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« Chinese Immigration 9 » : les certificats qui produisaient des non-citoyens

Certificat C.I. 9 No 23152 © Gouvernement du Canada. Reproduit avec l’autorisation du ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (2018). Source : Bibliothèque et Archives Canada / Fonds du ministère de l’Emploi et de l’Immigration / Bobine no T-6049.

Photo : Certificat C.I. 9 No 23152 © Gouvernement du Canada. Reproduit avec l’autorisation du ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (2018). Source : Bibliothèque et Archives Canada / Fonds du ministère de l’Emploi et de l’Immigration / Bobine no T-6049.

Par

Lily Cho

Revoir le point de vue historique

Published Date: sept. 07, 2018

Entre 1885 et 1923, les immigrants chinois au Canada sont assujettis à une taxe d’entrée, selon les termes de la Loi de l’immigration chinoise. Cette législation a donné lieu à la production de nombreux documents qui sont, à présent, à la disposition des chercheurs par le biais de Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Les certificats « Chinese Immigration 9 » (C.I. 9) ne sont pas très connus, mais ils devraient l’être. Ils constituent une ressource d’une incroyable richesse pour les personnes s’intéressant à l’histoire de l’immigration, à la généalogie et à la communauté sino-canadienne.

Les certificats C.I. 9 étaient utilisés pour identifier les immigrants chinois souhaitant quitter le Canada temporairement. Ces certificats étaient émis dans les ports de départ et le gouvernement fédéral en conservait systématiquement une copie. Du fait de ce système, nous disposons d’une impressionnante collection de documents correspondant à presque tous les hommes, femmes et enfants chinois vivant au Canada et ayant demandé l’autorisation de voyager au cours de cette période. BAC détient plus de 40 000 certificats.

À partir de 1910, les migrants chinois doivent apposer une photographie d’identité sur chaque certificat. Cela correspond à la première utilisation à grande échelle de photographies d’identité au Canada. Mes recherches sont consacrées à l’examen de ces photographies et à une réflexion sur ces certificats dans leur ensemble en tant que documents définissant délibérément les migrants chinois comme des non-citoyens. L’un des postulats de mes recherches est que les non-citoyens ne sont pas seulement des réfugiés ou des migrants de passage. En réalité, l’État doit produire des non-citoyens à l’aide de documents attestant activement de leur exclusion, précisément par le biais de systèmes de surveillance élaborés tels que le système C.I. 9.

Outre la photographie d’identité, ces certificats comportent de nombreux renseignements concernant chaque migrant ou migrante, notamment : nom et âge, année d’arrivée au Canada, nom du navire sur lequel il est arrivé ou elle est arrivée, profession au Canada, signes particuliers, une signature en chinois, en anglais ou, dans certains cas, une empreinte de pouce, et le lieu de résidence. Les certificats C.I. 9 constituent ainsi une sorte de passeport pour les noncitoyens. Ces immigrants ne sont pas considérés comme des citoyens, mais on leur accorde le droit de revenir au Canada en présentant ce document. Les certificats C.I. 9 sont ainsi des documents de voyage singuliers et d’une ambigüité intéressante, qui offrent l’un des droits liés à la citoyenneté (droit au retour) à des non-citoyens.

Il convient de souligner que les immigrants chinois ne sont pas le seul groupe dont la mobilité est surveillée à cette époque. Par exemple, entre 1885 et le milieu des années 1930, les populations autochtones au Canada sont soumises à un système de laissez-passer ayant pour objectif de surveiller et de limiter leurs déplacements. Néanmoins, ce système de laissez-passer est loin d’être aussi efficace et rigoureux que les certificats de paiement de la taxe d’entrée pour surveiller et limiter la mobilité. Il n’est pas inscrit dans la législation et la GRC ne peut donc pas le faire appliquer. Il est tout de même utilisé comme moyen d’intimidation et de discrimination envers les populations autochtones, mais ne correspond pas explicitement à une loi.

À la différence de celui-ci, le système de certificat de paiement de la taxe d’entrée pour les immigrants chinois est bel et bien inscrit dans la législation canadienne par le biais de la Loi de l’immigration chinoise (1885-1947). Ce texte de loi est modifié en 1923 pour proscrire toute immigration chinoise, mais les certificats C.I. 9 sont encore en vigueur pour les immigrants restants. Jusqu’à l’abrogation de la Loi de l’immigration chinoise en 1947, l’accès à la citoyenneté est explicitement refusé aux migrants chinois. La maind’œuvre chinoise est primordiale pour les industries nationales, comme dans le cas de la construction du Chemin de fer Canadien Pacifique, mais les immigrants chinois sont considérés explicitement comme des non-citoyens.

Bien qu’il s’agisse d’une histoire douloureuse, elle nous a laissé une somme de documents et d’images sans précédent. Au début du XXe siècle, rares étaient les personnes ayant les moyens de faire réaliser des portraits photographiques. Cependant, comme les autorités canadiennes exigeaient ces portraits des migrants chinois et les conservaient, nous disposons à présent d’une considérable collection comprenant des dizaines de milliers de portraits de personnes qui n’auraient peut-être sans cela jamais été photographiées. La grande majorité de ces certificats ont été délivrés à des hommes. Seules quelques centaines correspondent à des femmes et à des enfants. Cette disparité nous permet de constater les effets de la Loi de l’immigration chinoise qui séparait les familles et contraignait la plupart des migrants chinois à vivre seuls sans leurs proches.

Chaque certificat raconte l’histoire d’une vie. Prenons par exemple le certificat numéro 23152, au nom de Wong Yew. Ici, en 1913, il a 27 ans. Il vit à Guelph depuis trois ans, mais a déjà passé deux ans au Canada avant d’arriver à Guelph. Il est blanchisseur. Il a une petite cicatrice au centre du front, un grain de beauté au bas de l’oreille droite et un petit grain de beauté au coin de la bouche. Il a un ami qui peut attester de son identité, qui se nomme Sam Yick et vit à Vancouver. Sur ce portrait, Wong Yew porte un col blanc impeccable et regarde directement l’objectif avec une expression de dignité sereine.

Il ne s’agit que d’une vie parmi les milliers d’autres qui ont été surveillées, saisies et documentées par le système des certificats C.I. 9. J’espère qu’en examinant plus attentivement ces documents, nous pourrons prendre conscience des histoires de toutes ces vies et creuser pour découvrir les histoires qui nous sont ainsi racontées.