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La place du handicap dans le sport

Jeffery Penner de Kitchener, ski alpin, Jeux paralympiques de Turin, Italie (2006). Photo avec l’aimable autorisation du Comité paralympique canadien.

Par

David Legg et Ian Brittain

Le patrimoine sportif

Date de publication :13 févr. 2015

Photo : Jeffery Penner de Kitchener, ski alpin, Jeux paralympiques de Turin, Italie (2006). Photo avec l’aimable autorisation du Comité paralympique canadien.

En août 2015, 12 jours après la fin des Jeux panaméricains, le « Golden Horseshoe » accueillera les Jeux parapanaméricains. Ce sera la cinquième édition de ces jeux parallèles destinés aux athlètes ayant un handicap, la première édition ayant eu lieu à Mexico en 1999.

Les Jeux parapanaméricains sont supervisés par le Comité Paralympique International, qui supervise également les Jeux paralympiques et permet aux athlètes atteints de lésions de la moelle épinière, de paralysie cérébrale, de déficience visuelle et de déficiences intellectuelles, aux athlètes amputés et aux athlètes atteints d’autres affections incapacitantes de participer à des compétitions sportives de haut niveau. Ce n’est pas la première fois que le Canada accueille une grande compétition multisports destinée aux athlètes handicapés. Le Canada – et l’Ontario en particulier – ont joué un rôle important dans le mouvement paralympique tout au long de son évolution.

Rob Christy d’Ottawa, goalball, Jeux paralympiques de Beijing, Chine (2008). Mention de provenance : Mike Ridewood. Photo avec l’aimable autorisation du Comité paralympique canadien.

En 1967, des amateurs de sport en fauteuil roulant de Winnipeg organisent une série de compétitions sportives à l’occasion des Jeux panaméricains qui se déroulent cette année-là. Bien que ces compétitions ne soient pas reconnues officiellement comme des Jeux parapanaméricains, elles sont importantes car elles donnent l’occasion aux organisateurs, dans le but d’établir des liens avec d’autres organisateurs de sport en fauteuil roulant dans tout le pays, de créer l’Association canadienne des sports en fauteuil roulant (ACSFR) – premier organisme dédié au sport pour athlètes handicapés au Canada. Parallèlement, le Dr Robert Jackson, de Toronto, exerce une influence importante.

Le Dr Jackson est consultant en orthopédie auprès de l’équipe olympique canadienne à Tokyo pour les Jeux olympiques de 1964. Il devient ensuite médecin visiteur à l’hôpital de Tokyo, où est organisée la deuxième édition des Jeux paralympiques (alors appelés Jeux internationaux de Stoke Mandeville, d’après le site d’origine de ces jeux en Angleterre). Ces jeux ont été instaurés par le Dr Ludwig Guttmann, chirurgien anglais que le Dr Jackson souhaite rencontrer du fait de sa réputation médicale. Le Dr Jackson demande à rencontrer la délégation canadienne, mais il n’y en a pas. Le Dr Guttmann met alors le Dr Jackson au défi de faire participer une délégation canadienne aux prochains jeux en 1968, défi que le Dr Jackson accepte avec joie. Il tient sa promesse et le Canada participe pour la première fois aux Jeux paralympiques en 1968 à Tel Aviv. Le Dr Jackson devient également le premier président de l’ACSFR.

En 1976, le Canada accueille les Jeux olympiques à Montréal. Le Dr Jackson, de retour à Toronto, accepte de présider le comité organisateur de jeux parallèles destinés aux athlètes handicapés. Ces jeux, appelés Torontolympiades et destinés aux athlètes ayant un handicap physique, se déroulent au parc Centennial d’Etobicoke. Ces jeux font partie des éditions les plus intéressantes et les plus controversées des jeux paralympiques.

Ces jeux se distinguent tout d’abord par l’ouverture aux athlètes ayant un handicap d’une autre nature qu’une lésion de la moelle épinière, comme les athlètes amputés ou atteints de déficience visuelle. Auparavant, seuls les athlètes atteints de lésions de la moelle épinière participaient. (Les athlètes atteints de paralysie cérébrale ne sont admis qu’en 1980.) Cet exemple sera adopté pour toutes les compétitions sportives paralympiques ultérieures.

D’autres facteurs contribuent à l’importance de ces jeux. Dans les années 1970, des politiques d’apartheid sont en vigueur en Afrique du Sud et dans les pays voisins, suscitant l’opposition du Canada et de la plupart des pays du monde. Diverses sanctions sont mises en place pour manifester l’indignation internationale, notamment l’entente selon laquelle aucune équipe sportive nationale ne doit affronter une équipe d’Afrique du Sud. L’équipe de rugby de Nouvelle-Zélande, les All Blacks, voulant se tester contre l’équipe considérée comme la meilleure au monde, brave cet interdit et se rend en Afrique du Sud pour affronter les Springboks. Des nations indignées menacent le pays hôte des Jeux olympiques de Montréal de 1976 de boycott si la Nouvelle-Zélande n’est pas exclue de la compétition. La Nouvelle-Zélande est autorisée à participer et plusieurs nations africaines boycottent les Jeux olympiques de Montréal.

