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L’art de conter

Image prise lors du festival du conte de Toronto de 2017 (Photo : Soozi Schlanger)

Par

Dan Yashinsky

Le patrimoine immatériel

Date de publication :08 juill. 2017

Photo : Image prise lors du festival du conte de Toronto de 2017 (Photo : Soozi Schlanger)

L’art de raconter se tisse au fil des jours sur la trame du quotidien. Des histoires fascinantes, inoubliables, touchantes au point de bouleverser une vie, peuvent être racontées à table, lors d’un long trajet en voiture ou autour d’un feu de camp, un soir d’été. Les aînés des Premières Nations, les griots d’Afrique, les bardes traditionnels et les conteurs des villages puisent dans un répertoire de contes pour instruire, divertir et inspirer toute une communauté.

Comment conter? Rien de plus simple : invitez vos éventuels auditeurs à s’approcher, prenez la parole et parlez clairement. Le « pourquoi » de l’histoire... voilà cependant qui n’est pas chose simple. Les histoires sont des créations éphémères faites de paroles exprimées de vive voix par le conteur avant d’être réinventées par l’auditeur. À l’image des graines, les paroles s’envolent et voyagent jusqu’à trouver un terreau fertile pour prendre racine. Tout conteur qui utilise les histoires pour instruire, divertir et inspirer a habituellement une idée de leur portée. Pourquoi un auditeur – ou des milliers – voudrait-il entendre un récit en particulier, s’y accrocher ou en tirer une leçon? Aussi, pour saisir intuitivement le « pourquoi », tout conteur doit avoir été transporté par l’histoire s’il veut la transmettre.

J’ai commencé à conter autour d’un feu au camp Bolton. Les campeurs ne souhaitaient entendre que des histoires. Le plus merveilleux pour moi, c’était de les voir devenir les auditeurs les plus attentifs du monde.

Chaque lieu est différent, mais l’essence même de la narration ne change pas. Avec le soutien de Storytelling Toronto, Dinny Biggs et moi avons mené un projet intitulé Village of Storytellers (le « village des conteurs ») à Regent Park pendant quelques années. Des conteurs, issus de différents horizons culturels, ont mis en commun leurs récits personnels et traditionnels, créant ainsi un merveilleux maillage intergénérationnel. Pour les auditeurs, une telle mise en commun créait une solidarité au sein de la communauté. Je travaille actuellement au centre des sciences de la santé Baycrest en qualité de conteur en résidence. J’interviens auprès de patients dans différents départements, notamment en psychiatrie, en soins palliatifs et en réadaptation. Faire connaître au monde de la santé la magie du langage imagé a été, pour les participants et pour moi-même, une révélation intérieure transformatrice. J’appelle cette approche « Storycare » – la « récithérapie » ou la « thérapie par le conte ». Les gens au centre Baycrest ont accueilli l’art de conter comme une nouvelle façon, bien qu’ancrée dans une tradition très ancienne, d’exprimer des idées, souvenirs, rêves, influences culturelles et espoirs pour l’avenir.

La nature de mon travail m’amène à réfléchir à la façon dont la narration change le cours des choses pour les patients, leurs familles et le personnel. Loin des scènes de spectacle, ce genre de transmission orale est essentiellement une forme d’intervention artistique. J’espère comprendre la portée et les bienfaits de l’approche « storycare », et d’en diffuser le concept et les pratiques auprès d’autres artistes intervenant dans les milieux de soins de santé. De manière générale, l’art de conter connaît un début de renouveau à l’échelle internationale. Il est exaltant de voir les gens partout dans le monde redécouvrir un art ancien qui recourt aux éléments les plus simples – la voix, l’écoute, la mémoire et l’imagination – pour donner un sens et susciter l’émerveillement au sein de la communauté.