Partager:

Manipulation du bâton : L’évolution d’une icône

Bâton de hockey utilisé par Cyclone Taylor lors de sa première saison avec les Sénateurs d’Ottawa en 1907-1908 (Photo avec l’aimable autorisation de Matthew Manor et du Temple de la renommée du hockey)

Par

Bruce Dowbiggin

Le patrimoine sportif

Date de publication :13 févr. 2015

Photo : Bâton de hockey utilisé par Cyclone Taylor lors de sa première saison avec les Sénateurs d’Ottawa en 1907-1908 (Photo avec l’aimable autorisation de Matthew Manor et du Temple de la renommée du hockey)

Il a été écrit que la culture est la géographie. Dans le cas de la domination par l’Ontario du secteur de la production de bâtons de hockey en bois, la géographie du bassin des Grands Lacs a doté la région des ressources naturelles exceptionnelles requises. Abondants, adaptables et durables, les arbres à l’origine de la réputation de Hespeler, St. Marys et Wallaceburg sont favorisés par le climat et la culture.

Á une époque, peu après le retrait de la glaciation wisconsinienne des rives des Grands Lacs, un écureuil peut, si l’envie lui prend, aller de la baie Georgienne à Georgia sur les branches de frênes blancs sans jamais toucher le sol. Le sol riche découvert lors de la fonte des glaces constitue un terrain fertile pour les forêts abondantes qui permettent de construire l’Ontario au temps des pionniers.

Ces peuplements de frênes, d’ormes, d’érables et d’autres feuillus fournissent des maisons, des chariots, des meubles et du combustible aux colons européens qui arrivent dans le nouveau monde. Dans le Centre et le Sud-Ouest de l’Ontario, les forêts sont abattues pour fabriquer tout ce qui était nécessaire à la vie quotidienne.

Catherine Parr Trail, qui a écrit sur la vie en Ontario au XIXe siècle, est une épouse anglaise qui, arrivant en 1833, décrit le tableau d’un « moulin à scie…de piles de planches fraîchement sciées, de tous les débris d’écorce et de copeaux, et d’ossatures de constructions inachevées jonchant le sol brut » (traduction libre).

De nombreuses petites collectivités aux noms évocateurs de leurs origines – London, Berlin, Dresden, Paris, Exeter, Culloden, New Hamburg – sont nourries par la forêt, créant une nouvelle culture. On voit notamment le développement d’un jeu rapide se jouant sur la glace afin d’agrémenter les longs mois d’hiver caractéristiques de cette région. Issu de jeux des Premières Nations et européens, le hockey devient le sport préféré de la population de Windsor à Toronto, et jusqu’à la frontière du Québec.

Hespeler St. Marys Wood Specialties Ltd., v. 1966 (Photo avec l’aimable autorisation des archives de Cambridge)

Le jeu se joue à l’aide d’un disque en caoutchouc, de patins à glace et d’un bâton en bois inspiré du hurley irlandais. Dans les premiers temps, le bâton est généralement sculpté à la main dans un billot de bois, souvent par des Autochtones. L’orme liège ou le charme sont les essences privilégiées, mais, comme ces arbres mettent plus de temps à repousser, le frêne blanc plus prolifique devient rapidement le bois le plus utilisé.

La date d’apparition des premiers bâtons fait l’objet de controverse. En 1851, le fermier Alex Rutherford s’installe avec sa famille dans le canton de Fenelon. Il sculpte ce qui semble être un bâton de hockey dans du bois de caryer de la région. Plus d’un siècle plus tard, Gord Sharpe, son descendant, trouve ce bâton noueux dans la cave de la ferme. Certains pensent qu’il s’agit du plus ancien bâton de hockey existant.

Le nombre de personnes pratiquant ce jeu étant en pleine expansion, les bâtons fabriqués de façon artisanale ne sont plus suffisants pour répondre à la demande. Les usines existantes fabriquant déjà des meubles, des roues, des jouets et des cercueils pour la population croissante, tout est en place pour lancer la fabrication industrielle en série de bâtons en bois.

Les scies sont adaptées pour découper des palettes dans le bois. D’énormes presses utilisées pour fabriquer des pianos sont adaptées pour donner à ces palettes la forme incurvée caractéristique des bâtons de hockey. Les fours utilisés pour empêcher la déformation du bois sont utilisés pour sécher le bois vert et fabriquer des bâtons plus durables.

La géographie de l’Ontario constitue alors un atout unique. Les feuillus comme le frêne blanc, l’orme, l’aulne, l’érable et le caryer poussent dans de nombreuses régions d’Amérique du Nord et d’Europe, mais le climat du bassin des Grands Lacs confère aux arbres poussant en Ontario des propriétés uniques. Il fait suffisamment froid pour donner à la lignine la rigidité et la durabilité nécessaires pour résister à un match disputé. Néanmoins, grâce aux étés chauds, le bois contient la cellulose garantissant la flexibilité également essentielle pour la fabrication d’un bon bâton. Trop au sud en Amérique, le bois est trop tendre. Trop au nord (ou en Russie), le bois est trop rigide. En Ontario, le bois est parfait.

