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Tableau de la guerre des affiches au Canada

Par

Jay Young

Le patrimoine militaire, La communication

Date de publication : 20 mars 2019

Dans la mémoire populaire et de l’avis de nombreux historiens, la Première Guerre mondiale fait la jonction entre un XIX e siècle qui s’étire et l’âge moderne. De la montée en puissance du pouvoir d’État aux nouvelles normes sociales, la guerre accélère les tendances qui couvaient au Canada au cours des années l’ayant précédée. Elle a également une incidence sur les supports de communication. Même si les journaux restent la principale source d’information pour la majorité des Canadiens et des Canadiennes, les films d’actualités au cinéma et d’autres nouveaux supports deviennent plus courants.

Les affiches de guerre – des imprimés allant du petit placard au grand panneau d’affichage et véhiculant des messages par le biais de texte et d’images – reflètent un grand nombre des changements entraînés par la guerre. Bien que la technologie de la lithographie date de la fin des années 1700, les affiches de la Première Guerre mondiale emploient des techniques de communication visuelle venant de la publicité commerciale. Le contenu des affiches s’inspire des conceptions traditionnelles du genre, de la vertu et de la loyauté, mais les présente par l’intermédiaire d’un média de masse à une société de masse émergente. Les affiches sont à ce point consubstantielles des communications de l’époque que les spécialistes qualifient le conflit de « guerre des affiches ».

Pour celles et ceux d’entre nous qui désirent aujourd’hui se renseigner sur cet aspect « graphique » du conflit, il existe aux quatre coins du Canada des dépôts abritant de vastes collections d’affiches de guerre, nombre desquelles sont numérisées et faciles d’accès pour les chercheurs. La collection d’affiches de guerre des Archives publiques de l’Ontario compte 295 pièces, dont 158 proviennent du Canada du temps de la Première Guerre mondiale. Ces affiches ont beau avoir été produites pour être placardées immédiatement, elles restent une source de tout premier ordre pour comprendre comment la guerre a été « vendue ».

Les affiches promeuvent généralement une cause spécifique. De nombreuses pièces appartenant à la collection des Archives publiques prient leurs spectateurs de faire une contribution financière à l’effort de guerre par l’intermédiaire d’obligations de la Victoire ou du Fonds patriotique canadien, qui apporte un soutien aux familles de militaires. Le recrutement est un autre thème populaire, avec des affiches qui en appellent à la virilité des hommes, à l’influence des épouses sur leurs maris, ou à l’identité ethnique des potentielles recrues. D’autres affiches exhortent à accroître la production agricole ou industrielle. Dans l’ensemble, les affiches cherchent à renforcer le soutien public en faveur de la guerre et à créer une cohésion sociale – quitte à représenter de manière caricaturale les dirigeants et les peuples des nations ennemies.


Durant les premières années de guerre, la production d’affiches est décentralisée et ad hoc. Les comités de recrutement locaux, les régiments ou d’autres organismes se procurent des affiches à titre individuel auprès d’imprimeries situées à Toronto, Hamilton et dans d’autres localités, qui emploient des graphistes (certains, comme J.E. Sampson, feront de brillantes carrières durant les années d’après-guerre). Les affiches canadiennes présentent parfois des similitudes avec d’autres modèles populaires conçus en Grande-Bretagne et dans les autres pays alliés.

Dès 1916, le gouvernement fédéral instaure le service des affiches de guerre, chargé de créer une imagerie promotrice des objectifs de la Commission canadienne du Ravitaillement et des autres initiatives menées en temps de guerre. Souvent, il existe des versions identiques en français et en anglais. Les affiches de guerre, comme tant d’autres choses durant le conflit, se font l’écho de l’influence croissante du gouvernement fédéral sur la vie des Canadiens et des Canadiennes. Cependant, leurs messages reflètent également une autre évolution : le sentiment d’aventure et d’optimisme des débuts cédant au désir désespéré et sincère d’en finir avec un conflit qui s’éternise.


Si le tirage des affiches va de quelques centaines d’impressions à des dizaines de milliers pour les campagnes les plus importantes, leur impact direct sur la population canadienne est difficile à quantifier. Les affiches ont-elles permis d’accroître le soutien financier, le recrutement et la mobilisation? Il est notoirement délicat de comprendre comment les publics interprètent les supports de communication, en particulier lorsqu’on étudie le passé. Il est possible d’affirmer que les affiches de guerre – placardées dans les bureaux de recrutement, les centres de transport, les places publiques et les autres aires de trafic important – ont représenté une part considérable du paysage visuel du front intérieur. Elles ont aussi familiarisé la population canadienne avec les dispositifs de publicité commerciale, une tendance qui s’est poursuivie lorsque le conflit a pris fin en 1918.

D’expérience vécue, la Première Guerre mondiale s’est muée en souvenir collectif. Peu de Canadiens et de Canadiennes qui se rappellent le conflit étant encore en vie, les documents liés à la guerre conservés dans les archives et autres dépôts sont désormais d’autant plus importants. Les affiches de guerre documentent avec un détail saisissant non seulement la culture visuelle de l’époque, mais aussi les moyens employés par le gouvernement et les autres institutions pour communiquer la guerre aux Canadiens et aux Canadiennes.

A propos de l'auteurJay Young

Jay Young est un agent de sensibilisation aux Archives publiques de l’Ontario.

Canada’s Egg Opportunity, Commission canadienne du Ravitaillement

Photo: Canada’s Egg Opportunity, Commission canadienne du Ravitaillement, [v. 1918] (Archives publiques de l’Ontario)

Pour que la terre leur soit légère

Photo: Be yours to hold it high!, Artist: F.L. Nicolet, [between 1914 and 1918]. Archives of Ontario.