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La dynamique de la pensée dans la terre promise

La famille Henson pose pied sur la rive canadienne le matin du 28 octobre 1830. Source : Uncle Tom’s Story of His Life: An Autobiography of the Rev. Josiah Henson.

Photo : La famille Henson pose pied sur la rive canadienne le matin du 28 octobre 1830. Source : Uncle Tom’s Story of His Life: An Autobiography of the Rev. Josiah Henson.

Par

Nina Reid-Maroney

Le patrimoine Noir

Published Date: nov. 10, 2011

Au printemps 1861, un jeune Noir de Philadelphie appelé Parker Theophilus Smith vend ses biens – notamment une vaste bibliothèque d’ouvrages d’ethnographie, d’histoire, de mathématiques, de sciences naturelles, de métaphysique, de philosophie morale, d’éthique et de logique – et déménage avec sa famille à Dresden, dans le Canada-Ouest d’alors. L’une des premières lettres écrites de son nouveau foyer comprend le récit d’une célébration publique pendant laquelle le surintendant des écoles local aborde le thème de l’esclavage.

Quand Parker Smith entend l’orateur conseiller à un auditoire majoritairement constitué d’abolitionnistes noirs d’attendre un « libérateur blanc » pour affranchir les esclaves, il répond par une leçon d’histoire : « Je me demande quels Blancs ont attendu que Dieu leur envoie un libérateur pour les sauver de l’esclavage. Que firent les Angles, les Saxons, les Danes, les Francs et les Normands quand l’empire romain empiéta sur leurs territoires? » La réponse de Smith aux préjugés raciaux avait été forgée au sein de la communauté intellectuelle noire de Philadelphie, mais s’avéra vite utile dans le terrain idéologique complexe de la terre promise.

Ces quelques lignes tirées de la correspondance de Smith rappellent avec éloquence que les mouvements migratoires dans le Canada du XXe siècle impliquaient certes le déplacement des personnes, mais aussi des idées. Les lettres de Smith nous laissent voir des lignes singulières et nettes dans un vaste réseau de connexions qui franchissait les frontières du pays et irriguait toutes les structures conceptuelles de l’« Atlantique noir ».

Je me représente la traversée de Smith sur ces territoires comme une migration intellectuelle, un terme qui doit insister sur l’action déterminée d’individus ordinaires convaincus que, face à l’oppression et à d’écrasantes forces historiques qu’ils ne pouvaient pas maîtriser, les idées étaient importantes. Cent cinquante ans plus tard, l’exemple de ce modeste commerçant de Philadelphie est une raison impérieuse poussant les historiens de l’expérience des Afro-Canadiens à se pencher avec une attention renouvelée sur la dynamique de la pensée.