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L’Ontario en peinture

Post Romano Fool’s Paradise, 1948, Doris McCarthy (1910-2010). Utilisation autorisée. « Le paradis d’une folle » (Fool’s Paradise), l’ancien studio et demeure de Mme McCarthy, a été offert à la Fiducie du patrimoine ontarien en 1998.

Les arts et la créativité

Date de publication : févr. 15, 2013

Photo : Post Romano Fool’s Paradise, 1948, Doris McCarthy (1910-2010). Utilisation autorisée. « Le paradis d’une folle » (Fool’s Paradise), l’ancien studio et demeure de Mme McCarthy, a été offert à la Fiducie du patrimoine ontarien en 1998.

Les tableaux constituent des sources d’information précieuses pour toute personne souhaitant explorer son patrimoine. Ils peuvent offrir un aperçu du passé et nous permettre de découvrir et d’extraire des renseignements sur le sujet ou le contexte dans lequel ils ont été créés et présentés. Un tableau est un produit d’une époque et d’un endroit particuliers et, les couleurs ont beau s’estomper et la peinture craqueler, un tableau se présente à notre regard sous un jour pratiquement identique au moment de sa création. Ce voyage dans le temps constitue un des éléments qui rendent les tableaux si fascinants et irrésistibles.

Mais les tableaux peuvent aussi déformer le temps. Souvent, les artistes regardent en arrière lorsqu’ils peignent une toile; ils intègrent des traditions et des conventions picturales apparues des siècles auparavant, dans des contextes historiques bien différents. La relation entre un tableau et un moment et un endroit donnés est d’autant plus complexe que, souvent, les artistes se projettent également vers l’avenir lorsqu’ils peignent dans le but d’anticiper les spectateurs de demain, les lieux d’exposition ou d’affichage à venir et peut-être les commissions et les possibilités de carrière futures. De nombreux artistes tentent de s’engager dans de nouvelles voies, de rendre leur œuvre unique, novatrice ou avant-gardiste. Ils veulent être en avance sur leur temps. De plus, les peintures, quel que soit leur âge, sont des éléments de culture inlassablement perçus, interprétés et recontextualisés; elles reçoivent ainsi une nouvelle vie et de nouvelles significations.

En dépit de ces préoccupations, retraçons l’histoire de la peinture en Ontario et analysons comment les artistes et les mouvements artistiques se sont influencés au fil des siècles.

Les traditions picturales européennes ont été introduites dans la province à la fin du XIXe et au début du XXe siècle par des officiers, des administrateurs coloniaux et leurs épouses. Au début, les tableaux produits dans ce qu’on appelait à l’époque le Haut-Canada comprenaient essentiellement des paysages à l’aquarelle de petite envergure. Les peintres étaient généralement des amateurs qui, en véritables « gentils » hommes et femmes, à l’instar d’Elizabeth Simcoe, femme du lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe, et de George Heriot, sous-ministre des Postes de l’Amérique du Nord britannique, passaient leur temps libre à peindre. L’aquarelle était leur médium de préférence parce qu’ils se déplaçaient souvent et que les aquarelles étaient transportables et séchaient facilement.

La Fiducie détient une servitude sur l’église anglicane St. Anne de Toronto dans laquelle se trouvent les seules œuvres religieuses connues du Groupe des sept.

Photo: La Fiducie détient une servitude sur l’église anglicane St. Anne de Toronto dans laquelle se trouvent les seules œuvres religieuses connues du Groupe des sept.

George Agnew Reid, The Homeseekers, huile sur toile, 180.3 x 273 cm. Collection d’œuvres d’art du gouvernement de l’Ontario, 619838.

Photo: George Agnew Reid, The Homeseekers, huile sur toile, 180.3 x 273 cm. Collection d’œuvres d’art du gouvernement de l’Ontario, 619838.

