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Le sport, ça compte : L’importance du sport pour la société

Cérémonie de remise de la médaille d’or du relais masculin 4 x 100 mètres, 1996 (Bruny Surin, Glenroy Gilbert, Donovan Bailey et Robert Esmie). Photo avec l’aimable autorisation du Comité olympique canadien.

Par

Bruce Kidd

Le patrimoine sportif

Date de publication :13 févr. 2015

Photo : Cérémonie de remise de la médaille d’or du relais masculin 4 x 100 mètres, 1996 (Bruny Surin, Glenroy Gilbert, Donovan Bailey et Robert Esmie). Photo avec l’aimable autorisation du Comité olympique canadien.

Aucune description du patrimoine de l’Ontario ne serait complète sans aborder les pratiques sportives, actuelles et passées, des Ontariennes et des Ontariens. À chaque époque – depuis les millénaires autochtones avant l’arrivée des Européens, la traite des fourrures, les premières colonies agricoles, l’urbanisation et l’industrialisation jusqu’à l’ère actuelle des villes et des régions régies par l’information –, les peuples qui ont vécu dans la province ont donné un but, un sens et un brin de passion à leur vie grâce au sport et aux épreuves de force physique.

Chacune de ces sociétés a donné au sport la physionomie qui était la sienne. Au XIXe siècle, par exemple, alors que la plupart des gens devaient se déplacer à pied, d’immenses foules s’amassaient pour regarder le « pédestrianisme », ou course libre, sport professionnel où les athlètes marchaient et couraient sur de longues distances, parfois pendant plusieurs jours d’affilée. Grâce aux premiers chemins de fer, qui permettaient aux équipes de voyager plus loin (et qui utilisaient le système de temps normalisé nouvellement établi), et à la production de masse, qui a abouti à la normalisation des équipements, les collectivités ont progressivement été amenées à adopter les mêmes règles. Auparavant, chaque ville avait sa propre façon de jouer.

Le sport a autant été façonné par ces mutations économiques et sociales qu’il les a influencées en retour. La fascination pour le sport a, en effet, stimulé la circulation ferroviaire (et, plus tard, la circulation automobile et aérienne), l’innovation technologique, les investissements urbains et les progrès en matière de communication. L’expansion du sport est inextricablement liée au développement de la société ontarienne.

Volley-ball, v. 1914. Photo avec l’aimable autorisation des archives de la ville de Thunder Bay. Accession 1991-01-258

Aujourd’hui, dans bon nombre de foyers et de collectivités de l’Ontario, le calendrier de la vie s’articule autour de l’école, du travail et du sport. Les équipes dont on célèbre les succès représentent une réelle valeur ajoutée et elles dynamisent l’économie. Les stades et les complexes sportifs font figure de lieux emblématiques, attirent les foules en plus grand nombre que les lieux de culte et rassemblent la population par-delà les classes, les cultures et les religions dans une dévotion commune envers l’équipe locale. Plusieurs des meilleures installations rappellent les épisodes marquants de notre histoire, comme les stades commémoratifs des deux grandes guerres mondiales de part et d’autre de la province, ou les centres de loisirs érigés pour célébrer le centenaire du Canada. Je ne suis jamais allé dans un musée d’histoire locale qui n’abritait pas un artefact ou un objet rattaché au sport.

Évidemment, les meilleurs récits du sport ontarien sont ceux qui portent sur les athlètes et les équipes qui ont joué dans la province, dont les exploits et les défaites ont agrémenté notre quotidien et qui nous ont transmis des enseignements quasi intemporels sur l’expérience humaine. Au XIXe siècle, l’avironneur Ned Hanlan – qui a remporté le championnat mondial en simple pendant cinq ans face à de nombreux Américains, Britanniques et Australiens au physique plus imposant – a été le premier sportif à donner à Toronto et à l’Ontario une renommée internationale à même de rivaliser avec la notoriété déjà bien établie de la grande Montréal. Au début du XXe siècle, le brillant marathonien onondaga Tom Longboat a consolidé cette réputation. Lorsqu’il a remporté le marathon de Boston en 1907, sous les couleurs du YMCA du West End de Toronto, l’administrateur municipal William Hubbard a déclaré : « Je ne connais personne qui ait davantage aidé le commissaire à l’industrie que ce monsieur Longboat ».

