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Les femmes associées aux grandes demeures

Mary Fulford, vêtue pour sa présentation à la cour de la reine Victoria vers 1900

Le patrimoine des femmes

Date de publication : mars 20, 2018

Photo : Mary Fulford, vêtue pour sa présentation à la cour de la reine Victoria vers 1900

Un tournant majeur est franchi entre les XIXe et XXe siècles dans toutes les sphères de la société canadienne : la reconstruction des rôles sociaux selon les genres est en cours, comme en fait foi le mouvement des suffragettes. Les familles ayant occupé deux propriétés de la Fiducie du patrimoine ontarien – la Place Fulford et le domaine Ashbridge – illustrent ces changements. Bien que les récits historiques concernant ces propriétés distillent souvent une touche patriarcale et soient axés sur les affaires et le prestige de domaines acquis grâce aux hommes les ayant construits, les chapitres concernant les femmes dépeignent quant à eux une histoire plus profonde, à l’image des femmes aspirant au changement dans une société nouvelle.

La Place Fulford à Brockville a été construite de 1899 à 1901 par l’homme d’affaires canadien George Taylor Fulford I et sa femme Mary. Joyau témoignant du statut social de la famille, la maison était un lieu de rencontre pour l’élite politique et commerciale. Mary s’en servait d’ailleurs pour exercer une influence sur son milieu, le commerce et la politique dans le contexte de réunions mondaines.

Betty Burton (dernière rangée, en haut à droite) et ses camarades du 5e cours pour magasiniers adjoints de l’ARC à St. Thomas

Betty Burton (dernière rangée, en haut à droite) et ses camarades du 5e cours pour magasiniers adjoints de l’ARC à St. Thomas

La voiture de Dorothy Bullen décorée pour l’exposition de la bibliothèque d’East York, tenue le jour de la parade de la fête du Dominion, le 1er juillet 1960

Mary Fulford (1856-1946) a été élevée selon les valeurs et traditions sociales conservatrices de l’ère victorienne, lesquelles dictaient les règles de bienséance pour les femmes. Malgré cette éducation, elle a été une femme indépendante au caractère marqué. Sa décision de prendre pour époux George, un homme d’affaires issu de la classe ouvrière, était contraire aux attentes et souhaits de sa famille conservatrice. Bien que son éducation se soit reflétée dans son rôle de matriarche d’une éminente famille, ce n’est qu’après le décès de George que son caractère indépendant s’est révélé. Elle a dès lors fait valoir le patrimoine de la Place Fulford et donné un coup de pouce à la carrière de son fils George II.

Emily Moody (dates inconnues) a été la gouvernante générale de la Place Fulford des années 1920 aux années 1950. Son histoire témoigne aussi de la détermination d’une femme qui s’est taillé une carrière. Emily est arrivée d’Irlande alors qu’elle n’était encore qu’une jeune enfant. Après le décès de sa mère et le remariage de son père, elle s’est trouvé un emploi de domestique pour soutenir sa famille. Pour les jeunes femmes immigrantes, les emplois domestiques représentaient souvent une voie d’entrée vers le Canada et son marché du travail. Au XXe siècle, il s’agissait de l’un des rares emplois à prédominance féminine – commençant toutefois à se raréfier dans un contexte où les femmes ne souhaitaient plus travailler de longues heures pour de faibles salaires. La guerre et l’industrialisation ont également eu d’importantes répercussions sur le marché des services domestiques : les femmes ont été amenées à occuper des postes autrefois réservés aux hommes, ce qui les a incitées à envisager d’autres formations et emplois.

L’histoire des Ashbridge – Dorothy Bullen et sa sœur Winifred Elizabeth (Betty) Burton – illustre une autre facette des nouveaux rôles tenus par les femmes en société. Élevées sur le domaine de Toronto (vers 1854) et issues de l’une des familles fondatrices de la ville, Dorothy et Betty ont vécu la transition des rôles dévolus à chaque sexe sous l’effet de l’émancipation et de l’éducation des femmes, dans la foulée des transformations du marché du travail.

Betty Burton (1907-2002), la plus jeune des deux sœurs, a étudié la musique à l’Université de Toronto. En 1941, elle était âgée de 34 ans lorsque le gouvernement canadien a créé la première division féminine de l’Aviation royale canadienne (ARC) et des Forces armées canadiennes en raison de la pénurie d’hommes enrôlés. Betty a servi dans la division féminine de l’ARC, aux côtés de plus de 17 000 femmes. Au début, les emplois essentiellement féminins correspondaient aux métiers généralement reconnus comme étant socialement acceptables pour des femmes, tels ceux de secrétaires, couturières et cuisinières. Au fil du temps, les femmes se sont faites de plus en plus présentes dans les professions traditionnellement masculines. À la fin de sa formation, Betty est restée en Ontario, postée au camp Borden. Les journaux qu’elle a rédigés au cours de cette période offrent un aperçu fascinant de l’approche prônant l’égalité des lois, de la discipline et des responsabilités entre les divisions féminine et masculine.

Dorothy Bullen (1905-1997), également diplômée de l’Université de Toronto, est entrée sur le marché du travail en tant que libraire. Elle a poursuivi ses études et a obtenu un baccalauréat en bibliothéconomie. Cette profession attirait alors de plus en plus de jeunes femmes célibataires et diplômées universitaires. Au début du XXe siècle, les femmes quittaient habituellement leur emploi après s’être mariées. Cette situation s’expliquait par la forte pression sociale exercée sur les femmes mariées qui travaillaient en dehors du foyer. Contrairement à ses pairs, Dorothy s’est mariée après avoir pris sa retraite, au terme de plus de 40 ans de loyaux services à la Bibliothèque publique de Toronto dans diverses sections et en tant que membre du conseil d’administration.

Les histoires de ces femmes offrent une perspective plus complète des rôles en évolution des femmes dans la société canadienne. La décision de participer au marché du travail s’inscrivait dans le nouveau contexte découlant des avantages obtenus par le mouvement de défense des droits des femmes et de l’égalité.