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Les voix de Chief’s Point
"Cela m’émeut profondément de l’entendre par ces enregistrements, car j’ai l’impression qu’il me tend la main depuis le passé, depuis l’au-delà. C’est un sentiment assez extraordinaire."
– Bernice Kahgee, petite-nièce de Robert Thompson
En 1938, Edwin Seaborn, un médecin de London, collabora avec les aînés anichinabés, Pe-wak-a-nep (surnommé Robert Thompson) et sa femme Eliza pour enregistrer des récits et chants anichinabés. Les chants, parmi lesquels figuraient Tecumseh’s Story, Beaver Story, Thunder Bird Medicine Story et Chippewa Love Song (L’Histoire de Tecumseh, L’Histoire du castor, L’Oiseau-tonnerre : une histoire de la médecine, La Chanson d’amour chippewa), étaient gravés sur huit cylindres de cire et sept disques en aluminium enduit de vernis-laque. Edwin Seaborn reproduisit le récit Tecumseh’s Story dans son livre The March of Medicine in Western Ontario, publié en 1944. Les autres, ainsi que le décrit la chercheuse anichinabée Bimadoshka Pucan, « dormaient sur une étagère depuis 80 ans. Personne ne savait qu’ils se trouvaient là. Personne n’avait conscience de leur importance. » [traduction] Comment ont-ils refait surface?
C’est en 2011 que Bimadoshka Pucan découvre le livre d’Edwin Seaborn. Elle reconnaît dans l’histoire et le cadre narrés dans Tecumseh’s Story ceux de son propre peuple, la Première Nation de Saugeen. Elle se lance alors à la recherche des disques et des cylindres. Se trouvaient-ils à l’Université Western? Non. Dans la salle London de la bibliothèque publique de London? Non. Au musée de London? Enfin, une réponse positive! La famille Seaborn avait fait don des disques et des cylindres au musée en 1975. Demeurait une question : quelle serait la prochaine étape?
Bimadoshka Pucan et le personnel du musée de London travaillèrent main dans la main pour obtenir des réponses. Nous souhaitions numériser les disques et les cylindres et organiser une exposition pour les mettre à l’honneur. Nous souhaitions rapatrier ce legs intellectuel au sein de la Première Nation de Saugeen afin que celle-ci puisse transmettre, selon ses propres coutumes, les chants et les récits au plus grand nombre. Bimadoshka Pucan confirme : « Je ne voulais pas que les fichiers numériques prennent la poussière sur une étagère numérique pour les 80 années à venir. Je voulais que ce bien culturel fasse à nouveau partie intégrante de la communauté. »
Un objectif impossible à réaliser sans financement. Après avoir obtenu une subvention du Programme d’aide aux musées auprès du ministère du Patrimoine canadien, le personnel du musée dressa une liste des instituts de pointe dans la conservation et la numérisation. Les équipes « Cela m’émeut profondément de l’entendre par ces enregistrements, car j’ai l’impression qu’il me tend la main depuis le passé, depuis l’au-delà. C’est un sentiment assez extraordinaire. » – Bernice Kahgee, petite-nièce de Robert Thompson firent restaurer deux cylindres brisés au Williamstown Art Conservation Centre à Williamstown (Massachusetts). Et elles transmirent les disques et les cylindres au Northeast Document Conservation Center à Andover (Massachusetts), où ils furent numérisés au moyen d’une technologie ultramoderne sans contact baptisée IRENE.
La première écoute des chants et des récits numérisés fut pour Bimadoshka Pucan une expérience intense. Émue aux larmes, elle s’écria, « Je vous entends! » Il fallut ensuite rapatrier les fichiers numériques au sein de la Première Nation de Saugeen afin de solliciter les lumières des aînés et des enseignantes et enseignants initiés aux valeurs traditionnelles. Mais Bimadoshka Pucan appréhendait ce moment : « Je craignais qu’on pense qu’il ne fallait pas que j’écoute [ces chants et récits]. Je pensais que les gens s’emporteraient en découvrant que ces objets se trouvaient dans un musée depuis si longtemps. »
Pe-Wak-A-Nep (Robert Thompson) et le Dr Seaborn, v. 1939. Photo: Robert Thompson et Edwin Seaborn, fonds Seaborn, Western Archives, Université Western, London, Canada.
Ses craintes se révélèrent infondées. Les aînés et les enseignants initiés aux valeurs traditionnelles se sentirent d’emblée unis par un lien à ces chants et récits. Plusieurs reconnurent la voix de Robert Thompson. D’autres discernèrent des mots en langue anichinabée dont l’usage a changé ou n’est plus courant. Toutes et tous admirent la valeur que représentent ces chants et récits pour la culture et la médecine. Grâce aux aînés et aux enseignants initiés aux valeurs traditionnelles, Bimadoshka Pucan comprit que le contenu des cylindres et des disques présentait un caractère unique. L’ethnologue américaine Frances Densmore enregistra des milliers de chants chippewas (anichinabés) à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Mais les chants et récits de Robert Thompson n’en faisaient pas partie. Lori Kewaquom, coordinatrice des actions culturelles et de mieux-être au sein de la Première Nation de Saugeen, explique parfaitement bien ce que représentent les chants et les récits de Robert Thompson pour les générations actuelles : « Il est très, très important que nous sachions qui nous sommes et bénéficier d’un tel lien est tout simplement merveilleux. »
S’appuyant sur les connaissances et les enseignements de sa communauté, Bimadoshka Pucan a collaboré avec les équipes du musée de London – à titre de conservatrice invitée – pour mettre sur pied l’exposition Voices of Chief’s Point (Les Voix de Chief’s Point). Cet événement répond à une triple ambition : honorer la Première Nation de Saugeen, rendre hommage à Robert et Elizabeth Thompson, ainsi qu’au Dr Edwin Seaborn, et souligner le poids des chants et récits dans la renaissance d’un peuple et de sa culture dans le sillage dévastateur du programme de pensionnats autochtones et de la Loi sur les Indiens.
Nous pensons avoir répondu à nos objectifs. Dans un livre d’or, une Autochtone a glissé les mots suivants : « Entendre la langue de mon grand-père m’a émue aux larmes. Ces chants sont de puissants remèdes. » L’exposition est également plébiscitée par les membres de la population non autochtone.
Bimadoshka Pucan poursuit la transmission de ces chants et récits. L’exposition Voices of Chief’s Point sera présentée au musée et centre culturel du comté de Bruce en septembre 2019.
"Les Anichinabés forment un peuple résilient. Vigoureux. Capable de s’adapter. Un peuple travailleur. À même de réfléchir par lui-même."
– Bimadoshka Pucan, conservatrice invitée, Voice of Chief’s Point