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L’archéologie sous tous les angles
Chaque objet archéologique a sa propre histoire, ce qui le rend unique. Toutefois, cette histoire peut être (et est) interprétée différemment, selon la personne qui l’examine. À partir d’un même objet issu des collections de la Fiducie, nous suivons ici les différentes pistes d’analyse qui nous en disent plus sur son histoire, ses origines, ses créateurs et ses utilisateurs d’antan.
Découverte en juillet 1995 lors d’un stage pratique sur le terrain organisé par l’Université de Toronto Scarborough, sous la houlette de la professeure Martha Latta, cette pipe en argile provient du site archéologique Thomson-Walker. Elle a été retrouvée près de Moonstone, en Ontario, sur une propriété appartenant à la Fiducie.
Ensemble, les points de vue suivants offrent une vision holistique complexe de cet objet. Ils permettent de réunir les éléments uniques et pertinents nécessaires pour appréhender l’importance que revêt cet objet encore aujourd’hui.
Point de vue archéologique par la professeure Martha A. Latta
Nous avons découvert cette pipe aux abords de la palissade du site Thomson-Walker. Cet élément défensif, formé d’une solide rangée de troncs d’arbre, entourait la plupart des grands villages hurons dans les années 1640. Les palissades empêchaient évidemment les ennemis d’entrer, mais aussi les ours, les loups et d’autres gros animaux sauvages. Elles évitaient également que les jeunes enfants s’aventurent trop loin de leur maison. La palissade servait enfin à délimiter la zone du site où les déchets et les restes de nourriture pouvaient être jetés, car les villages hurons étaient généralement très bien tenus.
La pipe que nous avons découverte est en argile de la région. Elle a été façonnée à la main et cuite jusqu’à obtention de la dureté d’une brique. Objet typique des villages hurons du XVIIe siècle, elle se compose d’une tête ronde ornée d’anneaux tracés dans l’argile. Comme toutes les pipes et tous les pots en argile du peuple huron, elle n’est pas peinte. Le tuyau de la pipe a été formé en appliquant de l’argile humide autour d’un roseau ou d’un rameau, qui s’est consumé pendant la cuisson pour laisser place à un conduit uniforme. Son propriétaire aurait pu fabriquer un tuyau de remplacement en un ou deux jours.
Contrairement à la plupart des pipes provenant de sites archéologiques, celle-ci est pratiquement intacte. L’embout est ébréché, mais cela n’aurait pas rendu la pipe inutilisable pour autant. Pour des raisons qui lui sont propres, le propriétaire a choisi de jeter cette pipe au lieu d’en réparer le tuyau. Les matières végétales carbonisées ayant servi à bourrer la pipe s’y trouvent encore. Nous savons que les Hurons faisaient pousser et consommaient du tabac, dans une variété plus corsée que le tabac de Virginie préféré par les fumeurs d’aujourd’hui, mais dont la culture convenait aux conditions ontariennes, avec une saison de croissance relativement plus courte. Ils fumaient probablement d’autres végétaux, pour leurs vertus médicinales ou à des fins religieuses. Malheureusement, il est difficile d’identifier des plantes à partir de leurs feuilles. L’idéal est de disposer des graines et du pollen, mais le tabac à fumer est uniquement constitué de feuilles.
Les auteurs français ont rapporté que les Hurons fumaient pendant les débats du conseil sur les questions politiques. Ils fumaient également pendant les longs périples, afin de rester alertes et de tromper la faim. L’hypothèse générale veut que seuls les hommes fumaient la pipe, mais cela témoigne surtout du fait que les auteurs français du XVIIe siècle avaient peu de choses à dire sur les activités de la gent féminine huronne. À mon avis, les anciennes devaient également prendre plaisir à fumer la pipe, tout en résolvant les difficultés sociales du village. Dans ce cas, nous pouvons imaginer que le propriétaire a jeté sa pipe encore fumante, en signe de frustration ou de satisfaction au regard des accomplissements de sa journée.
Point de vue artistique Par Richard Zane Smith
Pipe en argile
yanǫⁿdamęʔ ⁿduʔtáraʔ
Cette pipe a probablement été fabriquée à la main, avec la plus grande précaution, en roulant un boudin d’argile molle sur la partie lisse d’une planche en bois d’orme, de façon à obtenir une masse épaisse pour la tête, puis effilée pour le tuyau. La tête a été évidée et façonnée avec soin. Avant de donner sa forme coudée à la pipe, le tuyau et la tête ont été percés à l’aide d’un crochet lisse. Parfois, l’argile était plutôt roulée autour d’un bâtonnet fin et lisse que l’on retirait délicatement après le façonnage. La pipe était ensuite réservée le temps qu’elle durcisse légèrement. Dans certaines des pipes retrouvées, une cordelette avait été roulée dans le boudin d’argile. Elle brûlait alors pendant la cuisson.
