Partager:

Conservation dans un rayon de 100 milles

Fromager au marché St. Lawrence, Toronto (Photo : © Tourisme Ontario, 2009)

Photo : Fromager au marché St. Lawrence, Toronto (Photo : © Tourisme Ontario, 2009)

Par

Laura Hatcher

L'environnement, Les outils pour la conservation, L'alimentation

Published Date: mai 28, 2009

Les gens sont de plus en plus conscients non seulement des aliments qu’ils consomment, mais aussi de leur provenance. Ce concept, qui n’a rien de nouveau, s’est répandu en 2005 grâce au programme « 100 milles pour se nourrir » qui invitait la population à consommer des aliments produits dans un rayon de 100 milles de leur domicile.

Les adeptes de ce mouvement alimentaire local considèrent ce concept intéressant pour plusieurs raisons. Les aliments produits localement parcourent moins de distance que les aliments concurrents importés. Ils sont donc généralement plus frais, plus sains, et ont meilleur goût. Une distance plus courte entre les champs et la table à manger réduit également les émissions de pollution. Enfin, le fait de soutenir les agriculteurs de la région permet de relancer l’économie locale et d’aider nos régions agricoles existantes à subsister face à une économie agricole mondiale.

Les gens sont de plus en plus conscients non seulement des aliments qu’ils consomment, mais aussi de leur provenance. © Tourisme Ontario, 2009

Les gens sont de plus en plus conscients non seulement des aliments qu’ils consomment, mais aussi de leur provenance. © Tourisme Ontario, 2009

Décider de manger local requiert plus d’imagination, de planification, de préparation et de créativité que de se rendre simplement au supermarché. Pour s’approvisionner, il est nécessaire de se rendre aux marchés des agriculteurs ou dans des magasins spécialisés ou encore de cultiver soi-même ses produits. Acheter ses produits au marché des agriculteurs ou chez le boucher est plus personnel et offre la possibilité de poser des questions : D’où vient tel aliment? A-t-il été cultivé à l’aide de pesticides? Quelles étaient les conditions d’élevage de ce bétail? De plus, la consommation des produits locaux respecte le cycle des saisons et la disponibilité des ressources agricoles ainsi que la variation régionale. Même s’il n’est pas toujours possible d’y adhérer de façon drastique, le programme « 100 milles pour se nourrir » agit comme une lentille qui nous permet d’observer à quel point nos choix alimentaires affectent notre santé, l’économie et l’environnement.

Pourquoi ne pas appliquer cette lentille de « 100 milles » à la conservation des bâtiments? En effet, le programme « 100 milles pour se nourrir » et l’initiative de conservation des bâtiments, attirent tous deux l’attention sur l’importance d’utiliser les ressources attentivement, la notion de lieu et la réduction de la toxicité. Tout comme le fait de manger local engendre des bienfaits évidents sur l’environnement, le fait de réutiliser des constructions anciennes et leurs matériaux comporte aussi des avantages écologiques.

Comme l’a déclaré Carl Elefante, spécialiste américain et praticien dans le domaine de l’architecture durable : « Le bâtiment le plus écologique c’est celui qui est déjà construit ». Pendant des années, les écologistes ont utilisé le terme « énergie grise » (ou « énergie incorporée ») pour aider à défendre la cause de la protection des bâtiments de notre patrimoine. Les bâtiments sont des entrepôts d’énergie. La fabrication, l’extraction ou encore le transport sur le chantier des matériaux de construction exigent de l’énergie; et encore plus d’énergie quand il s’agit de réunir ces matériaux pour en faire un bâtiment. Toute cette énergie est renfermée dans la structure achevée. Quand cette structure est détruite et jetée à la décharge, toute l’énergie consacrée à sa construction est alors gaspillée.

Cet ouvrage récent réalisé au Centre du patrimoine ontarien, qui a presque réussi le test du 100 milles, a bénéficié de sa localisation à Toronto, une ville où la main-d’oeuvre qualifiée et les matériaux de construction sont aisément disponibles.

De plus, le processus de démolition dépense de l’énergie de la même manière que la construction d’un bâtiment de substitution. L’idée d’énergie grise dans le domaine de la construction existe depuis au moins 1976, lorsque Bruce Hannon et Richard Stein ont calculé la quantité de BTU utilisé pour produire différents matériaux de construction modernes. Ils sont parvenus à déterminer qu’un bâtiment typique du milieu du 20e siècle nécessitait l’équivalent de 15 gallons d’essence par pied carré.

Comme le programme « 100 milles pour se nourrir », le choix d’investir dans la conservation d’un bâtiment plutôt que dans sa démolition contribue plus directement et plus significativement à l’économie locale. Un pourcentage plus minime du budget du projet est destiné aux matériaux, et la majorité est consacrée à la main-d’oeuvre qualifiée.

Les modifications récentes effectuées dans les bureaux du Centre du patrimoine ontarien illustrent ce concept. En effectuant simplement de petites modifications non structurelles au plan d’étage initial, les coûts de rénovation et des matériaux ont été minimisés. Ceci a permis d’investir dans la restauration de ce qui existait déjà. Toute la moquette moderne a été arrachée, révélant ainsi les sols d’origine en bois dur du bâtiment. Dans l’ensemble, le bois d’érable d’origine était en bon état, malgré l’usure et la dégradation dues aux colles et à l’eau. La main-d’oeuvre spécialisée engagée pour rénover le bois des sols était locale. De même, les finitions et ferrures du bâtiment ont été restaurées. La petite quantité de bois neuf inséré dans le parquet d’origine provenait de la région de York, à 100 milles de Toronto. Finalement, environ 90 pour cent du budget du projet a été consacré à la main-d’oeuvre, et seulement 10 pour cent au coût des matériaux – un pourcentage bien inférieur à la répartition traditionnelle (50/50).

Cet ouvrage récent réalisé au Centre du patrimoine ontarien, qui a presque réussi le test du 100 milles, a bénéficié de sa localisation à Toronto, une ville où la main-d’oeuvre qualifiée et les matériaux de construction sont aisément disponibles. Un projet de conservation dans un lieu éloigné peut bénéficier de matières premières, mais n’aura probablement pas de main-d’oeuvre locale. À l’inverse, un projet de conservation peut disposer de personnel qualifié, mais avoir du mal à trouver des pierres, des briques ou du bois.

Tout comme la lentille du « 100 milles » permet de remettre en question et d’améliorer notre système alimentaire, le secteur de la conservation du patrimoine pourrait utiliser cette approche pour envisager la conservation architecturale sous un angle nouveau. C’est un sujet qui mérite réflexion.