Partager:

Nous avons toujours été là – l’histoire du droit de vote sous l’angle des femmes noires au Canada

F 2076-16-3-2/Femme non identifiée et son fils [vers 1900], fonds Alvin D. McCurdy, Archives publiques de l’Ontario, I0027790.

Le patrimoine des femmes, Le patrimoine Noir

Date de publication : mars 20, 2018

Photo : F 2076-16-3-2/Femme non identifiée et son fils [vers 1900], fonds Alvin D. McCurdy, Archives publiques de l’Ontario, I0027790.

L’histoire du droit de vote des femmes noires au Canada doit être comprise dans le contexte d’un statut social en évolution, de l’époque des colonies françaises et britanniques de 1600 à 1834 jusqu’au XXe siècle. Soumis à l’esclavage et légalement considérés comme des biens meubles (possessions personnelles), les femmes et les hommes noirs n’avaient pas le statut juridique de « personnes » dotées de droits ou de libertés, et ne pouvaient donc voter. Après l’abolition de l’esclavage dans la plupart des colonies britanniques en 1834, y compris sur le territoire correspondant à l’actuel Canada, le statut des femmes noires a changé, passant à celui de sujets britanniques. Bien que les femmes noires aient en théorie obtenu les droits, libertés et privilèges que leur conférait leur statut de citoyennes, elles ne pouvaient, avant 1917, voter à des élections provinciales ou fédérales.

F 2076-16-5-1-38/Groupe fréquentant l’école du dimanche baptiste à Amherstburg, en Ontario [vers 1910], fonds Alvin D. McCurdy, Archives publiques de l’Ontario, I0027813.

Octroi du droit de vote aux femmes noires

Pour pouvoir voter, les femmes noires ne se sont pas heurtées à des entraves juridiques en raison de leur race, comme ce fut le cas pour d’autres femmes racialisées. À l’instar des femmes blanches, les Noires ont pu exercer leur droit de vote à partir du milieu du XIXe siècle. Mariées ou célibataires, elles ont eu la possibilité de déposer des bulletins de vote pour choisir les membres de conseils scolaires dès 1850 et pour la plupart des élections municipales vers 1900, à la condition de satisfaire aux critères d’admissibilité. Elles devaient être capables de prouver leur statut de citoyennes en tant que sujets britanniques, et plus tard comme citoyennes canadiennes, nées au pays ou naturalisées, et elles devaient posséder une propriété imposable d’une certaine valeur. Les limites imposées aux femmes [blanches] aux élections provinciales et fédérales se sont aussi appliquées aux femmes noires jusqu’en 1917.

Les femmes noires ont activement participé au mouvement des suffragettes. Dans les années 1850, Mary Ann Shadd Cary avait utilisé son journal, The Provincial Freeman, comme plateforme transnationale pour discuter des droits des femmes, y compris ceux de participer à des réunions politiques et de voter. Elle se servait aussi de cet hebdomadaire pour informer les lecteurs des réunions sur le droit de vote tenues au Canada et aux États-Unis. En août 1854, elle avait publié ses observations au sujet d’une réunion d’électeurs à Chatham. Elle avait noté [traduction] « avoir assisté, hier soir, à une réunion tenue par des électeurs à Chatham, où j’ai vu un grand nombre de femmes. J’aime cette nouvelle présence dans les rassemblements politiques et, vous en conviendrez avec moi, le fait qu’une bonne part de la rudesse caractérisant de telles assemblées soit adoucie par elle. »

Au milieu du XIXe siècle, la lutte pour l’abolition de l’esclavage en Amérique ainsi que pour l’accès à tous les droits civils de ceux et celles qui étaient auparavant asservis englobait le droit de vote. Certaines femmes d’ascendance africaine noire se sont battues pour bénéficier aussi de ce droit. La défense d’intérêts alors menée s’étendait aux femmes en quête de liberté qui immigraient au Canada.

Rene Livingstone prend la parole lors d’un événement tenu en février 2018, à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs de l’Ontario, par la Black History Society/Société d’histoire des Noirs en Ontario, au sujet de sa mère Kay Livingstone, fondatrice du Congrès des femmes noires du Canada.

Rene Livingstone prend la parole lors d’un événement tenu en février 2018, à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs de l’Ontario, par la Black History Society/Société d’histoire des Noirs en Ontario, au sujet de sa mère Kay Livingstone, fondatrice du Congrès des femmes noires du Canada.

Au plus fort du mouvement des suffragettes, au tournant du XXe siècle, les Noires manifestaient activement en faveur du droit de vote des femmes. Comme du côté des femmes blanches, leur niveau d’engagement dans la lutte pour l’émancipation tendait à varier en fonction du milieu socioéconomique. Les femmes noires prenant part aux efforts de mobilisation vivaient surtout dans des centres urbains, étaient souvent plus éduquées et jouissaient d’une plus grande sécurité financière. Il est important de noter que la lutte des Noires pour le droit de vote était largement livrée sur fond de ségrégation raciale. Le mouvement plus vaste des suffragettes était axé sur l’obtention du droit de vote pour les femmes blanches et ne prévoyait pas autant de mobilisation pour le même droit en faveur de femmes racialisées – Noires, Autochtones et Asiatiques. Au moins trois membres des Célèbres cinq, célébrées – Nellie McClung, Emily Murphy, Irene Parlby, Henrietta Muir Edwards et Louise McKinney –, les premières défenderesses du suffrage féminin et des droits des femmes, avaient des opinions arrêtées sur les personnes racialisées (Noirs, Autochtones, Chinois, juifs, etc.), les considérant comme étant socialement inférieures.

La Loi des élections en temps de guerre de 1917 a accordé le droit de vote aux femmes apparentées à des hommes militaires (dans l’armée ou la marine, en service ou à la retraite). Cette loi a étendu le droit de vote aux femmes noires apparentées à des hommes servant dans le Bataillon de construction no 2 (une unité ségrégée réservée aux soldats noirs au sein de laquelle 600 hommes de partout au Canada ont servi) ou encore à des Noirs en mesure de s’enrôler dans des régiments réguliers.

Avec le temps, les femmes noires ont davantage participé au processus politique, tandis que les organismes communautaires dirigés par leurs consœurs ajoutaient la participation de ces électrices à leur mandat. Lors d’une réunion tenue en 1924, le groupe Women’s Home and Foreign Mission Society, un organisme relevant d’églises baptistes de Windsor, faisait cette déclaration : [traduction] « En tant que chrétiennes, nous utiliserons notre influence, lors des prochaines élections, pour assurer le maintien de l’Ontario Temperance Act (loi sur la sobriété de l’Ontario). »

Le droit de vote et celui de participer au processus politique ont représenté des enjeux importants pour les femmes et les hommes noirs au Canada tout au long de l’histoire canadienne. Après plus de 200 ans d’esclavage et malgré le constant racisme anti-Noirs dont ils étaient victimes, les Canadiens noirs percevaient avec conviction le vote comme un moyen d’affirmer leur statut de sujets britanniques, puis de citoyens canadiens; ils y voyaient une façon de s’exprimer sur le plan politique.

Les femmes noires ont repoussé les limites qui leur étaient imposées sous forme de contraintes sociales et ont envahi des espaces politiques desquels elles étaient autrefois exclues. L’engagement politique et l’activisme des femmes noires au Canada ont été façonnés, et ils le demeurent, par les expériences subies en raison de leur genre et de leur race.