Les six lignes ont probablement été marquées à l’aide d’un foret en os, par exemple, juste avant que l’argile devienne trop dure. La pipe ne semble pas polie à la pierre, mais simplement lissée avec les doigts. L’ébréchure au niveau du conduit a pu se produire lors de l’insertion d’une tige de roseau dans la pipe allumée. J’ai vécu la même mésaventure par le passé avec une pipe en argile et j’ai pu observer des dommages similaires.
Les pipes comme celles-ci sont très simples à cuire. Une fois l’argile sèche, il suffit de placer la pipe près d’un feu de camp pendant une heure environ. On la pousse ensuite sur les braises et on ajoute du bois pour créer un bon brasier. Après polissage à l’aide d’une pierre lisse ou d’un os, on peut la noircir à la cuisson en la plaçant sous un tesson concave avec des matières organiques, comme une poignée d’aiguilles de pin séchées. Ces pipes étaient courantes dans nos villages wendats; nos ancêtres les fumaient souvent pendant les conseils pour s’éclaircir les idées. Aujourd’hui, nous continuons d’utiliser une petite pipe en argile dotée d’un tuyau en roseau ou en sumac lors de nos cérémonies. La pipe passe entre les mains des Gardiens de la foi, des aides et de toutes les personnes à qui l’on a demandé de chanter ou de prendre la parole.
Nous faisons toujours pousser le même tabac : naⁿdakęhaǫʔ (nicotiana-rustica).
Point de vue curatorial par Michel Savard
La vue de cette pipe suscite immédiatement une question simple. Dans quel état d’esprit se trouvait son propriétaire wendat au moment de tirer sa dernière bouffée? Vivait-il un moment de communion avec ses ancêtres, un moment de communion avec un guide spirituel ou simplement un moment de détente bien mérité après une journée longue et harassante passée à porter son canot en écorce de bouleau?
On obtient déjà la réponse rien qu’en posant cette question.
Trop souvent, les archéologues et les anthropologues (comme n’importe quel quidam) estiment que nos ancêtres 7 réalisaient un acte spirituel lorsqu’ils fumaient du tabac. J’opterais plutôt pour le sentiment de sérénité que cela leur procurait. Le portage d’un canot à travers les bois nécessite de fusionner avec la nature et d’être à son écoute. Fumer du tabac, au même titre que plonger une pagaie dans la rivière, peut déclencher cet éveil des sens que nous recherchons tous.
Pour un Wendat, il aurait été extrêmement tentant de déposer une braise dans la tête de cette pipe. Je l’avoue, si je l’avais eue entre les mains, quel que soit le contexte, je n’aurais certainement pas pu résister. Heureusement pour les archéologues, cela n’arrive jamais ... sinon trop de données seraient parties en fumée.
Ce serait extraordinaire de découvrir une pipe contenant encore le tabac qu’un de mes ancêtres y avait placé il y a plus de 400 ans! Une chose est certaine : cela m’aurait offert, en tant que Wendat, un formidable moment de spiritualité, au-delà de tout ce que j’ai pu imaginer. Une connexion directe avec mes racines, mon esprit et peut-être, qui sait, avec l’esprit de cet ancêtre wendat qui aurait pu m’apprendre à apprécier pleinement les choses simples de la vie, comme le portage de mon canot!
Revenons toutefois à l’objet de ce fantasme. D’un point de vue archéologique, cette découverte pourrait apporter des éléments de réponse à nos questions sur le mode de vie de nos ancêtres wendats. Sans cela, quel serait l’intérêt de déterrer ou plutôt d’extraire ces objets du ventre de notre Terre mère? Parfois, l’acte délibéré d’enfouir un objet est en soi une réflexion spirituelle dont il faut respecter le caractère sacré, même s’il en résulte une perte de connaissances scientifiques pour quelque discipline que ce soit. Nous reconnaissons tous les raisons d’être de l’archéologie, mais nous devons veiller aux pratiques mises en œuvre. Rassurez-vous toutefois : je suis convaincu qu’aujourd’hui, l’archéologie fait montre d’un plus grand respect envers mes ancêtres que par le passé.
Cette pipe, fruit du savoir-faire de mes ancêtres, a certainement contribué à l’un des plus beaux moments de la vie de ces hommes bien réels.