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Les athlètes autochtones : Entrer en lice pour la reconnaissance
Lorsqu’on demande aux gens de penser à un célèbre athlète canadien autochtone, ils citent très souvent Tom Longboat, le coureur onondaga originaire de la réserve des Six Nations de la rivière Grand à Brantford, en Ontario. Que le nom de Tom Longboat soit le premier à venir à l’esprit n’est pas surprenant, étant donné ses exploits et la manière dont le public se souvient de lui.
Au cours de sa carrière d’athlète, il a remporté des courses de premier plan (notamment le marathon de Boston), a détenu le record du monde de l’épreuve du 15 milles et a participé aux Jeux olympiques de 1908 à Londres, en Angleterre. Au sommet de son art, c’était l’un des athlètes les plus célèbres au monde. Les journalistes de presse au Canada et aux États-Unis suivaient le moindre de ses mouvements, écrivaient des articles sur ses habitudes d’entraînement, son style de vie et sa vie familiale. C’était la vedette de l’époque, en particulier à Toronto où il a vécu et travaillé pendant de nombreuses années.
Après son décès en 1949, les Canadiens se sont mis à lui rendre hommage, une tradition qui a perduré jusqu’à aujourd’hui. En 1951, ce qui était alors le ministère des Affaires indiennes (l’organisme fédéral en charge de l’administration des Premières Nations au Canada) en lien avec l’Union athlétique amateure du Canada (l’organisme national dirigeant le sport amateur à l’époque) ont créé le Prix Tom Longboat destiné à reconnaître ses exploits et à célébrer ceux des autres athlètes autochtones à travers le pays. M. Longboat a également été intronisé à titre posthume au Panthéon des sports canadiens en 1955, au Temple de la renommée olympique du Canada en 1960, au Temple de la renommée des Indiens du Canada en 1967 et au Temple de la renommée d’Athlétisme Canada en 1991. En 1999, il a été désigné star du XXe siècle par le magazine Maclean. En 2000, la Société canadienne des postes lui a rendu hommage en créant un timbre commémoratif pour sa collection du millénaire. Et, en 2010, l’Assemblée législative de l’Ontario a désigné le 4 juin Jour Tom Longboat en Ontario. Peu d’athlètes peuvent se vanter d’avoir laissé une marque aussi indélébile.
Compte tenu des titres qu’il a remportés, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi Tom Longboat domine notre mémoire publique. Certes, ses performances sont dignes d’être reconnues. Pourtant, notre obsession à son égard obscurcit notre capacité de reconnaître et d’apprécier l’éventail varié des expériences vécues par les athlètes autochtones dans le domaine sportif canadien. Ceci débouche sur l’idée fausse selon laquelle tout ce que nous avons besoin de savoir sur les Autochtones dans le domaine sportif peut être glané dans les histoires qui existent sur Tom Longboat, ce qui cache le fait que les inégalités sociales, politiques et économiques continuent , de maintes façons, à marginaliser les peuples autochtones au sein du sport organisé.
Équipe Tuscarora des Six Nations, 1892. Les Premières Nations considéraient la crosse comme un présent du Créateur pour son propre amusement et comme une invitation à témoigner son amour pour la nature. Photo avec l’aimable autorisation de la bibliothèque publique des Six Nations.
En examinant les expériences des athlètes autochtones de l’Ontario, nous pouvons mieux comprendre les difficultés qu’ils devaient surmonter pour pouvoir participer à des disciplines sportives et y exceller. À la fin des années 1800 et au début des années 1900, quand M. Longboat concourait, le Sud de l’Ontario faisait partie d’un couloir d’activités sportives qui s’étendait le long du Saint-Laurent, de Toronto à Montréal. Là, les nouveaux arrivants et les Autochtones concouraient ensemble et se mesuraient les uns aux autres jusqu’à ce que les réformateurs de la classe moyenne commencent à faire la distinction entre les athlètes professionnels et les athlètes amateurs. Ne voulant pas perdre face à des personnes qu’ils estimaient inférieures à eux sur l’échelle sociale, les supporteurs des sports amateurs ont alors essayé de définir qui pouvait et qui ne pouvait pas appartenir à leurs équipes et concourir dans leurs ligues.
