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Revitaliser les collectivités – Le pouvoir de la conservation

Par

Beth Hanna

L'économie du patrimoine, Les bâtiments et l'architecture, La communauté, Réutilisation adaptative

Date de publication : 01 oct. 2019

Ces dernières années, j’ai abondamment parlé et écrit au sujet de la valeur – pour évoquer ce que nous choisissons de protéger, comment nous prenons ces décisions et qui nous faisons participer au processus décisionnel. L’équipe de la Fiducie s’est intéressée aux histoires que nous racontons et au patrimoine que nous protégeons sur nos sites et dans le cadre de nos programmes. Nous nous efforçons de revoir ce point de vue historique pour dresser un portrait plus honnête, authentique et inclusif du patrimoine de l’Ontario. Ces discussions sont aussi importantes qu’opportunes.

A propos de l'auteurBeth Hanna

Beth Hanna est directrice générale de la Fiducie du patrimoine ontarien.

Canal Rideau (Ottawa) (Photo : Destination Ontario)

Canal Rideau (Ottawa) (Photo : Destination Ontario)

Dans ce numéro de Questions de patrimoine, nous abordons plus largement la question de la valeur des sites patrimoniaux et des bâtiments anciens dans nos collectivités. On nous demande souvent de mesurer l’impact de notre travail en termes économiques. Les bailleurs de fonds, les commanditaires et les gouvernements s’intéressent de plus en plus aux stratégies permettant de mesurer les résultats patrimoniaux en fonction de paramètres utilisés couramment dans les entreprises commerciales. Quel est le résultat financier? Le rendement des investissements? L’usage optimal?

En réalité, l’impact économique de la revitalisation du patrimoine est bien documenté. Nous savons que l’investissement dans la préservation et la restauration des bâtiments anciens crée des emplois et stimule les affaires et le tourisme. Nous savons que cela permet d’aider les petites entreprises et d’appuyer l’activité économique locale. Dans ce numéro, nous examinerons l’intérêt de la conservation du patrimoine en tant qu’investissement solide et nécessaire dans la santé et la vitalité de nos collectivités.

Aux États-Unis, la National Trust for Historic Preservation a réalisé des études de cas dans trois villes américaines pour démontrer le rôle unique et précieux que jouent les petits bâtiments anciens dans le développement de villes durables. Selon les conclusions du rapport Older, Smaller, Better: Measuring how the character of buildings and blocks influences urban vitality (2014), « les différents résultats économiques, sociaux et environnementaux mesurés sont meilleurs dans les quartiers établis comprenant des petits bâtiments anciens que dans les districts composés de grandes structures neuves » [traduction].

Il convient d’examiner en détail les principales conclusions de ce rapport (qui sont résumées ci-dessous) ainsi que les principes de développement et d’aménagement qu’il propose aux fins d’utilisation par d’autres collectivités. Voici les principales conclusions :

  • Les quartiers anciens à usage mixte sont plus piétonniers
  • Les jeunes adorent les bâtiments anciens
  • La vie nocturne est plus animée dans les rues comprenant des bâtiments de tous âges
  • Les quartiers d’affaires anciens offrent des espaces abordables et polyvalents aux entrepreneurs de tous horizons
  • L’économie de la création est florissante dans les quartiers anciens à usage mixte
  • Les petits bâtiments anciens offrent des espaces renforçant l’économie locale
  • Les quartiers anciens à usage mixte et commerciaux recèlent une forte densité [traduction].

D’après Heritage Counts 2018, une étude de l’organisme Historic England sur les bâtiments patrimoniaux utilisés à des fins commerciales en Angleterre, 142 000 entreprises exercent leurs activités dans des bâtiments classés à l’échelle de ce pays, soit une hausse de 18 p. 100 entre 2012 et 2018, et 26 p. 100 des industries de la création sont par ailleurs situées dans des zones protégées. L’étude conclut que l’« environnement historique fait partie du ‘capital’ ou des ‘ressources’ dont les entreprises ont besoin pour s’établir et prospérer », et fait ensuite valoir que grâce « à des politiques de développement économique prudentes axées sur la conservation, ainsi qu’à la mobilisation des collectivités et des entrepreneurs, les biens patrimoniaux peuvent contribuer fortement à l’avantage concurrentiel d’un lieu et à la prospérité sociale des économies locales » [traduction]. Il convient d’examiner attentivement cette étude importante.

