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Sur les traces des premières brasseries torontoises

Tirer une pinte de bière (Photo : Société du Partenariat ontarien de marketing touristique)

Par

Jordan St. John

Le patrimoine immatériel, L'alimentation

Date de publication :08 sept. 2017

Photo : Tirer une pinte de bière (Photo : Société du Partenariat ontarien de marketing touristique)

La bière, vue comme un artefact, peut en dire long sur la culture qui l’a produite. Songez à Molson Canadian par exemple. Cette marque résume une époque et reflète un ensemble d’attitudes associées à l’identité canadienne. Si j’en juge par les annonces publicitaires de mon enfance, il était question de rejeter de façon véhémente les stéréotypes convenus et d’être apte à en boucher un coin à un collègue de bureau.

Il est difficile de penser à la bière sans faire référence à quoi que ce soit. Nécessité est mère d’invention, dit l’adage. Ainsi serait née la première bière à Toronto (brassée à Fort Rouillé par des commerçants français) : parfumée avec des pointes d’épinette, sucrée à la mélasse et fermentée avec du levain. Une mixture certes peu alléchante, mais dont la consommation, comparativement à l’eau, est plus tentante!

Au moment où les brasseries artisanales ont fait leur apparition dans le Haut-Canada dans les années 1790, on y produisait principalement du vin de blé – une boisson importée en Ontario par les loyalistes dits de l’Empire-Uni, eux-mêmes inspirés par les brasseurs hollandais de l’État de New York. Chaque vague de brasseurs anglais a apporté un nouveau savoir-faire et un bagage de connaissances. Prenez les frères Farr du village de Weston, dans le comté du Hertfordshire (Angleterre), qui ont appris à cultiver l’orge de brasserie. Au Canada, ils ont su tirer parti de ce savoir en ravitaillant le Fort York en bière. La brasserie Helliwell, établie sur un terrain nommé Todmorden Mill, à Toronto, tire ses racines dans le Yorkshire. On y fabriquait, durant les années 1830, un vin d’orge titré à 9,5 % d’alcool, dont j’ai pu reconstituer une version. Enoch Turner a été le tenancier d’un pub près de Burton-on-Trent. Je parie que le goût de la bière fabriquée dans les années 1840 par ce brasseur émigré à Toronto devait ressembler beaucoup à celui de la bière blonde brassée par Bass Brewers en Angleterre.

On peut en dire autant des brasseurs allemands. L’Ontario, notamment Waterloo, a été l’un des premiers endroits en Amérique du Nord à produire, dès 1830, de la lager selon des techniques de maturation à froid. La brasserie de Lothar Reinhardt, à Toronto, constitue fort probablement un parfait exemple d’importation d’une culture. Reinhardt aurait porté volontiers un toast à la « patrie de la lager » sans se douter qu’un jour éclaterait la Première Guerre mondiale. Ayant été apprenti chez Paulaner, il s’est approprié leur bière-bock, la rebaptisant « Salvador ».

Notre culture s’enrichit des traditions que les gens apportent en venant s’établir ici : un fait indéniable aujourd’hui comme hier