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De Stratford à Shaw : la transformation des petites villes de l’Ontario

Le Festival Theatre de Stratford (Photo : Erin Samuell)

"Stratford s’est développée autour du festival, préservant son charme historique et naturel tout en encourageant les petits commerces qui pourvoient aux besoins de la population locale et des touristes. Les boutiques, restaurants, petites auberges et chambres d’hôtes abondent. Grâce au festival, Stratford peut désormais se targuer d’abriter une école formant des chefs de cuisine de renommée internationale, une galerie d’art publique, un festival de musique et nombre d’autres activités culturelles qui coexistent dans une remarquable symbiose."

Anita Gaffney, directrice générale du Festival de Stratford

Par

Ellen Flowers et Gordon Pim

Les arts et la créativité

Date de publication :06 sept. 2013

Photo : Le Festival Theatre de Stratford (Photo : Erin Samuell)

Difficile d’imaginer Stratford ou Niagara-on-the-Lake aujourd’hui sans leurs festivals de théâtre mondialement connus. Pourtant, avant que ces derniers ne voient le jour, ces deux petites villes avaient une tout autre identité. En s’adaptant au changement, ces collectivités ont su éviter de tomber en désuétude ou d’être marginalisées. Certaines des caractéristiques historiques, géographiques et architecturales uniques de chaque ville ont contribué à faire d’elles des emplacements idéals pour leurs festivals respectifs.

Stratford, cité constituée en 1885, a déjà connu une période d’expansion. Forte d’une industrie manufacturière florissante appuyée par le Chemin de fer Canadien Pacifique qui traverse et domine la ville, Stratford devient rapidement un centre commercial prospère situé le long de la rivière Avon. L’essor du chemin de fer est tel qu’au début du XXe siècle, une poignée de défenseurs des intérêts régionaux, notamment l’entrepreneur local R. Thomas Orr, est obligée de lutter pour empêcher le pittoresque front d’eau de l’Avon d’être urbanisé par le chemin de fer. Mais la Crise de 1929 ravage l’économie de la collectivité et la base industrielle de la ville décline petit à petit.

Toutefois, les gens n’abandonnent pas Stratford. Thomas Orr est pour beaucoup dans l’aménagement du vaste système de parcs qui borde toujours la rivière. Il tisse également des liens entre sa cité et le lieu de naissance de William Shakespeare.

Inspiré par la splendeur de sa ville natale, Tom Patterson est obnubilé par le projet d’y établir un festival de théâtre qui ferait connaître Stratford. En 1952, il crée le comité qui deviendra le conseil d’administration du festival. Plus tard, la même année, ont lieu les présentations entre Tom Patterson et le metteur en scène britannique Tyrone Guthrie (qui devient le premier directeur artistique du festival), par l’intermédiaire de la metteuse en scène canadienne Dora Mavor Moore. Guthrie est intrigué par la possibilité de lancer un festival shakespearien.

La collectivité de Stratford apporte son soutien à Patterson et au festival. Les citoyens de la ville tiennent bénévolement l’entrée et le guichet, et ouvrent même les portes de leurs domiciles pour héberger les acteurs et les passionnés de théâtre. Le Festival de Stratford débute le 13 juillet 1953 par une mise en scène de Richard III qui reçoit des critiques élogieuses.

Aujourd’hui, le Festival de Stratford reste le plus grand employeur de la ville, générant approximativement 140 millions de dollars d’activité économique annuelle. La collectivité soutient toujours le festival de réputation mondiale et bénéficie d’importantes retombées économiques; les restaurants, chambres d’hôtes et boutiques locales profitant tous de la manne que représentent les centaines de milliers de touristes qui affluent chaque année à Stratford.

Le Festival de Stratford est devenu synonyme d’arts au Canada, et l’événement joue un rôle majeur dans la croissance de l’économie de la création de la ville. Ce dynamisme a également favorisé l’aménagement d’un parc commercial évolutif et poussé l’Université de Waterloo à ouvrir à Stratford un campus spécialisé dans les médias numériques et la technologie.

En outre, la renaissance de la conservation du patrimoine de Stratford, ces 25 dernières années, est alimentée par le succès du festival. Depuis quelques années, un grand nombre de bâtiments historiques de Stratford sont convertis pour héberger des services et des commerces qui appuient directement et indirectement le festival. De plus, un district de conservation du patrimoine protège le centre-ville.