« Les biens patrimoniaux ont évolué et ceux qui subsistent ont réussi à contrer l’obsolescence fonctionnelle et à surmonter les conséquences de la négligence voire des dégâts subis. Ils se sont adaptés et continuent de former l’épine dorsale de nos économies locales. De nos jours, les quartiers historiques accueillent plusieurs secteurs nouveaux et émergents comme les industries de la création – d’après notre étude, 26 p. 100 des entreprises de ce secteur en croissance sont situées dans des zones protégées. » [Traduction] Heritage Counts 2018

Le fait est que la conservation du patrimoine ne se limite pas à un investissement économique dans nos collectivités. La préservation du patrimoine contribue aussi à accroître la vitalité, la compétitivité et l’authenticité des collectivités.

Jane Jacobs, auteure de Déclin et survie des grandes villes américaines, est bien connue pour ses commentaires sur les villes et pour sa conclusion selon laquelle « des idées neuves doivent obligatoirement prendre naissance dans un immeuble ancien ». Voici d’ailleurs la citation complète : « Les villes ont tellement besoin d’immeubles anciens qu’en leur absence, il est pratiquement impossible de voir se développer des rues et des districts pleins de vie. (...) Quant aux idées vraiment neuves dans tous les domaines – même si en fin de compte certaines de celles-ci se révèlent rentables ou présentent d’autres avantages –, il n’y a pas de place pour elles dans le cadre coûteux d’une construction nouvelle, car il n’y a pas de place pour les risques inhérents à des essais, des échecs et des expérimentations. Des idées éprouvées peuvent parfois s’épanouir dans le cadre d’un immeuble neuf, des idées neuves doivent obligatoirement prendre naissance dans un immeuble ancien. »

Je me demande si elle savait que ses arguments seraient aussi souvent invoqués pour appuyer la conservation et les bonnes pratiques d’urbanisme.

« Les villes ont tellement besoin d’immeubles anciens qu’en leur absence, il est pratiquement impossible de voir se développer des rues et des districts pleins de vie. » Jane Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines

La conservation du patrimoine va au-delà du milieu bâti. Il s’agit également de préserver les espaces historiques, les paysages, les zones importantes et sensibles sur le plan environnemental, ainsi que la relation entre les gens et la terre. L’idée est d’offrir aux citoyens des points de service qui mettent à l’honneur les lieux et les histoires qui sont les leurs.

Dans Why Preservation Matters, Max Page explique que la préservation historique consiste « fondamentalement à tisser des liens et à établir un dialogue entre les êtres humains et les lieux anciens » qui, selon lui, sont des lieux « puissants permettant de stimuler notre imagination, nos émotions et notre sentiment d’interdépendance comme aucun autre lien avec le passé ne peut le faire » [traduction].

Dans tout l’Ontario, les gens sont désireux de visiter et d’admirer les lieux anciens, d’y magasiner et de s’y restaurer. D’après l’étude « Measuring the Economic Impacts of Heritage » (« Mesurer la contribution économique du patrimoine » – en anglais seulement) de Hill Stratégies, les retombées économiques directes des industries artistiques, culturelles et patrimoniales en Ontario s’élevaient à 26,7 milliards de dollars en 2017. Résidents et visiteurs sont friands et demandeurs de ce type d’expérience, que ce soit au Distillery District de Toronto, à Belfountain, à St. Jacobs, sur le canal Rideau ou dans le canyon Agawa. Si les demandes commerciales de ce genre appellent évidemment une réponse, il faut une vision, un leadership et un engagement pour entretenir ces lieux uniques et commercialement viables dans un marché concurrentiel.

Les exemples de personnes visionnaires qui mènent des projets donnant des résultats positifs dans leurs collectivités et leurs quartiers sont légion. Les Prix du lieutenant-gouverneur pour les réalisations en matière de conservation du patrimoine ontarien en ont récompensé un certain nombre ces dernières années, et j’aimerais juste vous citer quelques exemples.

