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Héritage médical de l’Ontario

Le centre de réadaptation communautaire Lyndhurst Lodge a été créé pour aider les anciens combattants canadiens qui avaient subi des traumatismes médullaires pendant la Seconde Guerre mondiale. Photo gracieusement fournie par Lésions médullaires Ontario.

Par

La Dre Jacalyn Duffin

Le patrimoine médical

Date de publication :12 févr. 2016

Photo : Le centre de réadaptation communautaire Lyndhurst Lodge a été créé pour aider les anciens combattants canadiens qui avaient subi des traumatismes médullaires pendant la Seconde Guerre mondiale. Photo gracieusement fournie par Lésions médullaires Ontario.

Au milieu du XIXe siècle, les médecins exercent généralement leur profession de façon solitaire, dans un contexte qui les amène souvent à effectuer leurs visites à domicile en traîneau ou à cheval. Même si de nombreux traitements existent pour soulager les symptômes, les remèdes se trouvent dans la nature. Le spectre des infections, diphtérie, coqueluche, rougeole, scarlatine et variole, est omniprésent. À cette époque où les spécialistes sont rares, les médecins pratiquent l’accouchement, soignent les fractures, arrachent les dents, préparent les médicaments et réconfortent ceux qui en ont besoin. Nombreux sont les patients qui ne peuvent pas payer leurs frais médicaux et le concept des congés reste encore à inventer. Le secteur a beaucoup évolué au cours des 150 dernières années.

Première école de formation des infirmières au Canada, v. 1875 (St. Catharines). Musée canadien de l’histoire, 2001-H0006.4, IMG2008-0633-0021.

Si la plupart des praticiens de l’Ontario effectuent leurs études en Grande-Bretagne ou aux États-Unis jusqu’à la fin du XIXe siècle, au moins trois écoles de médecine de l’Ontario forment des praticiens qualifiés au service des populations locales. Il s’agit de l’école Duncombe à St. Thomas (1824), mais aussi de l’école Rolph (1843) et du King’s College (1843) à Toronto. Les médecins du monde entier communiquent entre eux par l’intermédiaire de revues qui présentent les nouvelles recherches et les dernières innovations. Grâce à ces revues, les médecins de l’Ontario peuvent appliquer les grandes découvertes du XIXe siècle, comme l’anesthésie en 1847, l’antisepsie en 1867 et la théorie germinale des maladies infectieuses en 1882, dans leur pratique médicale. La théorie des germes favorise l’avènement d’un service de santé publique officiel et conduit rapidement à intégrer la microscopie et la bactériologie dans la formation et la pratique cliniques.

Certaines innovations sont, toutefois, exclusivement canadiennes et essentiellement ontariennes. La plus célèbre d’entre elles est, sans doute, la découverte de l’insuline par les docteurs Frederick Banting, Charles Best, J. Bertram Collip et J.J.R. Macleod. Leurs travaux permettent, en effet, la mise au point d’un traitement efficace (et non d’un remède) contre une maladie mortelle bien trop fréquente à l’époque, et encore aujourd’hui. En 1923, ces quatre scientifiques reçoivent finalement un prix Nobel pour leurs efforts dans ce domaine.

À partir de 1929, et pendant deux décennies, Best et ses confrères s’efforcent de trouver des applications thérapeutiques sans risque à l’héparine anticoagulante. Bien qu’il ne s’agisse pas, à l’origine, d’une découverte canadienne, l’utilisation de l’héparine dans le traitement des phlébites, de la gangrène et de l’embolie pulmonaire est largement défendue par ces experts. L’héparine permet également d’empêcher la coagulation du sang au contact des instruments, ce qui en fait une étape incontournable dans l’avancée de la chirurgie cardiaque.

À Toronto, une équipe chirurgicale, dirigée par Wilfred G. Bigelow, cherche alors des solutions pour réparer les malformations cardiaques. Le défi principal consiste à trouver une manière de réduire le besoin de l’organisme en oxygène afin d’arrêter les battements du cœur, pendant une courte durée, sans endommager les tissus. Inspirés par le métabolisme ralenti des animaux en hibernation, les chirurgiens provoquent volontairement une hypothermie afin d’abaisser la température du corps et d’accorder un temps supplémentaire aux professionnels pour leurs opérations. Cette technique innovante des années 1950 est finalement supplantée par l’appareil de circulation extracorporelle, qui assure la circulation du sang lorsque le cœur est arrêté.

La Seconde Guerre mondiale a brisé des milliers de jeunes adultes. Animés par l’espoir de rééduquer les soldats atteints de lésions médullaires, le neurochirurgien Edmund H. Botterell et le physiatre Albin Jousse élaborent un programme spécial au centre Lyndhurst Lodge de Toronto, en 1945. Ce programme vise à réinsérer les soldats handicapés dans la vie active, grâce à une thérapie physique et mentale. Le centre Lyndhurst étend ensuite son programme aux patients civils présentant d’autres limitations fonctionnelles, puis il devient finalement un institut de recherche majeur en réadaptation.