Le Royal George, théâtre édouardien du Festival Shaw, se trouve dans la rue Queen à Niagara-on-the-Lake. (Photo : Andrée Lanthier)

Niagara-on-the-Lake possède une histoire similaire, qui lui confère une position bien établie dès l’arrivée de John Graves Simcoe et la Révolution américaine. Après la guerre de 1812, durant laquelle une grande partie de la ville a été détruite, Niagara-on-the-Lake retrouve peu à peu sa santé économique. Mais la construction du canal Welland dans les années 1830, venant éclipser sa situation géographique privilégiée, constitue un nouveau coup dur.

Malgré ces revers, la ville poursuit son expansion au cours des XIXe et XXe siècles. Le tourisme prospère durant les années 1870, lorsque les hôtels commencent à faire leur apparition. Les activités de loisir fleurissent et certains touristes estivaux finissent par devenir des résidents permanents.

Dès le milieu du XXe siècle, cependant, Niagara-on-the-Lake est perçue comme quelque peu à la dérive. Visiteurs et résidents confondus la qualifient de calme et tranquille, voire de franchement ennuyeuse. Bien qu’elle puisse toujours tirer orgueil de ses magnifiques bâtiments historiques, certains d’entre eux se trouvent dans un état de délabrement avancé. Les bateaux à vapeur et les trains contournant à présent la ville, Niagara-on-the-Lake, la petite endormie, disparaît peu à peu.

Puis, en 1962, les perspectives de la ville changent. Brian Doherty, avocat torontois ayant déménagé son cabinet à Niagara-on-the-Lake, réunit un petit groupe de personnes en vue de trouver des idées pour redynamiser la ville. La conversation s’oriente presque aussitôt vers le théâtre, qui est la passion de Brian Doherty. Non content d’avoir écrit pour le théâtre (et remporté un succès modeste sur Broadway), il a produit des pièces de théâtre et tutoie plusieurs grands acteurs londoniens et new yorkais. Lorsque la discussion dérive vers leur thème de prédilection, le nom de George Bernard Shaw se hisse presque immédiatement en tête de liste.

Disposant d’un comité d’organisation local, du soutien d’une ville enthousiaste, d’un conseil obligeant ainsi que des services d’acteurs et d’un metteur en scène, la première saison, surnommée « Salute to Shaw » (Hommage à Shaw), démarre le 29 juin 1962 par la mise en scène de Don Juanaux enfers, suivie par Candida. Le Festival Shaw est né.

Le cadre historique et la beauté naturelle de la ville jouent un rôle prépondérant dans la manière dont le Festival Shaw assure sa propre promotion. La ville de Niagara-on-the-Lake est empreinte de tradition, l’arbre généalogique de nombreuses familles remontant jusqu’à la guerre de 1812. Le soin accordé à la prise en compte des coutumes locales et des sensibilités des personnes qui habitent la ville de longue date influence la manière dont le Festival Shaw mène ses affaires, dont nous communiquons avec notre auditoire local et dont nous nous associons aux entreprises régionales. – Odette Yazbeck, directrice des relations publiques du Festival Shaw

Au cours des années suivant l’inauguration du festival, l’intérêt pour la préservation de l’architecture croît au sein de la collectivité. La ville acquiert une réputation de centre d’expertise dans le domaine de la conservation, et nombre de ses lieux d’intérêt sont restaurés et réhabilités dans les années 1970. En 1986, la ville fait du cœur de son centre-ville un district de conservation du patrimoine. En 2003, il devient un district historique national, ce qui constitue une nouvelle illustration de la façon les arts et la culture servent de locomotive à un regain d’intérêt pour la conservation du patrimoine et à un sentiment de fierté à l’égard de sa ville.

Depuis la naissance du Festival Shaw, Niagara-on-the-Lake est florissante, apportant une contribution annuelle de plus de 75 millions de dollars à l’économie locale. La région de Niagara continue de prospérer, puisque plus de 80 caves vinicoles peuplent désormais la campagne. Aujourd’hui, les visiteurs arrivent dans la ville avec de nombreux objectif. en tête : faire le tour des sites patrimoniaux, visiter les caves de la région et voir une pièce au Festival Shaw, tout en dépensant localement de l’argent dans l’hébergement, les restaurants, les boutiques et les attractions.

À travers les siècles, les villes de Stratford et de Niagara-on-the-Lake ont chacune apporté leur pierre au patrimoine de l’Ontario, et ce, par des moyens uniques et irrésistibles. Cependant, chacune d’entre elles a également eu une influence sur la création de son festival, du fait de sa situation économique, de sa géographie et du soutien communautaire. Or les collectivités se sont développées et ont prospéré de pair avec lesdits festivals. Ce qui soulève l’interrogation suivante : en fin de compte, qui est redevable à qui?