Dans les années 1920, il semble que toutes les villes ayant une rivière, un moulin et des joueurs de hockey produisent des bâtons pour un marché qui s’étend désormais jusqu’aux Prairies. Hespeler (dans ce qui est aujourd’hui la ville de Cambridge), Salyerds à Preston, Hillborn à Ayr, St. Marys Wood Products à St. Marys, Monarch à New Hamburg, Wally à Wallaceburg. D’autres usines fabriquant des bâtons se trouvent dans la région d’Ottawa. Parfois, ces usines produisent des bâtons sous d’autres noms pour des fabricants comme Spalding ou le catalogue Eaton. Les affaires marchent suffisamment bien pour que de nombreuses usines arrêtent la fabrication d’autres produits pour se concentrer sur la production de bâtons de hockey en réponse à la demande du marché.

La Grande Crise des années 1930 porte un coup dur à l’industrie du bâton de hockey ontarienne. Des usines ferment, l’activité diminue et des emplois sont supprimés. Néanmoins, le hockey survit. Howie Meeker, star de la Ligue nationale de hockey (LNH) et plus tard de l’émission « La Soirée du hockey de Radio-Canada » (Hockey Night in Canada), grandit à Kitchener dans les années 1930, où « trois usines de bâtons de hockey sur quatre » fonctionnent bien. Le père de Howie Meeker livre des boissons en bouteille pour la brasserie Kuntz. Une année, se souvient M. Meeker, la société organise une action promotionnelle consistant à offrir un bâton gratuit en échange d’un certain nombre de capsules de bouteilles. « Tout à coup, l’entrepôt de mon père était plein de bâtons de hockey. Mes amis, et tout le monde, avaient toutes sortes de bâtons à leur disposition. »

Stan Mikita et Bobby Hull sont connus pour avoir popularisé le bâton de hockey à lame recourbée dans les années 1960. Alors qu’ils jouaient avec les Blackhawks de Chicago, ils ont permis à l’équipe de remporter la Coupe Stanley, en 1961. Stan Mikita, récipiendaire du trophée Lester Patrick, pendant un match au stade de Saint-Louis, Missouri, le 6 mars 1976. (Photo avec l’aimable autorisation du Temple de la renommée du hockey)

Stan Mikita et Bobby Hull sont connus pour avoir popularisé le bâton de hockey à lame recourbée dans les années 1960. Alors qu’ils jouaient avec les Blackhawks de Chicago, ils ont permis à l’équipe de remporter la Coupe Stanley, en 1961. Stan Mikita, récipiendaire du trophée Lester Patrick, pendant un match au stade de Saint-Louis, Missouri, le 6 mars 1976. (Photo avec l’aimable autorisation du Temple de la renommée du hockey)

Les noms des bâtons sont aussi restés dans les mémoires – Green Flash, Mic-Mac et Blue Flash. Selon Bobby Hull, membre du Panthéon de la renommée du hockey et natif de St. Anns ayant joué au hockey junior à Galt et Woodstock, « Hespeler faisait les meilleurs bâtons… J’en utilisais un toute la saison. Mon père me l’achetait. »

À l’heure où le jeune Bobbie Hull arque ses Hespelers pour réaliser son lancer frappé fulgurant, la construction du bâton en elle-même a évolué. Les modèles d’origine étaient faits d’une pièce et la lame était sculptée dans les racines de l’arbre (bois le plus solide). Mais ils étaient bien trop rigides pour les « tireurs d’élite » de la LNH. Toujours en quête du compromis idéal entre solidité et flexibilité, les concepteurs de bâtons commencent à employer un système composé de deux pièces, puis de trois, afin de maintenir la lame. Un assemblage à tenon et mortaise est utilisé pour maintenir la lame et, après quelques expérimentations pour trouver le bon mélange, des colles industrielles sont utilisées pour fixer son extrémité.

L’Ontario demeure le leader de l’industrie du bâton de hockey jusqu’aux années 1960, période durant laquelle sa domination commence à être remise en cause par des entreprises québécoises comme Sher-Wood et Victoriaville. Néanmoins, les entreprises du Sud-Ouest de l’Ontario prospèrent, même lorsqu’elles sont absorbées par de plus grandes entreprises multinationales comme Louisville et Nike.

L’abandon du bois ontarien au profit du graphite aux propriétés avantageuses pour la fabrication des bâtons de hockey sonne le glas de cette industrie en Ontario. Malheureusement, l’apparition des bâtons en composite condamne l’industrie ontarienne de production de bâtons traditionnels en bois. Conçus en laboratoire, fabriqués en Chine et commercialisés dans le monde entier, les bâtons de nouvelle génération sont infiniment plus légers et permettent des tirs plus rapides.

Les anciens joueurs estiment toujours que les bâtons composites colorés ont trop tendance à se casser, et leur coût représente 10 à 15 fois celui d’un Hespeler. Mais pour la jeune génération, les bâtons en bois sont aussi archaïques qu’un téléphone à cadran.