Chaque génération érige en modèles ses athlètes préférés. Lorsque j’étais enfant dans les années 1950, plusieurs jeunes femmes de mon quartier ont été nommées Barbara dans l’espoir qu’en grandissant, elles acquièrent la même grâce et la même détermination que Barbara Ann Scott, patineuse artistique et championne olympique originaire d’Ottawa. De même, bien qu’il ne vive plus à Parry Sound depuis son adolescence, Bobby Orr y a laissé son empreinte grâce à deux bâtiments baptisés en l’honneur de ce joueur de hockey exceptionnel : un centre communautaire polyvalent et un temple de la renommée du hockey. De nombreuses villes et régions abritent leur propre temple de la renommée des sports. Cet engouement n’est pas l’apanage de Toronto, dont les aspirations à la Coupe Stanley vivent et meurent au gré des fortunes de ses équipes. Il a lieu chaque fin de semaine dans toutes les villes aux quatre coins du Canada.

Pour autant, tout le monde n’accède pas au sport de manière égalitaire en Ontario. Les disciplines sportives ont à l’origine été conçues, pratiquées et célébrées dans le cadre d’une culture masculine, dont les filles et les femmes étaient tenues à l’écart. Pendant une bonne partie du XXe siècle, les membres des Premières Nations, les Noirs, les immigrants non britanniques et la classe ouvrière ont, eux aussi, été exclus ou découragés par des interdictions explicites, des préjugés ou des difficultés économiques.

L’une des plus belles histoires du sport en Ontario est la manière dont les personnes exclues se sont battues pour se créer des occasions de réussite, avec le soutien des progressistes. Dans un premier temps, les groupes exclus ont organisé leurs propres événements et ont constitué leurs propres clubs et organismes. Pendant la première vague du féminisme, les femmes ont créé leurs propres clubs et organismes provinciaux et nationaux et ont tenu leurs propres épreuves olympiques sous le slogan « Girls’ sports run by girls » (« Sports de femmes dirigés par des femmes »). Le Ladies’ Golf Club of Toronto, fondé en 1924 par Ada Mackenzie à Thornhill, est un vestige de cette démarche et constitue aujourd’hui le dernier club réservé aux femmes en Amérique du Nord.

Pratiquement tous les groupes d’immigrants, dès qu’ils ont été en nombre suffisamment important, en ont fait autant. Par exemple, pendant une bonne partie du XXe siècle, les Canadiens d’origine finlandaise – autant dans les camps de miniers ou de bûcherons du Nord et du Nord-Ouest de l’Ontario que dans les grandes villes comme Thunder Bay, Sudbury ou Toronto – menaient d’ambitieux programmes et réunissaient chaque été la communauté tout entière à l’occasion d’un festival de gymnastique provincial. Au XXIe siècle, les immigrants asiatiques ont adopté une démarche similaire avec le kabaddi, le sepak takraw et le volley-ball chinois. Parfois, le talent et l’énergie d’athlètes remarquables issus de groupes marginalisés leur ont permis de vaincre les préjugés, de s’insérer dans la société et de légitimer l’ensemble de leur groupe. C’est notamment l’histoire de Fanny « Bobbie » Rosenfeld, qui a donné son nom au trophée de l’athlète féminine canadienne de l’année. Au début des années 1920, Mme Rosenfeld était une immigrante juive russe sans le sou, qui vivait à Barrie, avant que ses exploits en hockey sur glace, en softball et en athlétisme ne l’amènent à Toronto, où elle a ensuite mené une brillante carrière de journaliste au Globe and Mail.