Stefanie Reid de Windsor, coureuse sur 100 mètres, Jeux paralympiques de Beijing, Chine (2008). Mention de provenance : Mike Ridewood. Photo avec l’aimable autorisation du Comité paralympique canadien.

Stefanie Reid de Windsor, coureuse sur 100 mètres, Jeux paralympiques de Beijing, Chine (2008). Mention de provenance : Mike Ridewood. Photo avec l’aimable autorisation du Comité paralympique canadien.

Quelques semaines plus tard, les Torontolympiades sont confrontées à une situation similaire, mais cette fois, l’Afrique du Sud elle-même a l’intention de participer. Des délégations sud-africaines ont participé aux Jeux paralympiques depuis Tokyo et à tous les jeux qui ont eu lieu à Stoke Mandeville les autres années (sauf en 1969).

Jusqu’en 1975, l’Afrique du Sud a envoyé alternativement des délégations noires et blanches aux Jeux de Stoke Mandeville (qui ont lieu chaque année), mais il semble que les délégations blanches aient toujours été privilégiées pour les Jeux paralympiques (qui ont lieu tous les quatre ans à l’occasion des Jeux olympiques d’été).

Les organisateurs de Toronto savent que la participation d’une équipe d’Afrique du Sud peut conduire au retrait du financement de 500 000 $ promis par le gouvernement canadien pour l’organisation des jeux. Le comité organisateur décide finalement d’autoriser l’Afrique du Sud à participer, à condition que la délégation envoyée soit mixte. L’Afrique du Sud envoie effectivement une équipe d’environ 30 athlètes, dont neuf athlètes noirs.

Cette décision a de nombreuses répercussions. Huit pays se retirent avant ou pendant les jeux sur ordre de leur gouvernement. Le gouvernement canadien met à exécution sa menace et retire également son financement, mais il n’empêche pas l’entrée de l’équipe sud-africaine au Canada.

Les médias locaux montent au créneau. En couverture de l’édition du 10 mars du Etobicoke Guardian figure un dessin représentant deux bras portant sur les manches l’inscription « gouvernement fédéral » qui poussent un athlète noir dans un fauteuil roulant portant un maillot d’Afrique du Sud, avec la légende suivante : « Ottawa menace de retirer son financement de 500 000 $ pour les Olympiades destinées aux athlètes handicapés si ses organisateurs invitent les Sud-Africains » (traduction libre). La réaction du public est significative, avec plus de 10 000 dons et des ventes de billets nettement supérieures aux attentes, notamment pour la cérémonie d’ouverture, pour laquelle le stade de 20 000 places affiche complet. Les organisateurs peuvent ainsi finalement couvrir les frais engagés.

Le gouvernement canadien, peut-être embarrassé par sa décision, décide d’utiliser l’argent prévu pour les jeux pour contribuer à financer la création de divers organismes nationaux qui deviennent la base du système sportif destiné aux athlètes ayant un handicap au Canada.

Les Torontolympiades ont ainsi un impact considérable à la fois sur les futurs Jeux paralympiques et sur l’attitude du public envers le handicap et envers le sport pour athlètes handicapés au Canada. À l’occasion de ces jeux, des athlètes handicapés font pour la première fois la une des médias. Quatre ans plus tard, Terry Fox continue à démontrer que les personnes handicapées sont capables d’exploits sportifs extraordinaires. Les efforts de Terry Fox sont suivis cinq ans plus tard par ceux de Rick Hansen. Les Torontolympiades bénéficient également de la participation de plus de 3 000 bénévoles, qui sont nombreux à poursuivre leur action ensuite pour mener le mouvement du sport pour athlètes handicapés dans tout l’Ontario.

Avant 1976, les Jeux paralympiques étaient des compétitions restreintes, réservées aux athlètes en fauteuil roulant et peu connues du public. De ce fait, ils étaient rarement influencés par la politique. En 1976, tout cela change. Tout à coup, l’attention des médias du monde se porte sur le mouvement paralympique dans une mesure totalement inédite.

Malgré des débuts chaotiques et incertains, l’héritage de ces précurseurs des Jeux paralympiques est encore présent dans les structures organisationnelles du sport pour athlètes handicapés et dans le soutien gouvernemental et public qu’elles reçoivent. Cet héritage est également manifeste dans le succès des Jeux paralympiques aujourd’hui, dont l’envergure a pratiquement triplé depuis les Torontolympiades, et qui sont devenus le deuxième événement multisports mondial après les Jeux olympiques.