Certaines de ces aquarelles sont des œuvres magnifiques et intimes mais elles associent souvent différentes influences stylistiques afin de créer des tensions intéressantes. Nombre des officiers qui peignaient dans le Haut-Canada à cette époque ont appris à peindre dans le cadre de leur formation militaire, produisant ainsi des relevés topographiques exacts. Cela se reflète dans leurs aquarelles. Cependant, tandis qu’ils peignaient pendant leur temps libre, ils utilisaient des conventions issues de la peinture de paysage pittoresque britannique qui adoucissaient et idéalisaient ce qui était, en réalité, le milieu sauvage canadien. Ils produisaient ainsi des œuvres intéressantes, mais peu convaincantes.

Les notions de possession et de propriété de la terre et de l’art étaient centrales dans la tradition paysagère britannique du XIXe siècle, qu’elle soit militaire ou pittoresque, et il est intéressant de contempler les aquarelles créées dans le Haut-Canada en gardant ces thèmes à l’esprit.

Dans les premières décennies du XIXe siècle, la plupart des peintres professionnels qui travaillaient dans le Haut-Canada étaient des portraitistes itinérants venus d’Europe ou des États-Unis qui passaient par là et recevaient des commissions de quelques riches commanditaires. Mais la province n’offrait généralement pas assez d’argent ni de travail pour les faire rester. Le peintre français George Théodore Berthon a néanmoins fait remarquablement exception à la règle : arrivé à Toronto dans les années 1840, il a connu une brillante carrière en peignant des portraits de société. Paul Kane est une autre exception : il a voyagé dans tout le pays et a peint des portraits, des paysages et des scènes de genre au sein de collectivités des Premières Nations. Son étude et sa description des Premières Nations témoignent souvent d’un profond respect pour les sujets de ses tableaux, en plus de montrer la propension de son époque à peindre, classer et examiner ces « sujets exotiques » dans le cadre du projet impérial.

Tout au long du XIXe siècle, les peintres qui travaillaient en Ontario ont été influencés par les styles classiques européens. Mais les réalités de ce qui était alors une société de pionniers ont souvent compromis leurs nobles idéaux. Au milieu du XIXe siècle, avant l’apparition des institutions, associations et galeries artistiques, les seuls lieux publics d’exposition pour les peintres du Haut-Canada étaient les foires agricoles. Des tableaux pouvaient y être présentés et des prix remis pour ceux d’entre eux considérés comme exceptionnels. Néanmoins, ces concours étaient souvent jugés de manière douteuse et la catégorie des beaux-arts était conçue dans une large acception. Les peintures étaient exposées aux côtés de fourrures, de jasmin de Madagascar, d’objets artisanaux et d’outils, voire de dentiers. Il est intéressant de noter que, de nos jours, de nombreux artistes sont revenus à cette vision plus éclectique des beaux-arts, qui comprend l’art populaire, les produits d’artisanat et d’autres objets.

À partir des années 1870, d’importants efforts ont été déployés pour changer cette situation et des institutions artistiques conçues sur le modèle des institutions européennes ont été créées. Les artistes avaient trois objectifs : élever le statut de l’artiste à celui de professionnel, créer des lieux d’exposition appropriés et améliorer le goût des Ontariennes et des Ontariens par la formation et l’ouverture à l’art. Les prédécesseurs du Musée des beaux-arts du Canada, du Musée des beaux-arts de l’Ontario, de l’École des beaux-arts de l’Ontario et de l’Ontario Society of Artists ont tous été créés au cours des dernières décennies de ce siècle. À cette époque, l’Ontario comptait de nombreux artistes professionnels, dont la plupart avaient été formés dans des écoles de beaux-arts à Paris et en Europe. Leur formation était fondée sur l’étude rigoureuse de la silhouette humaine et la représentation tridimensionnelle reposant sur le jeu de l’ombre et de la lumière. Les peintres étaient incités à produire des scènes narratives sentimentales et parfaitement soignées. Les artistes ontariens Paul Peel et George Agnew Reid ont pratiqué ce genre.

