puisque les comptes étaient souvent soldés en marchandises et en services plutôt qu’en espèces. De nombreux comptes semblent n’avoir pas été soldés du tout, ce qui pourrait expliquer les difficultés financières qu’a connues John lui-même plus tard dans sa vie. Le consentement à octroyer un crédit avait beau être un signe de richesse, la pratique pourrait paradoxalement avoir contribué à plonger un John Macdonell attaché à son statut dans la détresse financière.

Pièce d’un demi cent en souvenir d’Isaac Brock, 1816

Pièce d’un demi cent en souvenir d’Isaac Brock, 1816

Cette pièce souvenir d’un demi cent découverte à la maison Macdonell-Willliamson nous rappelle que les répercussions de la guerre de 1812 se faisaient toujours sentir dans le Haut-Canada tandis que John Macdonell établissait son foyer et son entreprise à la villa des peupliers. La pièce de cuivre a été frappée en 1816 pour commémorer la mort du général Isaac Brock, tué en 1812 alors qu’il supervisait la défense du Haut-Canada. L’inscription « SR ISAAC BROCK THE HERO OF UPR CANADA » (Sir Isaac Brock, héros du Haut-Canada) entoure la représentation de deux chérubins coiffant une urne de couronnes de laurier. Le revers porte la mention « 1816: SUCCESS TO COMMERCE & PEACE TO THE WORLD » (1816 : réussite commerciale et paix dans le monde). La réussite commerciale et la paix étaient précisément ce que recherchait John Macdonell en se retirant dans son domaine de la rivière des Outaouais.

La guerre et les conflits avaient tourmenté la famille Macdonell pendant des générations, les éloignant de leur foyer et perturbant leurs moyens de subsistance. John Macdonell lui-même avait pris part à la guerre de 1812 en qualité de capitaine commissionné au sein du Corps des Voyageurs canadiens, et avait probablement été fait prisonnier lors de la bataille de St. Regis. Ses efforts pour obtenir le dédommagement des pertes subies pendant la guerre ont traîné en longueur jusque dans les années 1840 pour se solder par un échec.

Ce pendentif du Sacré-Cœur, découvert durant des fouilles archéologiques effectuées à la maison MacdonellWilliamson, date très probablement de l’époque de John Beverly Polifax. Le Sacré-Cœur est une dévotion principalement catholique à la faveur de laquelle le cœur physique de Jésus-Christ est vénéré comme symbole de l’amour du Christ pour le genre humain. Les représentations visuelles du Sacré-Cœur sont au centre de la dévotion et apparaissent souvent sur des insignes et des pendentifs. Le symbole du Sacré-Cœur figurant sur ce pendentif, comme sur la plupart des représentations, comprend un cœur enflammé ceint d’épines et surmonté d’une croix (symbolisant l’amour ardent du Christ et sa souffrance). Sur le revers, se trouve un crucifix.

Cette dévotion est étroitement liée à la notion de famille et d’amour familial. La famille Macdonell était réputée pour sa dévotion au catholicisme. Alors que le Haut-Canada était culturellement et politiquement dominé par les protestants, les Macdonell ont pu acquérir un statut et de l’influence dans une région principalement peuplée de Canadiens-Français catholiques. Lorsqu’il travaillait pour la Compagnie du Nord-Ouest, John Macdonell était connu pour sa piété et son insistance pour que les employés sous sa responsabilité respectent les fêtes de l’Église catholique, ce qui lui avait valu d’être surnommé « le prêtre ».

Au début des années 1820, David Thompson, qui comptait parmi les arpenteurs et cartographes les plus prolifiques à avoir jamais officié en Amérique du Nord, a été embauché pour arpenter la frontière entre le Haut-Canada et le Bas-Canada, qui s’étalait du sud de Pointe-Fortune, sur la rivière des Outaouais, au fleuve Saint-Laurent, à l’est de Cornwall.

David Thompson, tout comme John Macdonell, avait travaillé pour la Compagnie du Nord-Ouest et s’était retiré dans le Haut-Canada après la guerre de 1812. Les deux hommes, qui se connaissaient certainement, ont tous deux subi de sévères pertes financières lorsque les vestiges de la Compagnie du Nord-Ouest ont fait faillite en 1825, suite à la fusion avec la Compagnie de la Baie d’Hudson. Les bornes de pierre telles que celle-ci, découverte à proximité de la propriété Macdonell-Williamson, ont été placées le long de la frontière en 1860. On peut lire « Upper Canada » (Haut-Canada) d’un côté, et « Lower Canada » (Bas-Canada) de l’autre. Elle rappelle la proximité de la maison Macdonell-Williamson non seulement avec la frontière du Québec, mais également avec les influences culturelles canadiennes-françaises. Compte tenu des ambigüités sociales et culturelles du site, l’arpentage méticuleux de David Thompson et la présence de ces bornes de pierre sont empreints d’une certaine ironie.

Pendentif du Sacré-Cœur

Photo: Pendentif du Sacré-Cœur

Borne de pierre, 1860

Photo: Borne de pierre, 1860