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Bkejwanong : préserver 6 000 ans de patrimoine

Vue aérienne de l’extrémité nord du territoire de la Première nation de Walpole Island, au sud-ouest de la rivière Sainte-Claire (Photo : Karen Abel)

"Pour en savoir plus, visitez les sites Web www.bkejwanong.com et www.walpoleislandlandtrust.com."

Par

Clint Jacobs

Le patrimoine autochtone, Le patrimoine naturel

Date de publication :11 févr. 2010

Photo : Vue aérienne de l’extrémité nord du territoire de la Première nation de Walpole Island, au sud-ouest de la rivière Sainte-Claire (Photo : Karen Abel)

Dans le Sud-Ouest de l’Ontario, le delta de la rivière Sainte-Claire – à quelques pas du lac Sainte-Clair – abrite la Première nation de Walpole Island, ou « Bkejwanong » (« là où les eaux se séparent » en ojibwé). Mon peuple, les Anishnaabe (tribus Potawatomi, Ojibwe et Odawa), veille depuis des siècles à préserver la remarquable beauté naturelle de ce site à l’aide de pratiques de conservation du patrimoine.

Nous vivons à Bkejwanong depuis près de 6 000 ans et, depuis le tout début, nous dépendons d’Aki, la Terre. La terre a pris soin de nous, et nos aînés nous ont appris qu’il nous incombait de lui rendre la réciproque. La gestion des terres est une valeur que nous instillons à nos enfants par nos enseignements traditionnels. Les familles ont toujours veillé à récolter les produits de la terre (afin de se nourrir, de se soigner ou de se vêtir) en respectant des pratiques durables, de sorte que ces offrandes se perpétuent d’une moisson à l’autre et d’une génération à l’autre.

Aujourd’hui, notre communauté peut se targuer de posséder un patrimoine naturel unique, qui comprend des marécages, des forêts caroliniennes, des savanes arborées de chênes rares et des prairies à herbes hautes. Cet écosystème de renommée mondiale abrite plus de 60 espèces canadiennes en voie de disparition. Certaines sont d’ailleurs si rares qu’on ne les trouve nulle part ailleurs au Canada. La population de notre communauté dépasse à peine 4 000 personnes et, depuis des millénaires, nous évoluons harmonieusement au beau milieu d’une faune variée et d’une flore très riche – petits cypripèdes royaux, chicots du Canada, sassafras, liatris à épis touffus, râles élégants, tortues ponctuées et écureuils volants, pour ne citer que quelques espèces.

Toutefois, au cours du XXe siècle, notre relation à la terre s’est progressivement détériorée. Les pratiques traditionnelles consistant à transmettre le savoir de génération en génération ont été mises à mal, tout comme notre symbiose avec l’environnement, notamment en raison de facteurs tels que l’obligation de placer nos enfants en pensionnat et l’adoption des commodités et technologies modernes. Nos valeurs culturelles ainsi que notre expertise écologique, qui ont permis de préserver notre terre pendant des millénaires, sont aujourd’hui menacées de disparition.

En tant que communauté d’importance croissante, aux traditions profondément enracinées dans un patrimoine culturel et un territoire ancestral, comment pouvons-nous empêcher notre patrimoine naturel de pâtir des pressions socio-économiques modernes? Depuis des décennies, notre communauté tente activement de trouver la réponse à cette question par le biais des activités du Walpole Island Heritage Centre et d’autres initiatives de promotion du développement au niveau local.

Baguage d’un colibri réalisé dans le cadre du NTARP (Native Territories Avian Research Project) (Photo : Carl Pascoe)

Récemment, les membres de la communauté parlant la langue Anishnaabe et les personnes apprenant cette langue se sont lancés dans une initiative visant à intégrer nos légendes et nos histoires au programme scolaire et à des programmes d’immersion linguistique conçus pour encourager et perpétuer le bilinguisme. De plus, les jeunes de notre communauté s’impliquent dans des initiatives de préservation du patrimoine telles que le Bkejwanong Eco-Keepers, un groupe de jeunes pour la gestion environnementale. Ce programme propose à des stagiaires d’été de travailler sur des projets d’intendance, dont bon nombre sont conçus par les jeunes eux-mêmes. Cette initiative leur inculque une éthique de conservation du patrimoine et renforce les liens culturels qui unissent ces jeunes à leur terre, tout en leur proposant de nombreux débouchés professionnels dans le secteur de l’environnement. De plus, notre nouveau bureau dédié aux économies d’énergie explique aux membres de la communauté comment réduire leur consommation d’énergie ainsi que leur empreinte carbone.

Notre démarche de préservation s’inscrit également dans la collaboration avec des groupes et des personnes qui n’appartiennent pas à notre communauté. C’est une autre initiative essentielle, car elle nous permet de mettre en commun nos expériences et celles d’autres peuples établis en Amérique du Nord et ailleurs. Par exemple, nous avons formé un partenariat avec une initiative de recherche aviaire – le Native Territories Avian Research Project – afin de mettre en place des programmes de baguage des colibris, des oiseaux chanteurs et des hiboux, en collaboration avec le territoire des Six Nations et les Chippewas of the Thames. Ces programmes vont permettre de mettre en place des programmes d’éducation et de formation à l’étude des oiseaux.

Notre communauté a récemment franchi une étape importante en créant la première fiducie foncière autochtone officielle du Canada, à savoir l’organisme Walpole Island Land Trust, qui vise à protéger formellement le patrimoine naturel tout en renforçant les liens culturels liant traditionnellement les peuples autochtones à leur territoire. Outre plusieurs projets d’intendance et de protection des prairies à herbes hautes – dont la mise en œuvre a été rendue possible par le généreux soutien des entreprises et des organismes de préservation qui nous parrainent – nous avons entrepris de restaurer un marais de 171 acres/ 69 hectares sur l’île Walpole en collaboration avec de nombreux partenaires locaux.

Les prairies à herbes hautes sont des écosystèmes en péril; or, elles abritent de nombreuses espèces en voie de disparition telles que le colin de Virginie. Les fonds obtenus pour préserver ces habitats naturels incluront des initiatives de restauration, de recherche, de formation ainsi que des projets communautaires qui enseigneront à nos enfants des méthodes durables pour obtenir de la nourriture et se soigner grâce à la nature. Les aînés apprendront à ces jeunes des pratiques de chasse éthiques et des techniques de survie, et leur relateront des récits illustrant nos liens ancestraux avec ce territoire, afin qu’ils sachent comment y vivre et comment le protéger.

Grâce à ces initiatives de protection de notre patrimoine naturel et à un travail communautaire visant à restaurer et à promouvoir notre relation avec notre territoire, notre communauté et la riche biodiversité qui l’entourent ont probablement un bel avenir en commun. Ces projets nous incitent également à envisager l’avenir sous le même angle que nos aînés et nos ancêtres, et à renouer avec une philosophie sur laquelle mon peuple s’appuie depuis plus de 6 000 ans. Nous devons préserver le patrimoine naturel – nous le devons à nos ancêtres, mais aussi au règne végétal et animal.

Prairie à herbes hautes où abondent les liatris à épis (île Walpole) (Photo : Aimee Johnson)

Photo: Prairie à herbes hautes où abondent les liatris à épis (île Walpole) (Photo : Aimee Johnson)

Un adolescent appose une balise sur l’aile d’un monarque dans le cadre du programme Bkejwanong Eco-Keepers (Photo : Aimee Johnson)

Photo: Un adolescent appose une balise sur l’aile d’un monarque dans le cadre du programme Bkejwanong Eco-Keepers (Photo : Aimee Johnson)