À la même époque, la peinture de paysage est redevenue une force dans la province. Influencés par l’école française de Barbizon et le peintre paysagiste anglais John Constable, des peintres comme Homer Watson ont créé des scènes rurales idéalisées et minutieusement détaillées aux couleurs sombres et sourdes. Encore une fois, la superposition des conventions européennes sur les paysages canadiens est à l’origine de tableaux parfois incongrus, mais qui reflétaient une province en train de se construire. Il convient de noter qu’à cette époque, la peinture de portrait était sur le déclin car les commanditaires se tournaient plutôt vers le nouvel art de la photographie.

Elizabeth Simcoe, Fanfield on the Gananocoui, below Kingston, 15 septembre 1795, aquarelle, F47-11-1-0-145, Archives publiques de l’Ontario.

Photo: Elizabeth Simcoe, Fanfield on the Gananocoui, below Kingston, 15 septembre 1795, aquarelle, F47-11-1-0-145, Archives publiques de l’Ontario.

George Theodore Berthon, L’honorable Donald Alexander Macdonald [Lieutenant-gouverneur de l’Ontario, 1875-1880], huile sur toile, 109.2 x 81.3 cm. Collection d’œuvres d’art du gouvernement de l’Ontario, 693132.

Photo: George Theodore Berthon, L’honorable Donald Alexander Macdonald [Lieutenant-gouverneur de l’Ontario, 1875-1880], huile sur toile, 109.2 x 81.3 cm. Collection d’œuvres d’art du gouvernement de l’Ontario, 693132.

Kazuo Nakamura, Two Horizons, huile sur toile, 261.6 x 196.9 cm. Collection d’œuvres d’art du gouvernement de l’Ontario, 619763.

Photo: Kazuo Nakamura, Two Horizons, huile sur toile, 261.6 x 196.9 cm. Collection d’œuvres d’art du gouvernement de l’Ontario, 619763.

Jack Bush, Untitled, peinture acrylique sur toile, 261.6 x 198.1 cm. Collection d’œuvres d’art du gouvernement de l’Ontario, 619775.

Photo: Jack Bush, Untitled, peinture acrylique sur toile, 261.6 x 198.1 cm. Collection d’œuvres d’art du gouvernement de l’Ontario, 619775.

Au début du XXe siècle, l’Europe a connu d’importantes évolutions artistiques qui reflétaient une société en mutation permanente, de plus en plus urbanisée et industrialisée, et qui exprimaient l’inquiétude et l’aliénation engendrées par ces évolutions. À Paris, par exemple, Picasso et d’autres peintres décomposaient et reconfiguraient les formes et expérimentaient de nouvelles possibilités artistiques.

Les artistes qui travaillaient en Ontario étaient bien éloignés de ces innovations, mais quelques-uns d’entre eux, comme le peintre paysagiste David Milne, ont commencé à se détacher de l’influence de la peinture universitaire européenne du XIXe siècle. Milne souhaitait moins dépeindre les réalités/détails extérieurs que l’expérience sensorielle des paysages de l’Ontario. Les peintres ontariens se sont lentement tournés vers des influences plus modernes comme les postimpressionnistes qui avaient travaillé en France à la fin du XIXe siècle, notamment Gauguin, Van Gogh et Cézanne. Ils utilisaient des couleurs vives, des formes abstraites et des touches de pinceau libres afin de mettre l’accent sur la texture de la toile, les matériaux et le processus de la peinture.

La Première Guerre mondiale a incité de nombreux artistes à rompre avec les modèles classiques afin de se distancer des sociétés ayant causé la guerre et de dépeindre un monde en rapide mutation. C’est dans ce contexte que les artistes du Groupe des sept sont devenus des figures majeures de l’art canadien. La représentation que le Groupe donnait de la nature sous une forme épurée, sauvage, dynamique et romantique offrait aux Canadiens une nouvelle image d’eux-mêmes. À l’époque, des critiques plus conservateurs n’ont pas été impressionnés et ont qualifié leurs œuvres de « bouillie chaude » à cause des larges traits de pinceau, des couches de peinture épaisses et des couleurs vives. Cependant, le Groupe est rapidement devenu un modèle par rapport auquel l’art en Ontario était évalué et la première école typiquement nationale du Canada a été ardemment défendue dans les écoles d’art, les galeries et la presse. Désormais, l’identité canadienne se définissait comme une réponse au paysage. Bien qu’il ne soit que timidement moderne par rapport à la direction que prenait la peinture partout ailleurs, le Groupe des sept a toutefois amené une nouvelle génération à expérimenter de nouvelles possibilités et à se développer.