À cette époque, les membres des Premières Nations étaient souvent exclus des compétitions amateures parce qu’ils étaient automatiquement considérés comme étant des professionnels (soit des personnes qui tiraient profit de leur participation au monde sportif) et qu’ils faisaient l’objet d’hypothèses racistes sur leurs talents athlétiques naturels. Ces hypothèses étaient notamment répandues dans la discipline de la crosse. En 1880, par exemple, la National Amateur Lacrosse Association a interdit aux membres des Premières Nations de concourir dans des épreuves amateures. Mis à l’index de la structure sportive en développement, les membres des Premières Nations ont donc formé leurs propres équipes et ont organisé leurs propres championnats du monde indiens (Indian World Championships) (dans lesquels s’affrontaient principalement des équipes provenant de Kahnawake (Québec) et de St Regis (New York)). Ils se sont également mis plus tard au nouveau sport de la crosse en enclos. Plus de cent ans plus tard, en 1990, des membres des Six Nations de la rivière Grand ont fait leur retour dans la compétition en tant que nation indigène se faisant appeler les Iroquois Nationals. Ils s’étaient tournés vers leur culture et leurs ressources et avaient prospéré malgré les défis auxquels ils étaient confrontés.
Le couloir du Sud de l’Ontario était également une zone clé pour le développement industriel, ce qui a facilité l’essor du sport dans la région. L’invention de nouvelles technologies générée par le développement des usines a débouché sur la production de masse de nouveaux équipements sportifs. Les Autochtones eux aussi ont pris part à cette nouvelle économie. Les Mohawks, par exemple, le long du Saint-Laurent, en particulier ceux provenant d’Akwesasne, en Ontario, ont joué un rôle critique dans la production et la distribution de bâtons de jeu de crosse dans toute l’Amérique du Nord et dans le monde entier. Au tournant du siècle, ils en étaient d’importants consommateurs et producteurs et ils le sont encore aujourd’hui grâce au fonctionnement ininterrompu de leur usine.
C’est donc le long de ce couloir que nous assistons à l’émergence d’athlètes autochtones talentueux, tels que Fred Simpson – un Ojibway des Mississaugas d’Alderville, en Ontario. M. Simpson a concouru dans la discipline de la course à pied à la même époque que Tom Longboat, et, même s’il a fait l’objet d’une certaine attention médiatique, il n’a jamais reçu le même niveau d’intérêt ou de notoriété que lui. À l’âge de 20 ans, il a déménagé à Hiawatha, une réserve située sur la rive nord du lac Rice, pour être avec sa femme, Susan Muskrat, où il a rejoint les rangs des travailleurs journaliers qui louaient leurs services pour des travaux saisonniers.
C’est pendant ce séjour à Hiawatha que Fred Simpson s’est mis à la compétition. Ses courses d’entraînement l’emmenaient souvent de la réserve à Peterborough, ville distante d’environ 17 kilomètres. En 1906, à l’âge de 28 ans – un âge remarquable pour commencer le sport – il a participé à sa première compétition : le marathon du Peterborough Examiner. Et il l’a remportée. (Par comparaison, Tom Longboat avait 19 ans lorsqu’il a commencé la compétition.) Peu de temps après, Fred Simpson a rejoint les YMCA Harriers à Peterborough et, en 1908, il était devenu l’un des meilleurs coureurs du monde. Il s’est classé sixième au marathon des Jeux olympiques de Londres, en Angleterre (M. Longboat n’a pas terminé la course à cause d’un coup de chaleur).
Contrairement à Tom Longboat, Fred Simpson n’était pas capable de vivre de l’athlétisme. Il est devenu professionnel après les Jeux olympiques de 1908 et a pris sa retraite en 1912 pour rester à la maison avec sa famille.
Son histoire, comme celles d’autres athlètes autochtones qui sont restées méconnues, est digne d’intérêt. Ces athlètes ont vécu à une époque de profonds changements, notamment l’élaboration et la mise en application de la Loi sur les Indiens, la signature des traités, la création de réserves et le développement du système des pensionnats indiens. Ces changements ont tous façonné leur capacité de s’engager dans une discipline sportive et d’y rester engagé – un modèle qui doit être compris si l’on veut comprendre les expériences sportives des athlètes autochtones d’aujourd’hui.