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CKLW – The Big 8: la station de radio américaine n° 1 au Canada

Station de radio CKLW. Artona Studio, Josephine A. Smith, Windsor, Ontario.

Par

Ron Leary

La communication

Date de publication :20 mars 2019

Photo : Station de radio CKLW. Artona Studio, Josephine A. Smith, Windsor, Ontario. Gracieuseté du Musée Windsor P 6539

La station de radio la plus écoutée à Détroit à la fin des années 1960 était CKLW – The Big 8. Elle égayait toute une région. En descendant l’avenue Woodward, on pouvait l’entendre rugir de toutes les directions – depuis les voitures en circulation, dans les commerces et par les fenêtres ouvertes des maisons. CKLW était la toile sonore d’une région entière et la bande son de toute une génération. Mais la station n° 1 à Détroit n’émettait pourtant pas de Détroit. Ses 50 000 watts de puissance AM, dont les ondes se propageaient à travers le Sud de l’Ontario et dans plus d’une dizaine d’États américains, émanaient en fait de la rive sud de la rivière Détroit, à Windsor, en Ontario.

The Big 8 n’était qu’exaltation et rythmes endiablés. Son style audacieux et innovant a révolutionné la diffusion tout autant que la consommation des programmes radiophoniques et des médias. Son format permettait de « balancer » des tubes à la chaîne, sans relâche. Grâce à ses présentateurs, les nouvelles étaient aussi passionnantes que la musique diffusée. Son ingénieur, le « génie du son » Ed Buterbaugh, a repoussé les capacités de la fréquence AM, créant une détonation supersonique qui a permis à la station de dépasser toutes ses concurrentes. CKLW vibrait du pouvoir grandissant de la jeunesse, d’une nouvelle génération qui demandait à être écoutée autant que la station elle-même.

La musique était la colonne vertébrale de CKLW. C’était la « radio des tubes », et son règne à la tête du marché radiophonique avant-gardiste de Détroit reposait sur sa capacité de mêler harmonieusement le R&B « noir » et le rock’n’roll « blanc » d’une façon que la plupart des stations américaines ne pouvaient pas approcher. C’est Rosalie Trombley, pionnière de la radio et directrice musicale connue comme la « femme aux oreilles d’or », qui menait la danse pour dénicher les tubes. Elle était « la femme la plus puissante dans le monde de la musique pop » parce qu’elle faisait les carrières. Grâce à son instinct infaillible et au vaste réseau dont elle disposait pour recueillir des données précises sur les habitudes d’achat et d’écoute dans la région, lorsqu’elle ajoutait une chanson à la liste de diffusion hebdomadaire, CKLW Big 30, les stations de toute l’Amérique du Nord prêtaient l’oreille. Son flair unique a influencé des carrières aussi diverses que celles d’Elton John, de Diana Ross & the Supremes, de Bob Seger, de Stevie Wonder, d’Alice Cooper et de KISS.

Avec The Big 8, Windsor est devenue une « passerelle » sur le marché radiophonique permettant de faire connaître des artistes exécutants canadiens aux États-Unis. Comme les débouchés sur le marché national étaient limités, les artistes exécutants canadiens ont toujours été tentés par le public américain et ses perspectives lucratives. Rares sont ceux qui ont plus bénéficié de la popularité de la station que The Guess Who. Même si le groupe connaissait déjà le succès au Canada, sa carrière est entrée dans une autre dimension lorsque CKLW a diffusé These Eyes en 1969. Du jour au lendemain, ils avaient signé avec le label américain RCA Victor, et dans l’année qui a suivi, leur chanson American Woman s’est classée n° 1 au palmarès du Billboard. CKLW était à la manœuvre pour propulser la carrière de nombreux artistes et groupes canadiens, comme Steppenwolf, The Stampeders, Bachman-Turner Overdrive, Burton Cummings, The Bells, Five Man Electrical Band, The Poppy Family et beaucoup d’autres. Pour reprendre les propos de Gordon Lightfoot, la radio de Windsor a fait de Détroit « la première grande ville américaine où vous étiez susceptible d’être écouté ».

Toutefois, en 1970, les nouveaux règlements relatifs au contenu canadien (CanCon) ont fortement compromis la compétitivité de la station au sein du marché radiophonique de Détroit. Pour respecter ces règlements, il a fallu réduire drastiquement la diffusion de musique R&B « noire ». Sur une note plus positive, ces changements ont permis à l’industrie canadienne de l’enregistrement sonore de voir le jour en un rien de temps, et le marché a connu une « grande bousculade » visant à combler l’espace nouvellement créé pour les artistes canadiens. Mais comme l’industrie n’en était qu’à ses premiers pas, CKLW n’a pas pu remplacer les tubes sur lesquels elle s’appuyait pour asseoir sa domination sur le marché radiophonique. Malgré ces contraintes, CKLW a tout de même conservé sa place de n° 1 jusqu’en 1973. Cependant, avec la fragmentation croissante de l’auditoire consécutive à la montée des radios FM tout au long des années 1970, les audiences de CKLW allaient continuer de baisser. En 1984, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a sonné le glas de CKLW en refusant sa demande visant à relancer la station sur la bande FM. Peu de temps après, CKLW a hissé le drapeau blanc, licencié tout son personnel et modifié ses formats.

L’histoire de The Big 8 reste néanmoins l’une des aventures radiophoniques les plus enthousiasmantes et les plus singulières du XX e siècle. Elle s’est déroulée dans une petite ville frontalière généralement considérée comme vivant dans l’ombre de Détroit et non comme un grand foyer d’influence culturelle. C’est pourtant bien cette ville qui a un temps hébergé l’une des stations de radio les plus écoutées et les plus influentes en Amérique du Nord.