L’œuvre du Groupe des sept a renouvelé l’art canadien et a répondu au besoin du Canada de se créer une identité nationale. Pourtant, elle a également causé quelques problèmes pour les artistes. Désormais, l’art était au cœur de la construction nationale et on s’attendait à ce que l’art reflète et exprime des thèmes nationaux. Cet impératif a été particulièrement difficile pour les peintres du milieu du XXe siècle qui étaient exposés à des styles internationaux qui exploraient des formes toujours plus urbaines, industrielles, mondiales.

Très vite, les peintres influencés par l’art abstrait provenant de New York se sont opposés au Groupe des sept. Kathleen Munn et Bertram Brooker ont été parmi les premiers à créer et à exposer des œuvres abstraites en Ontario. Ces tableaux effaçaient tout sujet descriptif pour que l’œuvre elle-même devienne le sujet. La peinture abstraite était directement repliée sur elle-même : elle se tournait vers les expressions et les sentiments subjectifs de l’artiste et vers une préoccupation à l’égard de la pratique et du développement de l’art plutôt que vers les sujets extérieurs. Les individus, les endroits et les objets qui encombraient les villes où vivaient les peintres abstraits avaient disparu de la toile. À la place, les artistes se concentraient sur les questions sérieuses de couleur, d’espace et de tensions entre le chaos et l’ordre.

En 1953, un groupe d’expressionnistes abstraits ont organisé leur première exposition, « Abstracts at Home », dans le rayon ameublement du grand magasin Simpson’s de Toronto (aujourd’hui The Bay à l’angle des rues Queen et Yonge), dans l’espoir que d’éventuels commanditaires reconnaîtraient la modernité et le caractère surprenant des œuvres accrochées à des murs de salon. L’événement a remporté un franc succès. Le groupe s’est vite agrandi et est rapidement devenu le Groupe des Onze. Ils ont insufflé une nouvelle dose d’énergie et d’idées sur la scène artistique de Toronto et ont affirmé le modernisme comme une véritable force dans la ville.

À la fin des années 1960 et au cours des années 1970, les artistes se sont rendu compte que l’attitude distante, introvertie et parfois dominatrice de la peinture abstraite n’était plus adaptée à l’ambiance culturelle, politiquement tendue et socialement engagée. Les artistes postmodernes sont revenus aux thèmes de la nation, de l’identité et de la narration. Leurs œuvres intégraient un discours social et faisaient souvent référence à des œuvres d’art des générations passées. Des artistes comme Joyce Wieland, Michael Snow et Greg Curnoe travaillaient avec de nombreux matériaux, dont la peinture, et intégraient souvent les matériaux, les formes et les couleurs issus de la culture populaire dans leurs œuvres.

Dans le même temps, de nombreux artistes des Premières Nations réinterprétaient et recontextualisaient les symboles, les formes et les motifs traditionnels. Ainsi, Norval Morrisseau et Daphne Odjig, affiliés à la Woodlands School, un groupe composé d’artistes essentiellement Anishnaabeg, ont interprété l’imagerie traditionnelle à l’aide de couleurs vives et, parfois, de matériaux occidentaux. Bon nombre de leurs œuvres explorent le thème de l’identité.

Au cours des dernières décennies, les matériaux, les sujets et les styles se sont diversifiés. La fragmentation, la désorientation et l’ambivalence ont souvent été exprimées, mais les peintures et les croquis ont été tout aussi souvent drôles et ludiques. Il est difficile de prévoir comment les générations de demain caractériseront la peinture de ces dernières décennies; peut-être sera-t-elle essentiellement caractérisée par sa variété et sa diversité. C’est là une question passionnante pour quiconque réfléchit à l’histoire de la peinture en Ontario.