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La musique du culte

L’orgue de Barbarie de Sharon Temple a été construit vers 1830 par Richard Coates (Photo : Katherine Belrose)

Photo : L’orgue de Barbarie de Sharon Temple a été construit vers 1830 par Richard Coates (Photo : Katherine Belrose)

Par

Nicholas Holman

Les bâtiments et l'architecture, Les arts et la créativité

Published Date: sept. 10, 2009

« L’architecture est une musique figée », a dit Goethe, mais pourquoi de tels propos? Était-ce parce que les intérieurs des églises chrétiennes, avec leurs colonnes et leurs voûtes, semblent se mouvoir pour qui descend la nef, les fenêtres et les murs, se dérober et les transepts apparaître et disparaître pour qui se déplace d’ouest en est dans un plan en croix latine? Mais la structure en tant que telle demeure immobile – hormis l’inévitable détérioration qui ronge tous les édifices.

La musique, en revanche, est fugace et intangible, s’élevant de la page silencieuse dans les quatre dimensions seulement quand elle est jouée. Les sons émanant d’un chœur, d’un orgue et d’autres instruments résonnent dans toute l’église, semblant se mouvoir et cerner l’auditeur, alors que les mélodies ne s’attardent que brièvement dès que la musique se tait.

Au fil des siècles, dans la chrétienté, la musique a considérablement évolué, des mélopées simples des origines aux compositions complexes pour deux chœurs, œuvre du compositeur du XVIe siècle, Giovanni Gabrieli, pour la basilique Saint Marc de Venise, d’une messe de Mozart avec orchestre à une psalmodie anglicane et aux hymnes convaincants des églises réformées.

Alors que des cantiques entraînants mènent des congrégations sur des voies impensables quelques siècles auparavant et déchaînent les foules, d’autres lieux de culte sont aménagés pour des concerts et des représentations de danse et de théâtre. Ainsi, Sharon Temple, au nord de Toronto, est un édifice religieux qui fait preuve de nouveauté sur le plan musical.

Avec sa symétrie architecturale frappante et son histoire musicale riche, Sharon Temple est le parfait exemple d’un édifice du patrimoine « vivant », même s’il a été détourné de son usage initial. Réputé pour son acoustique, ce temple est un édifice au plan central, recouvert de planches de clin et doté d’une charpente en bois, qui a été érigé entre 1825 et 1831 pour une petite secte religieuse appelée les Enfants de la Paix, fondée par David Willson.

Les Enfants de la Paix ont disparu il y a longtemps, mais, en 1966, le chœur de l’Université luthérienne de Waterloo a commandité John Beckwith, ancien doyen de la faculté de musique de l’Université de Toronto, pour composer une œuvre centrée sur cette secte. Le libretto de Beckwith, Sharon Fragments, intègre les descriptions par Willson de ses visions, les principes de la secte et trois hymnes composés par son fondateur, ainsi que deux des vingt airs joués par l’orgue de Sharon Temple. Désormais, cette magnifique œuvre du XXe siècle, à plusieurs niveaux, qui mêle le sacré au profane, est intimement liée à l’extraordinaire Sharon Temple.

Certes, Gabrieli n’approuverait peutêtre pas l’alliance de traditionnel et de contemporain, d’écrits religieux et de musique conçue par Beckwith, mais le résultat lorsqu’il est joué, comme il l’est souvent, dans le Sharon Temple, rend l’architecture de cet édifice exceptionnel plus vivante que figée, un résultat qui ravirait peut-être Goethe, comme il séduit nombre de personnes aujourd’hui.