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Lever de rideau : stitched! lance un spectacle pilote de journalisme vivant

stitched!

Photo : stitched!

Par

Sonya Fatah

La communication

Published Date: mars 20, 2019

À une époque où règne la méfiance, faire le récit de nouvelles multimédias sur scène devant un public donne la possibilité novatrice de faire du journalisme tout en retissant le lien communautaire.

J’ai entendu parler d’une chose qualifiée de « journalisme vivant » pour la première fois il y a six ans. Des journalistes expérimentaient en donnant des nouvelles de façon plus immersive, devant un public en salle. Portant l’empreinte de la Silicon Valley, ma découverte fortuite avait vu le jour à San Francisco, d’un partenariat entre un quintette de journalistes et d’entrepreneurs technologiques qui maîtrisaient l’art de la narration documentaire et avaient conscience de son importance. Né en toute discrétion dans un garage, le fruit de leurs efforts s’intitulait Pop-Up Magazine et s’est mué depuis en spectacle vivant primé et itinérant, qui s’offre au regard du public sous la forme d’une série de nouvelles prenant vie sous ses yeux. Au lieu de lire une revue, les spectateurs regardent des journalistes faisant leurs récits tandis qu’un assortiment de séquences multimédias et vidéo défile en arrière-plan et qu’un orchestre intervient sur scène à point nommé.

Je me suis dit que c’était une idée de génie. Les journaux étaient déjà en train de s’effondrer, leur personnel se réduisant à une peau de chagrin, leurs profits inexistants. Les revues prenaient le même chemin, choisissant de s’incarner exclusivement en ligne avec des équipes réduites. Vous connaissez la chanson. L’avenir du journalisme est menacé et la multitude de jeunes qui font leur arrivée dans la profession sont obligés de se tourner vers le milieu instable de la pige et du travail contractuel. La rémunération est faible, l’emploi précaire.

Cependant, l’audio vit une sorte de renaissance. Les gens commencent à adopter la baladodiffusion comme moyen de faire davantage de récits audio, attirant les navetteurs et les auditeurs dans les mondes feutrés et intimes qu’ils désirent explorer. Dans l’intervalle, j’avais commencé à étudier comment créer quelque chose de similaire à Pop-Up Magazine à Toronto – une ville fourmillante de talent créatif. Dans d’autres villes, des journalistes expérimentaient de nouveaux formats sur scène : De Balie Magazine à Amsterdam, et Live Magazine en France et en Belgique, par exemple. L’année dernière, le Bureau of Investigative Journalism, au Royaume-Uni, a lancé un spectacle itinérant intitulé « Refuge Women » (femmes de refuges). Il s’agissait de rendre compte de l’impact des coupes budgétaires dans le financement destiné à la lutte contre la violence familiale.

J’ai commencé à travailler sur un concept en 2015, en partenariat avec un journaliste qui s’intéressait également à l’émergence de formes (plus ou moins) nouvelles de faire du journalisme et de nouer des liens avec des publics. En imaginant un concept, il m’a paru intéressant de me questionner sur le rôle du journalisme vivant au sein de l’écosystème médiatico-journalistique dans son ensemble, et la manière dont la pratique journalistique façonne un effort pluridisciplinaire. Comment faire des récits sur scène, et ce, en trouvant de nouvelles façons plus immersives d’impliquer le public? Quel est le rôle de la journaliste dans une telle production? Comment documenter et vérifier la nouvelle? Et qu’est-il possible d’apprendre en collaborant avec des collègues de domaines connexes comme les arts du spectacle, les arts de l’image, le design?

stitched! est le fruit de cet effort. Il vise à restaurer les anciennes traditions de communication – comme le récit oral – tout en adoptant des technologies et méthodes créatives nouvelles pour concevoir un espace collaboratif, ouvert et conversationnel. Il a fait ses débuts en mars 2019 dans le cadre d’une collaboration interdisciplinaire et internationale.

Pour tester l’idée, un groupe d’étudiants a suivi deux supercours consécutifs (des cours interdisciplinaires ayant regroupé des étudiants de plusieurs écoles sous l’égide de la faculté de communication et de design de l’Université Ryerson pour prendre part à un projet collaboratif). Les étudiants se sont vu remettre une note conceptuelle dont ils ont dû se servir pour élaborer un spectacle vivant de journalisme. Le deuxième groupe a choisi de développer un récit sur les attitudes culturelles divergentes vis-à-vis de la consommation de viande de chien, ici à Toronto d’une part, et en Corée du Sud, où a eu lieu la majorité du travail de documentation et de reportage, d’autre part. On a demandé au public d’examiner – et de remettre en cause – les préjugés culturels à l’égard de la consommation, mais aussi de participer à des débats plus complexes sur la question en Corée du Sud. Le public a observé le journaliste (Adam Chen) faire son récit – présentant de nombreux personnages rencontrés lors de son séjour en Corée du Sud – tout en voyant leur visage illuminer deux grands écrans. Durant la production d’une demi-heure, le public a été exposé à une diversité de points de vue, marchant au côté d’Adam tandis qu’il couvrait des manifestations et parlait à des propriétaires de restaurants, des activistes et des anthropologues des cultures. C’était indubitablement un thème exigeant pour une production pilote.

Mais l’objectif principal, qui consistait à valider le concept, a été atteint. Alors que les gens allaient et venaient après le spectacle, et discutaient de la question, le sentiment qu’il y avait davantage matière à débat que la simple viande de chien était palpable. À l’automne, stitched! intègrera le Global Campus Studio, conçu sur un modèle identique à celui du supercours tout en incluant en outre des collaborations avec des étudiants d’universités étrangères. Je caresse l’espoir que stitched! finira par devenir un spectacle régulier hébergé à Ryerson, et que ses « numéros » verront se côtoyer une combinaison d’étudiants et de journalistes professionnels en activité.

Chaque idée de récit mérite d’avoir sa propre exécution, et stitched! a le potentiel de développer une production différente pour chaque nouvelle. Au cœur de chaque œuvre journalistique, on trouve des questions centrales. Cette nouvelle mérite-t-elle un format vivant et, le cas échéant, comment devrait-elle être racontée/interprétée/rapportée? Comment la rendre suffisamment immersive pour susciter une conversation? Comment faire en sorte que les gens repartent en ayant le sentiment que l’expérience les a enrichis?

À une époque où les journalistes sont attaqués en permanence et où la confiance que le public leur accorde est faible, le récit sur scène donne la possibilité de dialoguer et de tisser des liens communautaires. Il a le potentiel de nous attirer dans un espace plus personnel et plus intime pour échanger des nouvelles et en débattre.