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Oil Springs : un district patrimonial né du sous-sol

Les membres d’une équipe de forage posent devant leur appareil de forage à vapeur, à Petrolia, en 1910.

"Lorsqu’on retrace les origines de l’industrie pétrolière mondiale, on remonte inévitablement jusqu’à Oil Springs, dans le Canada-Ouest, en 1858."

Emory Kemp, professeur émérite, Institute for the History of Technology and Industrial Archaeology at West Virginia University

Par

Robert Tremain

La communauté, Les outils pour la conservation

Date de publication :10 mai 2013

Photo : Les membres d’une équipe de forage posent devant leur appareil de forage à vapeur, à Petrolia, en 1910.

Au milieu du XIXe siècle, le Sud-Ouest de l’Ontario constitue la dernière frontière du Canada-Ouest. Les voies de communication, la civilisation et le confort y rejoignent la nature à l’état sauvage. Et pourtant, c’est de ces zones humides infranchissables que jaillira la source d’énergie qui définit l’époque moderne.

À l’époque, les consommateurs réclament à cor et à cri un combustible abordable, sans danger et éclairant, car ceux qui sont alors utilisés dans les lampes produisent des fumées de charbon, des odeurs nauséabondes et une lumière jaune ou sont vendus à un prix prohibitif pour la plupart des Nord-Américains. Ainsi, malgré le travail que cela exige, nombreux sont ceux qui continuent d’utiliser des chandelles de suif. Les laboratoires ont bien réussi à produire du kérosène à partir de shale bitumineux, mais seulement en quantités limitées – et à grands frais. La production de kérosène en quantités commerciales devra donc attendre la découverte d’une réserve de ressource naturelle abondante et bon marché.

Quand l’équipe de la Commission géologique du Canada explore en 1849 le comté de Lambton, alors récemment fondé, elle cartographie plusieurs gisements de bitume naturel. Bien qu’on ne connaisse alors aucune application à cette matière, deux aventuriers en quête de fortune s’emparent de 566 hectares (1 400 acres) de terres dans le canton isolé d’Enniskillen. Charles et Henry Tripp, prospecteurs de gisements de minéraux originaires de Woodstock, deviennent ainsi les premiers au monde à spéculer sur une région pétrolifère. C’est finalement James Miller Williams qui aura l’honneur d’être reconnu comme le « père de l’industrie pétrolière », pour avoir creusé le premier puits de pétrole commercial d’Amérique du Nord et fondé la première raffinerie du Canada en 1858, déclenchant ainsi une succession d’événements qui donneront naissance à l’industrie pétrolière mondiale.

L’héritage exceptionnel du premier champ pétrolifère au monde est désigné lieu historique national en 1925 par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada, avant qu’une plaque en bronze n’y soit installée en 1938. En 2005, cette même Commission confirme que cette désignation englobe aussi l’Oil Museum of Canada (musée canadien du pétrole) et la compagnie privée Fairbank Oil Properties.

Emory Kemp, de l’Institute for the History of Technology and Industrial Archaeology, s’y rend pour la première fois dans les années 1990 et y passera plusieurs étés à établir la cartographie archéologique du site. La Fairbank Oil Property représente pour Kemp un véritable trésor. Plein d’enthousiasme, il explique se sentir « comme un paléontologue qui aurait découvert un dinosaure vivant! ». Déposés à la Library of Congress (Bibliothèque du Congrès) et à Bibliothèque et Archives Canada, les résultats de son étude de terrain constituent le premier relevé jamais réalisé au Canada dans le cadre du programme Historic American Engineering Record.

Vue sur quelques-unes des 1 100 tours de forage triangulaires utilisées à Oil Springs vers 1910.

Vue sur quelques-unes des 1 100 tours de forage triangulaires utilisées à Oil Springs vers 1910.

Les roues (que l’on peut voir sur cette photo) et le système de pompes à tiges à saccades sont encore utilisés par Fairbank Oil Properties aujourd’hui, sensiblement de la même manière que dans les années 1860.

L’appui toujours plus important du public et du secteur privé aboutit en 2009 à la création d’un comité directeur réunissant le comté de Lambton, des producteurs de pétrole ainsi que plusieurs municipalités locales et leurs Comités consultatifs sur le patrimoine. L’objectif est de réaliser un inventaire détaillé ainsi que la cartographie complète des biens, et de préparer un plan de gestion des ressources. S’il s’agit d’une initiative communautaire dirigée par les municipalités, la réalisation en sera confiée à MBHC Planning/Wendy Shearer Landscape Architect.

Or, il apparaît que les différents biens sont dispersés entre plusieurs municipalités du centre du comté de Lambton. Le ministère du Tourisme et de la Culture de l’époque – qui jouera un rôle de guide tout au long de cette démarche – encourage alors les municipalités locales à déléguer leur responsabilité, en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario, au comté de Lambton, municipalité de palier supérieur propriétaire de l’Oil Museum of Canada. Cette approche collaborative a pour but la création d’un district de conservation du patrimoine (DCP), solution permettant de tenir compte des centaines de biens pétroliers historiques disséminés dans plusieurs municipalités.

L’étude qui en résulte souligne la rareté du « paysage du patrimoine durable » que présentent ces champs pétrolifères – où l’on produit encore du pétrole à l’aide de la technologie inventée sur la propriété Fairbank il y a un siècle et demi. Cette désignation d’un DCP fondée sur un paysage industriel encore en exploitation est une première en Ontario – et reste un cas unique encore aujourd’hui.

En 2010, le rapport d’étude et de planification final, intitulé Lambton Oil Heritage Conservation District Study and Plan, est salué pour les solutions novatrices qu’il a mises au point en matière de portée et de responsabilité et se voit récompensé par l’Architectural Conservancy of Ontario et par l’Association canadienne d’experts-conseils en patrimoine.

Après avoir achevé le rapport d’étude et de planification du DCP, le comté de Lambton et MBHC Planning élaborent un énoncé d’intégrité commémorative présentant les principaux biens du district et soulignant la « valeur humaine universelle » de celui-ci. Les différents partenaires et parties prenantes ont désormais l’intention de déposer une candidature pour faire inscrire le district sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, afin de faire reconnaître le rôle que cette région a joué dans l’histoire de l’industrie pétrolière mondiale.

Il est gratifiant de voir que le berceau industriel né des marécages arborés du Sud-Ouest de l’Ontario a été reconnu à l’échelle locale, provinciale et fédérale, et qu’il acquerra peut-être bientôt une renommée internationale. [Photos : Oil Museum of Canada (musée canadien du pétrole)]

« Visiter Oil Springs, c’est faire un pèlerinage sur les lieux qui ont vu naître l’ère du pétrole. » (Charlie Fairbank, Ordre du Canada, quatrième génération de producteurs de pétrole et résident d’Oil Springs)