Plusieurs initiatives ontariennes en matière de santé maternelle et infantile sont inédites au Canada, sinon au monde. Elizabeth Bagshaw ouvre ainsi une clinique anticonceptionnelle à Hamilton, en 1932. La vaccination des enfants en bas âge contre les fléaux infectieux du siècle dernier devient un critère d’admission dans les écoles publiques et le Hospital for Sick Children de Toronto est le théâtre d’avancées chirurgicales exceptionnelles dans le traitement des cardiopathies congénitales et des dislocations de hanches.

L’espace de rassemblement du Centre de santé Meno Ya Win de Sioux Lookout est supposé représenter une clairière, un hôtel pavillonnaire ou une longue maison avec un foyer symbolisant l’unité avec la communauté. Photo publiée avec l’aimable autorisation du Centre de santé Meno Ya Win de Sioux Lookout.

L’espace de rassemblement du Centre de santé Meno Ya Win de Sioux Lookout est supposé représenter une clairière, un hôtel pavillonnaire ou une longue maison avec un foyer symbolisant l’unité avec la communauté. Photo publiée avec l’aimable autorisation du Centre de santé Meno Ya Win de Sioux Lookout.

Sous l’impulsion des observations faites par Pierre et Marie Curie, les substances radioactives trouvent rapidement des applications dans le traitement du cancer. À partir des années 1930, la ville de Port Hope accueille ainsi la société Eldorado, spécialisée dans le raffinement du radium. Inséré dans des aiguilles ou dans d’autres dispositifs, le radium fournit des résultats impressionnants dans le traitement des tumeurs malignes, quelle que soit la partie du corps touchée. L’un des sous-produits du radium, l’uranium, conduit Port Hope à participer au projet Manhattan qui a pour objet de produire la première bombe atomique. Même si, dans un premier temps, Eldorado créé des emplois et apporte la prospérité à Port Hope, les citoyens découvrent bientôt le danger des rayonnements et, après 20 ans de controverse, la production de radium cesse finalement. La production d’uranium est, quant à elle, maintenue, mais l’élimination sécuritaire des déchets nucléaires demeure un défi de taille.

En 1943, l’Ontario créé la Fondation ontarienne pour la recherche en cancérologie et le traitement du cancer (FORCTC, aujourd’hui devenue Action Cancer Ontario) afin de coordonner l’accès aux nouveaux traitements par radiothérapie et chimiothérapie et promouvoir la recherche. En 1951, sous les auspices de la clinique de London, la province entre en concurrence avec la Saskatchewan pour la première installation et utilisation d’un appareil au cobalt 60. Quelle que soit la province qui mérite cet honneur, la mise en concurrence associée permet à l’Ontario d’attirer le brillant chercheur enseignant de Saskatoon, Harold E. Johns, à Toronto, où il écrit un livre qui fait autorité en physique des rayonnements et inspire des générations de jeunes physiciens et médecins.

En 1958, avec le concours de son chimiste, Charles Beer, et de leur assistante, Halina Robinson, Robert Noble parvient à isoler les alcaloïdes de la pervenche dans son laboratoire de London et signe ainsi un exploit provincial méconnu dans le traitement du cancer. En amont de cette découverte, des Jamaïcains avaient envoyé des feuilles de pervenche séchées au Canada, dans l’espoir de prouver qu’elles constituaient une source orale d’insuline. Au lieu de cela, les extraits purifiés de la pervenche, la vinblastine et la vincristine, sont devenus des médicaments reconnus comme remèdes contre la leucémie infantile et ils sont encore largement utilisés aujourd’hui en tant que tels.

En 1963, la découverte des cellules souches par les scientifiques James Till et Ernest McCullough de l’Institut ontarien du cancer (ICO) marque une autre avancée dans la recherche. Parmi les multiples applications de leurs travaux, cette découverte pose les bases scientifiques de la greffe de moelle osseuse, finalement mise au point par E. Donnell Thomas, récipiendaire américain d’un prix Nobel pour sa contribution dans ce domaine. Des décennies plus tard, le scientifique Tak Mak de l’ICO parvient à cloner le récepteur de l’antigène des lymphocytes T et ouvre la voie à la recherche sur les souris génétiquement modifiées. Ses travaux lui valent plusieurs récompenses et inspirent des milliers de scientifiques dans le monde entier.

Face à la diversité des traitements et des allégations des fabricants, David L. Sackett et Gordon H. Guyatt, de l’Université McMaster, prônent une utilisation plus judicieuse des données scientifiques. Ils recommandent un recours prudent à des essais cliniques randomisés, de préférence à double insu, pour évaluer la pertinence de tout changement dans la pratique médicale et de tout ensemble de directives. Cette approche est finalement baptisée « médecine fondée sur des données probantes », pour reprendre l’expression employée par Guyatt en 1992. Elle imprègne aujourd’hui tous les aspects de la science clinique, au niveau international.

La première transplantation réussie d’une main au Canada s’est déroulée à l’Hôpital Toronto Western le 12 janvier 2016. Le DrChristian Veillette (à droite), chirurgien orthopédiste, a utilisé des rayons X pour vérifier le bon alignement entre le corps du patient et le bras du donneur lors de l’opération. Photo publiée avec l’aimable autorisation du Réseau universitaire de santé.

