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De Happy Hill à la Colline du Parlement : un entretien avec la pionnière, Jean Augustine

L’honorable Jean Augustine.

Le patrimoine des femmes, Le patrimoine Noir

Date de publication : mars 20, 2018

Photo : L’honorable Jean Augustine.

Parmi ses nombreux trophées, Jean Augustine possède l’insigne honneur d’être la première députée et ministre noire du Canada. Elle a œuvré à l’amélioration de la position des femmes en tant qu’enseignante, bâtisseuse communautaire et femme politique. Aujourd’hui encore, elle offre son soutien à sa communauté dans un centre qui porte son nom et se consacre à l’autonomisation des jeunes femmes (Jean Augustine Centre for Young Women’s Empowerment), à Etobicoke. Elle y a récemment évoqué sa carrière dans les domaines des services sociaux et de la défense des droits dans un entretien avec Beth Hanna, directrice générale de la Fiducie du patrimoine ontarien.

Beth Hanna: Pourriez-vous nous faire part de quelques réflexions sur les jalons les plus importants de votre parcours?

Jean Augustine: Il me faut revenir à ma jeunesse avec ma grand-mère, mes tantes et mes cousines à Happy Hill, à Saint-Georges sur l’île de la Grenade. Il y avait évidemment des hommes [rires] dans la famille, mais j’admirais surtout ces femmes très fortes. Ma grand-mère a aidé ma mère à s’occuper de nous, car mon père est mort alors que je n’étais âgée que de neuf mois. Je l’ai toujours considérée comme une femme solide et déterminée. Et c’est donc la détermination inspirée des femmes que je côtoyais qui me vient d’abord à l’esprit.

À mon arrivée à Toronto, j’ai constaté que la ville était mûre pour du militantisme. Nous n’avions pas encore la Charte des droits et libertés à l’époque. Il n’existait pas de Commission des droits de la personne telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il n’y avait pas non plus de police de proximité ni de Loi sur la location immobilière. Nous devions militer afin d’inciter les institutions et les décideurs à prendre conscience que nous étions présentes en tant que personnes de race noire, en tant que femmes noires, et qu’il existait une histoire des Noires au Canada. J’étais engagée et impliquée dans toutes sortes de choses [rires]. Rien d’illégal, mais tout de même un grand nombre de choses, et tout en même temps!

J’ai également rencontré des femmes fabuleuses qui repoussaient les obstacles. Des personnes comme Marilou McPhedran, qui vient d’être nommée au Sénat. Jane Pepino et d’autres femmes s’intéressaient également au problème de la violence contre les femmes dans son ensemble. Elles se souciaient de ce qui arrivait aux femmes alors qu’il n’existait aucune loi, aucune procédure policière, ni même attention de la part du système judiciaire, lorsque les femmes s’adressaient aux juges.

Je possédais ce sens du service : regarder afin de savoir où se trouvent les autres, de voir ce qui est important, et m’engager dans la communauté, car c’était essentiel. J’ai facilement trouvé ma place dans ces groupes qui tentaient d’entreprendre le changement.

Et bien sûr, en 1982, lorsque la Constitution a été modifiée et que les femmes ont été écartées de la discussion et exclues de toute l’organisation du projet, j’ai rembarqué : « Et nous? Ne faudrait-il pas ajouter un article sur des questions concernant les femmes? » Je ne pouvais pas regarder le train passer. Je me trouvais toujours au cœur de l’action, à tenter de faire bouger les choses.

Le bureau de l’honorable Jean Augustine.

Le bureau de l’honorable Jean Augustine.

BH:Vous avez assisté à des changements spectaculaires. Comment pensez-vous que nous nous en sortions en tant que femmes?

JA: Je pense que le Canada est un grand pays. Nous disposons de talents parmi les plus brillants et exceptionnels, et nous les reconnaissons en tant que femmes quand il s’agit de femmes. Mais il y a matière à amélioration. Il reste de nombreux problèmes à résoudre. Il nous faut créer une stratégie contre la discrimination anti-Noires pour que nous ne soyons pas exclues des instances du pouvoir décisionnel. La structure légale et l’orientation politique existent déjà. Ce qu’il nous faut, c’est une mise en œuvre intégrale de tout ce que nous avons noir sur blanc, sur papier.

BH:Comment entrevoyez-vous l’évolution de notre société au cours des cinq prochaines années?

JA: Il me semble que nous sommes sur la bonne voie et que nous nous dirigeons vers ce que nous entendons par le concept d’« égalité ». Je pense que, dans cinq ans, nous travaillerons encore aux dossiers de la reconnaissance de la garde d’enfants, des congés de maternité et du droit des pères de rester à la maison. Certains traits culturels doivent être brisés dans la société : par exemple, si un homme décide de rester à la maison et de conduire les enfants à la garderie, il n’en est pas diminué pour autant en sa qualité d’homme. Les changements sociétaux se poursuivent et les inquiétudes des personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et celles s’identifiant de diverses manières doivent être mieux comprises. Il nous est nécessaire d’apprendre à accepter que notre société est multiculturelle, multiraciale, multiethnique et multireligieuse, et de respecter les visions de tout un chacun, toute une chacune.

En tant que présidente du caucus libéral national féminin, Jean Augustine a soutenu la loi conduisant à l’érection de la statue des « Célèbres cinq » sur la Colline du Parlement.

BH: À quels défis avez-vous été confrontée dans vos postes de direction et comment les avez-vous surmontés?

JA: Très tôt, dans la société canadienne, j’ai remarqué qu’en tant que femme de couleur (car, à nouveau, je parle d’intersectionnalité : mon ethnie, ma couleur, mon statut d’immigrante, toutes ces choses ayant une influence conjointe), j’ai remarqué, donc, très rapidement qu’il me fallait faire ma place dans la société. Je devais être aussi bonne que beaucoup d’autres, voire meilleure qu’eux. « Aussi bonne que » voulait dire acquérir les qualifications nécessaires. Je parle de ma réussite à l’école normale, de l’obtention de mon baccalauréat ès arts, de ma maîtrise en enseignement, bref de l’obtention de toutes les feuilles de papier nécessaires pour avancer, afin d’être plus que qualifiée lorsque je me mettrais en avant.

BH: Que diriez-vous à une personne désireuse de se présenter aux élections?

JA: Je fais partie d’un groupe qui travaille à introduire davantage de jeunes femmes dans le monde politique. J’ai commencé avec un groupe nommé Samara, puis À voix égales, et nous possédons à présent un groupe au sein de la communauté afro-canadienne, tout ceci afin d’encourager les jeunes femmes, en particulier, à se lancer. Nous devons nous affirmer entre nous. Ma vie est loin d’avoir été parfaite. J’ai fait des chutes et rechutes. Était-ce Jesse Jackson qui disait que « tomber n’est pas grave, mais il faut se relever et continuer d’avancer »? Lorsque je suis arrivée à Toronto, j’ai commencé à travailler comme domestique. Je l’évoque donc souvent de cette manière : je suis partie de Happy Hill pour arriver à la Colline du Parlement. Je sais donc que parfois, les gens ont besoin d’un coup de main. Les personnes doivent avoir quelqu’un auprès d’elles qui puisse leur dire : « Relève-toi, on y va, je vais t’aider. » Je pense qu’il est important de transmettre ce message: « Allons-y! »

https://youtu.be/hSAVtnYNtZ8