Bien que ces luttes pour l’équité dans le sport en Ontario – et dans la société en général – se poursuivent encore aujourd’hui, elles ont grandement tiré profit de la mise sur pied d’installations et de programmes municipaux et provinciaux. Les lois relatives aux droits de la personne ont également permis d’établir des normes plus élevées en matière d’inclusion. Dans les années 1920, l’Ontario Athletic Commission a décidé de taxer le sport professionnel pour financer des cours de natation dans les écoles, subventionner le sport amateur et construire le tout premier centre d’entraînement de haut niveau du Canada (situé près de Longford Mills, il abrite désormais le Centre d’animation scolaire de l’Ontario). L’Ontario a été la première instance canadienne à financer le sport amateur de façon systématique. Aujourd’hui, le ministère du Tourisme, de la Culture et du Sport de l’Ontario perpétue cette tradition, en permettant aux meilleurs athlètes amateurs de l’Ontario d’atteindre les plus hauts niveaux de compétition, tandis que le Code des droits de la personne de l’Ontario protège la population contre les discriminations fondées sur le sexe, la race ou la religion.

Parmi les nombreuses contributions réalisées par l’Ontario à l’égard du sport et de la société, citons la stratégie consistant à utiliser les grands jeux pour stimuler la rénovation urbaine, les investissements et le développement des collectivités grâce au sport. À la fin des années 1920, un groupe de dirigeants sportifs de Hamilton mené par M.M. Robinson était d’avis qu’il fallait un autre cycle de jeux internationaux afin de maintenir un haut niveau d’intérêt à l’égard du sport amateur durant la période de quatre ans qui sépare deux éditions de Jeux olympiques. D’après les membres du groupe, un tel événement permettrait de renforcer le tissu social dans les villes et les régions qui les accueilleraient. Leurs efforts ont abouti à l’organisation des Jeux de l’Empire britannique à Hamilton en 1930. Malgré le début de la Grande Crise, ces jeux ont été une réussite telle qu’hormis un hiatus pendant la Seconde Guerre mondiale, ils continuent à ce jour sous le nom de Jeux du Commonwealth.

Dans les décennies qui ont suivi, de nombreuses villes canadiennes ont bénéficié des investissements et de l’exaltation générés par les Jeux olympiques, les Jeux du Commonwealth et les Jeux panaméricains, et le Canada s’est forgé une réputation internationale pour sa capacité à organiser ces événements avec succès. Néanmoins, à l’exception des Jeux du Canada et des Jeux de l’Ontario, qui poursuivent la même stratégie, l’Ontario n’a jamais accueilli une autre manifestation sportive. Jusqu’à cette année.

Les Jeux panaméricains et parapanaméricains de 2015 illustrent la stratégie de renforcement des capacités par le sport, comme en témoignent la construction et l’amélioration des infrastructures et des installations dans l’ensemble de la région du grand Toronto et audelà (de Welland à Oshawa), la formation des bénévoles et le versement de contributions financières locales pour tenir la promesse de retombées durables. Je suis persuadé que ces Jeux inspireront de nouveaux récits émouvants sur les aptitudes humaines, tout en exerçant une influence positive et considérable sur la qualité de vie dans la région. De cette façon, ils contribueront à renforcer la valeur du sport dans la société ontarienne.

Ned Hanlan, 1878. Photo avec l’aimable autorisation de Bibliothèque et  Archives Canada.

Photo: Ned Hanlan, 1878. Photo avec l’aimable autorisation de Bibliothèque et Archives Canada.

Centre YM-YWHA, situé au 15, avenue Brunswick à Toronto, v. 1960. Photo avec l’aimable  autorisation des Archives juives de l’Ontario.

Photo: Centre YM-YWHA, situé au 15, avenue Brunswick à Toronto, v. 1960. Photo avec l’aimable autorisation des Archives juives de l’Ontario.