L’Ontario est également un pionnier en matière d’innovations dans la prestation des soins de santé. Le nombre de lits d’hôpital psychiatrique a ainsi diminué de 80 p. 100 depuis les années 1960. Seize établissements qui accueillaient autrefois des personnes ayant une déficience mentale ont, par ailleurs, fermé leurs portes en 2009. Lente à se conformer à la Loi canadienne sur la santé (1984), la province s’illustre finalement, après la grève des médecins de 1986, par l’élaboration de politiques sur les soins hospitaliers et à domicile qui reflètent les besoins locaux et une utilisation judicieuse des ressources. Entre 1996 et 2000, la Commission de restructuration des services de santé décide ainsi de supprimer plus de 40 hôpitaux, par fermeture ou regroupement d’établissements, et d’accroître les services de santé dispensés à domicile. De même, la réforme des soins primaires s’accompagne d’une nette diminution du nombre de médecins de famille appliquant le mode de rémunération traditionnel à l’acte, qui passe de 95 p. 100 en 2000 à 28 p. 100 en 2013. De manière similaire, l’année 2007 marque la création du Réseau local d’intégration des services de santé (RLISS), qui vise à favoriser la participation communautaire dans les activités de planification.

En matière d’éducation, la première école canadienne de formation du personnel infirmier ouvre ses portes en 1874, à St. Catharines, et poursuit son activité pendant un siècle. En 1897, lady Aberdeen, épouse du gouverneur général de l’époque, fonde les Infirmières de l’Ordre de Victoria. Bien que les services offerts dans le cadre de ce programme couvrent l’ensemble du territoire canadien, des établissements voient rapidement le jour à Ottawa, à Toronto et à Kingston tandis que des pavillons hospitaliers sont construits dans des zones isolées. Le personnel infirmier qui accepte des emplois dans des collectivités éloignées lance les programmes dédiés aux infirmiers praticiens et aux sages-femmes, qui sont respectivement proposés en Ontario, en 1972 et en 1993.

Au fil du temps, six écoles de médecine s’affilient à des universités de l’Ontario. L’apprentissage par la résolution de problèmes appliqué par l’école de médecine McMaster depuis sa création, en 1965, est une méthode d’enseignement qui est aujourd’hui largement répandue dans les pays développés et qui est souvent attribuée, à tort, à l’école de médecine de Harvard. La plus récente école de médecine du Canada est celle du Nord de l’Ontario qui ouvre ses portes en 2005, à Sudbury et à Thunder Bay.

Cette école valorise les partenariats avec les peuples autochtones et impose à ses étudiants une expérience d’un mois dans une collectivité autochtone.

Depuis la grève des médecins de 1986, les efforts de collaboration déployés par les écoles de médecine de l’Ontario ont permis de définir un ensemble de critères pour répondre aux attentes des citoyens concernant leurs médecins. Les rôles définis vont au-delà des objectifs prévisibles de connaissance scientifique et de compétence technique. Financé par l’organisme philanthropique Associated Medical Services (AMS), ce programme est adopté par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada pour former le cadre des compétences CanMEDS, un référentiel qui modèle la formation médicale pré- et postdoctorale au niveau international. L’AMS a également créé les chaires Jason A. Hannah d’histoire de la médecine dans les écoles de médecine de l’Ontario. Ces chaires, qui sont désormais proposées dans d’autres provinces, valorisent le rôle de l’histoire et des lettres et sciences humaines dans la formation clinique et elles attirent la convoitise de la communauté de l’histoire de la médecine.

En comparaison avec ses confrères exerçant il y a 150 ans, un médecin praticien mène aujourd’hui une vie bien remplie en Ontario, même s’il partage souvent sa charge de travail avec une équipe. Il peut s’appuyer sur un grand nombre de traitements efficaces et de spécialistes compétents. Ses patients sont vaccinés contre certaines infections et peuvent espérer un soulagement et des remèdes quand ils sont malades. De plus, ils n’ont pas à payer de frais médicaux exorbitants. Le médecin se réjouit d’acquérir continuellement des nouveaux savoirs, en se tenant informé des dernières innovations qui ont fait l’objet de solides essais cliniques. Les histoires de ces praticiens nous fascinent et nous rappellent à quel point ils ont amélioré la qualité de nos soins et de nos vies à tous.

Photo publiée avec l’aimable autorisation du London Health Sciences Centre

Photo: Photo publiée avec l’aimable autorisation du London Health Sciences Centre

Les anciens Connaught Laboratories de l’Université de Toronto (1958). L’édifice Spadina est intégré aux Connaught Laboratories en 1943 et devient le siège de la société de 1956 à 1966. Photo publiée avec l’aimable autorisation des archives de Sanofi Pasteur Canada (campus Connaught).

Photo: Les anciens Connaught Laboratories de l’Université de Toronto (1958). L’édifice Spadina est intégré aux Connaught Laboratories en 1943 et devient le siège de la société de 1956 à 1966. Photo publiée avec l’aimable autorisation des archives de Sanofi Pasteur Canada (campus Connaught).