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Oubliée par son pays

« Open Doors and Good Bread » – L’hospitalité pacifique des mennonites allemands de Pennsylvanie, œuvre originale de l’artiste canadienne Nicole Arnt. Des reproductions de ce tableau peuvent être achetées sur le site canadianartcards.com.

Le patrimoine militaire

Date de publication : févr. 17, 2012

Photo : « Open Doors and Good Bread » – L’hospitalité pacifique des mennonites allemands de Pennsylvanie, œuvre originale de l’artiste canadienne Nicole Arnt. Des reproductions de ce tableau peuvent être achetées sur le site canadianartcards.com.

« Mon joyau le plus cher. » Tels sont les mots d’adoration qu’adresse le lieutenant Maurice Nowlan à son épouse à la veille de sa mort en décembre 1813. À l’aube de la bataille, ses seules pensées vont à Agatha. Le lendemain, il est tué durant l’assaut de Fort Niagara.

Comme beaucoup, Agatha et Maurice se sont rencontrés et mariés alors qu’il est en service et que la guerre fait rage. La vie continue, les couples se marient et ont des enfants. Le capitaine William Derenzy du 41e régiment posté à York épouse Elizabeth Selby en février 1813; tous deux se trouvent au fort York lorsqu’il est envahi le 27 avril 1813 – et tous deux vont jouer un rôle essentiel au cours de cet assaut. Elizabeth est en effet chargée par le général Sheaffe de cacher les fonds du trésor public.

L’armée tente de limiter les épreuves et les difficultés liées à la guerre en envoyant les femmes et les enfants dans le Bas-Canada. Mais ces tentatives ne sont pas toujours couronnées de succès, et des exceptions ont souvent cours. Une ordonnance de district de Kingston en date du 7 juin 1813 établit que les femmes ayant manqué à un ordre antérieur ne se verraient accorder « aucune indulgence pendant leur séjour dans la garnison », alors que celles se rendant à Montréal auraient droit à « des rations et [à] un hébergement ». Quelques jours plus tard, une autre ordonnance est publiée : elle prévoit que les femmes et les enfants des hommes stationnés au Haut-Canada soient envoyés à Montréal où on leur fournirait hébergement, chauffage et rations. Les exceptions concernent les femmes employées comme infirmières dans les hôpitaux ou ayant obtenu une autorisation spéciale du commandant. Une ordonnance générale de district datant de mars 1814 entend limiter à trois le nombre de femmes par compagnie « appartenant ou se joignant à la Right Division », plus prestigieuse.

La guerre n’est pas la pire difficulté pour les femmes : c’est le veuvage. Alors que la milice et le département britannique des Affaires indiennes établissent des systèmes de pension pour les veuves de soldats, d’officiers ainsi que de chefs et de guerriers autochtones pendant la guerre de 1812, l’armée régulière prévoit uniquement des pensions pour les officiers commissionnés et leurs veuves.

En cas de veuvage, la femme d’un soldat n’a généralement que peu d’options : se remarier au sein du régiment ou rester sans un sou, incapable de s’offrir ou d’offrir à ses enfants une alimentation suffisante et un hébergement décent, sans parler de financer un retour au foyer. Les veuves de militaires peuvent demander – et demandent – au commandant des forces armées un soutien pécuniaire et/ou une aide pour pouvoir regagner leur foyer. Dans de nombreux cas, il est impossible de savoir ce que sont devenues ces femmes et ce qu’il est advenu de leurs requêtes, dans la mesure où les documents sont incomplets. Certains portent la mention « décision de Son Excellence ». Aucune explication n’est consignée, certains documents se contentant de mentions telles que « respecté pour un temps limité ».

En dépit des circonstances difficiles auxquelles les femmes peuvent être confrontées, il existe des avantages à être la femme d’un soldat. Pour celles choisissant d’accompagner leur époux, elles n’ont pas à se séparer de leur bien-aimé. Même si leur vie peut sembler dure et sombre à bien des égards, leur sort est pourtant parfois plus enviable que celui de beaucoup de leurs semblables à l’aune de la réalité du début du XIXe siècle. Les femmes et les enfants reçoivent des rations alimentaires régulières et, après 1812, les enfants de soldats ont accès à une éducation obligatoire, aussi basique soit-elle, ce qui ne sera le cas que bien plus tard pour les enfants de civils au Canada. Ils ont également accès au service médical de l’armée, les chirurgiens offrant consultation et traitement aux familles. Enfin, dans certains cas, les régiments effectuent des collectes pour aider les veuves et un fonds de bienfaisance verse de l’argent aux veuves dans le besoin et aux enfants orphelins.

On peut aisément comprendre pourquoi de nombreuses veuves choisissent de se remarier au sein de leur régiment. Selon le subalterne Gleig, les veuves sont alors « absolument sûres de trouver autant de maris qu’il leur en faut ». À Fort York, on a noté au moins deux exemples en la matière pendant la guerre de 1812 – Mary Lucas en novembre 1813 et Mary Porter en septembre 1814. Pour les veuves d’officiers commissionnés, la vie peut être plus difficile, car elles sont liées par les conventions sociales et ne peuvent pas chercher aussi rapidement la sécurité d’une nouvelle union.

Et qu’est-il advenu du « joyau le plus cher » du lieutenant Nowlan? Agatha a fini par demander de l’aide, étant « dans un total dénuement et sans aucun moyen de soutien ». En octobre 1815, après pratiquement deux ans de veuvage, elle a demandé à être inscrite sur la liste des pensions et à recevoir, conformément à la réglementation, le montant supplémentaire d’une année de rémunération, étant donné que son époux était mort au combat. Apparemment, la veuve d’un officier prometteur, mort en héros, avait été oubliée par son propre pays.