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Certaines pratiques et attitudes ont la vie dure : dispositions relatives aux agressions sexuelles et activisme au Canada

Marche des femmes à Toronto, en janvier 2018. Photo : Tanja Tiziana.

Par

Allison Ward

Le patrimoine des femmes

Date de publication :20 mars 2018

Photo : Marche des femmes à Toronto, en janvier 2018. Photo : Tanja Tiziana.

Au cours d’une décennie de changement social et de révolution, le gouvernement fédéral a mis sur pied la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada en 1967 afin de répondre à une préoccupation croissante : les progrès en matière d’égalité des sexes étaient au point mort. Le mandat de la Commission? Proposer au gouvernement des solutions pratiques de nature à promouvoir l’égalité des chances pour l’ensemble de la population canadienne. Son rapport de 1970 relevait des domaines cruciaux où des changements s’imposaient – notamment le droit de la famille, l’inégalité des revenus, le manque de représentation politique et la Loi sur les Indiens. On y lit cette réflexion poignante : « La voie est libre [...] pour une nouvelle société, dont les représentants des deux sexes profiteront également. Mais les pratiques et les attitudes ont la vie dure. » Cette observation faite il y a 50 ans continue de résonner aux oreilles des militantes de l’égalité des femmes, en particulier de celles qui luttent contre la violence sexuelle.

Tout au long de l’histoire du Canada, les victimes d’agressions sexuelles ont eu peine à porter des accusations. Elles étaient considérées comme des témoins peu fiables et indignes de foi. La crédibilité de leurs témoignages étant remise en question, la poursuite devait fournir des preuves indépendantes ou convoquer un autre témoin pour prouver qu’un crime avait bel et bien été commis. Autant dire qu’il était presque impossible de juger la plupart des cas d’agression sexuelle. Dans les années 1970, des organisations féministes, des professionnels du droit et des universitaires ont fait pression sur le gouvernement fédéral pour une réforme des lois sur les agressions sexuelles qui reflètent la gravité de tels crimes.

Dès 1983, le système judiciaire canadien a commencé à répondre à ces demandes. Le projet de loi C-127 a modifié substantiellement les règles de fond et de preuve applicables aux infractions sexuelles – entre autres, un homme pouvait dorénavant être accusé d’agression sexuelle à l’endroit de son épouse. Les témoignages des survivantes avaient à présent plus de poids. Avec cette réforme, le gouvernement fédéral espérait que le taux de condamnation augmenterait et que les femmes seraient moins enclines à éprouver de la honte en dénonçant une agression sexuelle. De la dénonciation d’une agression sexuelle à la condamnation de l’agresseur, le chemin s’avère toujours pénible dans le système juridique canadien. De nombreuses victimes d’agressions sexuelles se heurtent encore à des obstacles lorsqu’elles dénoncent des situations aux autorités ou demandent de l’aide.

Malgré les progrès sociaux accomplis par les femmes, le risque de violence à caractère sexuel continue de planer sur leur vie. Ainsi, même si 60 p. 100 des personnes qui y sont inscrites sont de sexe féminin, les établissements d’enseignement postsecondaire ne sont pas forcément des endroits sécuritaires pour les femmes. Près d’une étudiante sur cinq subira une forme quelconque d’agression sexuelle pendant ses études collégiales ou universitaires. Ces établissements peinent toutefois à traiter les plaintes de harcèlement sexuel et de violence qui leur sont adressées. Au cours des cinq dernières années, ces agressions ont amené les étudiantes et les organismes de défense à exprimer leur frustration face à un système stagnant. À cause de ce tollé, des politiques sur les agressions sexuelles ont été mises en place dans tous les établissements d’enseignement postsecondaire de l’Ontario en 2017. En intégrant ces politiques à la culture du campus, il était attendu que les étudiantes se préoccupent moins de leur sécurité personnelle et contribuent à façonner une culture plus constructive à l’égard de la lutte contre la violence à caractère sexuel.

Avec la ratification progressive des modifications législatives, les Ontariennes ont pris conscience de la nécessité d’agir collectivement pour faire entendre leur voix à l’échelle nationale. Malgré certains progrès, les femmes étaient encore sous-représentées dans les assemblées législatives et à la Chambre des communes, leur nombre étant insuffisant pour conscientiser efficacement les gens sur l’agression sexuelle. Les marches « La rue, la nuit, femmes sans peur » sont organisées pour sensibiliser l’opinion publique, chercher le soutien et exprimer la frustration à l’égard de la permanence de la violence à laquelle les femmes se heurtent dans la société. Ces manifestations ont pris naissance en 1975, à Philadelphie (Pennsylvanie), après le meurtre d’une jeune femme qui rentrait seule chez elle la nuit. En 1981, l’Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel a accepté d’organiser des marches en septembre dans l’ensemble du Canada. Elles sont devenues le terrain privilégié de l’entraide féminine et de la mise en éveil de l’opinion sur la persistance des agressions sexuelles et de la violence faite aux femmes. Des marches « La rue, la nuit, femmes sans peur » ont toujours lieu dans les villes de l’Ontario, de Windsor à Thunder Bay.

Les Canadiennes continuent de faire preuve de solidarité internationale et de prendre position pour l’égalité et la défense des droits de la personne. Le 21 janvier 2017, les résidents de nombreuses villes canadiennes ont participé à la Marche des femmes. Plus de 60 000 protestataires ont pris part à celle de Toronto, la plus imposante au pays, se rassemblant devant Queen’s Park et au square Nathan Phillips – le 20 janvier 2018, une Marche des femmes a eu lieu dans 38 collectivités canadiennes, une hausse de 20 p. 100 par rapport à 2017. Cet appui massif pour l’amélioration continue de l’égalité des sexes et pour la lutte contre l’oppression témoigne d’une véritable force mobilisatrice sur laquelle compter en vue de remporter définitivement la bataille. Les jalons sont posés pour l’avènement d’une société dont profiteront également chacun et chacune. Espérons que la mobilisation et la solidarité fassent dépérir d’autres pratiques et attitudes sexistes.