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Chloe Cooley et la limitation de l’esclavage en Ontario

John Graves Simcoe. Photo : Bibliothèque publique de Toronto (TRL 1516)

Photo : John Graves Simcoe. Photo : Bibliothèque publique de Toronto (TRL 1516)

Par

Colin McCullogh

Le patrimoine Noir

Published Date: juill. 27, 2007

Le 14 mars 1793, Chloe Cooley, une esclave noire de Queenston, fut ligotée, jetée dans un bateau et vendue de l’autre côté de la rivière à un nouveau propriétaire américain. Ses cris et le fait qu’elle ait résisté violemment furent portés à l’attention du lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe par Peter Martin, un Noir libre et ancien soldat des Butler’s Rangers, et par William Grisley, un voisin et témoin de la scène. Simcoe entreprit alors immédiatement d’abolir l’esclavage dans la nouvelle province.

Trois ans plus tôt, l’Assemblée législative du Haut-Canada avait adopté une loi qui permettait aux Loyalistes américains d’entrer au Canada avec leurs esclaves sans payer de taxes sur ces derniers s’ils obtenaient un permis du lieutenant-gouverneur. Le but de cette loi était principalement d’encourager les Loyalistes à venir s’installer dans le Nord. Elle permettait cependant également d’amener un grand nombre d’esclaves dans le Haut-Canada.

Simcoe défendit une loi visant à révoquer cette prime après avoir pris connaissance de l’incident ayant impliqué Chloe Cooley. Cooley refusa de se laisser vendre à un autre propriétaire américain et il fallut plus d’un homme pour la maîtriser. Simcoe se servit de cet incident comme d’un catalyseur pour bannir l’importation d’autres esclaves dans le Haut-Canada.

On réclama d’abord l’arrestation de l’homme qui avait vendu Cooley, mais les accusations furent vite levées, car il était impossible de saisir le tribunal contre le propriétaire, William Vrooman (l’esclavage n’était pas reconnu dans le droit civil anglais). Cela signifiait que Cooley n’avait aucun droit que Vrooman était obligé de respecter et qu’elle pouvait être vendue et traitée comme n’importe quel autre bien. La loi de Simcoe intitulée « An Act to prevent the further introduction of Slaves, and to limit the Term of Contracts for Servitude with this Province » (Une loi visant à empêcher l’arrivée d’autres esclaves et à limiter les termes des contrats de servitude au sein de cette province) confirmerait le fait que l’esclavage existait dans le Haut-Canada et que les esclaves avaient un statut juridique distinct des autres biens.

Simcoe avait une réputation d’abolitionniste avant même son arrivée dans le Haut-Canada. En 1790, il avait prononcé plusieurs discours au Parlement britannique en tant que député de St. Mawe, Cornwall, dans lesquels il réclamait que soit mis fin à l’esclavage. Ses attaques mettaient l’accent sur le fait que l’esclavage allait à l’encontre des enseignements du christianisme et de l’esprit de la Constitution britannique. Il souhaitait également que soit adoptée une loi révolutionnaire et absolue qui mette fin à l’esclavage dans la colonie. La loi de 1793 est un compromis qu’il dût négocier avec les propriétaires d’esclaves influents de la province. En réalité, au moins six des 16 membres de l’Assemblée du Haut-Canada possédaient des esclaves. L’autorité personnelle de Simcoe et le fait qu’un très grand nombre de personnes au Haut-Canada soient farouchement opposées à l’esclavage permirent à la loi de triompher de cette opposition.

Loi contre l’esclavage, détail (Photo : Archives publiques de l’Ontario)

Même si elle appelait à mettre fin à l’importation d’esclaves, la loi n’abolit pas complètement l’esclavage dans le Haut-Canada. Au contraire, les esclaves qui étaient dans la province au moment de l’entrée en vigueur de la loi pouvaient continuer d’appartenir à leurs propriétaires. De plus, les enfants nés d’une mère esclave devaient continuer d’appartenir à leurs propriétaires jusqu’à l’âge de 25 ans.

La loi de Simcoe ne fut par ailleurs pas soutenue unanimement dans le Haut-Canada. Après le retour de Simcoe en Angleterre en 1798, l’Assemblée législative tenta de renverser la loi de 1793 afin de permettre à toute personne pénétrant dans la colonie d’amener ses esclaves avec elle. Un projet de loi fut présenté sous le prétexte d’une pénurie de main-d’œuvre dans la colonie. Le projet de loi ne fut pas été adopté, bien qu’il reflète le fait que de nombreux citoyens riches et influents de la colonie possédaient toujours des esclaves.

Le public dans son ensemble joua également un rôle important en influençant l’opinion et en empêchant que l’importation d’esclaves ne soit de nouveau autorisée. Les mouvements abolitionnistes, souvent organisés par le biais de groupes religieux, comme l’église méthodiste, firent activement campagne pour mettre fin à l’esclavage, pour des raisons d’ordre moral. Ils défendirent l’idée selon laquelle le fait de traiter les Noirs comme de simples biens n’était pas chrétien. Leurs voix influentes contribuèrent à faire en sorte que les législateurs agissent contre l’esclavage.

La loi de Simcoe fut la première loi de l’Empire britannique à limiter l’esclavage. Elle prépara le terrain pour le grand mouvement de libération des esclaves afro-américains connu sous le nom de chemin de fer clandestin. Au fil du temps, des milliers d’esclaves utilisèrent le chemin de fer clandestin pour rejoindre le Canada et gagner leur liberté. La bravoure du petit acte de résistance à l’esclavage de Chloe Cooley contribua à la libération d’un grand nombre de ses semblables.