« À l’ère de l’expansion urbaine rapide, la conservation et l’utilisation pérenne du patrimoine peuvent apporter une continuité et une stabilité indispensables. (...) Un centre historique bien conservé peut aussi permettre à une ville de se distinguer de ses concurrentes (...) et l’aider ainsi à attirer des investissements et des talents. (...) En outre, le patrimoine permet de retrouver durablement ses racines, de renforcer son estime de soi et de restaurer sa dignité. L’identité est une question essentielle pour toutes les villes dynamiques et tous les citoyens. (...) En d’autres termes, le passé peut constituer une assise pour l’avenir. » [Traduction] Rachel Kyte, vice-présidente, Réseau de développement durable, Banque mondiale

En 2017, le cabinet ERA Architects et la société Streetcar Developments ont remporté un Prix du lieutenantgouverneur pour l’excellence en matière de conservation du patrimoine ontarien récompensant leur projet de conservation et de revitalisation du Broadview Hotel, à Toronto. Datant de 1891-1892, le Broadview Hotel est un édifice emblématique qui sert de carrefour communautaire dans le quartier Riverside de la ville. L’équipe a restauré et conservé les éléments architecturaux clés du bâtiment, tout en apportant des améliorations judicieuses qui lui confèrent une vocation commerciale, notamment pour la vente au détail. Ce projet a donc permis de transformer un lieu phare et de revitaliser le paysage urbain de Riverside.

La Thames Talbot Land Trust, une fiducie foncière sans but lucratif dédiée à la promotion et à la préservation du patrimoine écologique, a remporté en 2016 un Prix du lieutenant-gouverneur pour l’excellence en matière de conservation du patrimoine ontarien. L’organisme a acheté le bois de l’escarpement Hawk, une propriété revêtant une importance culturelle d’une superficie de 93 hectares (230 acres). Forte de l’appui de bénévoles, la Thames Talbot Land Trust a lancé plusieurs initiatives visant à préserver et à améliorer l’état de ce pan de forêt carolinienne jouxtant une voie migratoire internationale pour différents oiseaux et pour le monarque. Ces efforts ont permis de sécuriser le site et de l’ouvrir au public, qui peut désormais profiter de ses sentiers balisés et de ses panneaux d’interprétation.

En 2015, le canton d’Oro-Medonte a lancé une campagne de financement participatif et de commercialisation novatrice pour sauver l’église épiscopale méthodiste africaine d’Oro. Cette campagne a porté fruit, non seulement pour les fonds recueillis afin de procéder à la restauration, mais aussi pour l’enthousiasme et l’engouement exceptionnels suscités dans l’ensemble de la collectivité. L’esprit d’initiative était palpable dans tous les aspects de la campagne et a rayonné au-delà d’Oro-Medonte, avec divers donateurs et partisans de partout au Canada et aux États-Unis. La cérémonie de réouverture, en août 2016, reflétait symboliquement cette célébration de la diversité culturelle, religieuse et raciale.

Il y a encore beaucoup d’autres exemples. L’ancienne gare du Chemin de fer Canadien Pacifique, à Owen Sound, a trouvé un second souffle après sa transformation en brasserie-restaurant, Mudtwon Station, un lieu de rassemblement communautaire dont vous découvrirez l’histoire quelques pages plus loin. L’ancienne caserne de pompiers de Grimsby est devenue un café-bar prisé, le Station 1 Coffeehouse. Quant au propriétaire de la boulangerie Good Bread, à Vittoria, il a entrepris, en conservant ce qui en fait un point de repère local, de transformer la première église baptiste du Comté Norfolk en lieu de rassemblement communautaire qui, une fois achevé, proposera des petits plats et de la musique, ainsi qu’un choix de pains savoureux.

Investir dans la conservation permet de donner un second souffle à nos quartiers et de mettre en vedette la spécificité et la diversité de l’Ontario. Les lieux patrimoniaux jouent un rôle clé dans la revitalisation et la régénération des villes et des régions rurales. En protégeant l’environnement historique, nous permettons aux citoyens de redécouvrir le passé (ses bons aspects et sa beauté comme ses mauvais côtés et ses complexités), de l’évaluer à l’aune du contexte actuel, d’en tirer des enseignements et de l’utiliser comme tremplin pour stimuler la créativité et l’innovation.

Broadview Hotel (Photo : Marcus Mitanis, avec l’aimable autorisation d’ERA Architects)

Photo: Broadview Hotel (Photo : Marcus Mitanis, avec l’aimable autorisation d’ERA Architects)

Église épiscopale méthodiste africaine d’Oro (Photo : canton d’Oro-Medonte)

Photo: Église épiscopale méthodiste africaine d’Oro (Photo : canton d’Oro-Medonte)

Hawk Cliff Woods (Photo : Thames Talbot Land Trust)

Photo: Hawk Cliff Woods (Photo : Thames Talbot Land Trust)