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Les investissements en matière de conservation

Alan Stacey, spécialiste des métiers du bois et maître-artisan, enseigne les techniques de conservation traditionnelles au Centre du patrimoine ontarien.

Par

Sean Fraser, Erin Semande et Mike Sawchuck

Les bâtiments et l'architecture, Le patrimoine naturel, La communauté, Les outils pour la conservation

Date de publication :31 mai 2011

Photo : Alan Stacey, spécialiste des métiers du bois et maître-artisan, enseigne les techniques de conservation traditionnelles au Centre du patrimoine ontarien.

Force est de constater que les démarches de conservation de notre patrimoine restent l’exception et non la règle. L’approche sensée consistant à vivre selon ses moyens est généralement vue comme obstructionniste, négative et contraire au progrès. Dans cette optique, la conservation est bien souvent mise en concurrence avec le développement économique. Pour beaucoup, ces deux facettes semblent – à tort – inconciliables : il faudrait donc choisir de célébrer et de préserver notre patrimoine, ou alors le mettre de côté au profit du relèvement de l’assiette fiscale, de la modernisation des infrastructures et de la création d’emplois.

La conservation est un excellent investissement capable d’offrir en retour des bénéfices à long terme inégalés sur les plans écologique, culturel et financier. Des investissements considérables en matière de conservation sont déjà réalisés sous diverses formes à travers l’Ontario : citons notamment les initiatives pédagogiques et de sensibilisation, les projets de conservation intégrée ou de réfection publique de notre infrastructure patrimoniale, et les démarches bénévoles proactives. Tous ces investissements contribuent à faire de l’Ontario un endroit agréable à vivre – aujourd’hui et pour les générations futures.

La sensibilisation et l’éducation sont les piliers sur lesquels repose tout investissement dans notre patrimoine. Sans un vivier d’artisans, de maîtres d’œuvre et de professionnels compétents, il serait impossible de mener à bien un projet en matière de conservation. L’Ontario compte peu d’experts et d’intervenants – certainement bien moins qu’il n’en faudrait pour soutenir comme il convient ce secteur, au vu de l’inventaire toujours plus riche de nos biens patrimoniaux. La Fiducie du patrimoine ontarien mise sur l’éducation et propose son aide en parrainant des conférences et des ateliers, en assurant le mentorat des étudiants et en appuyant les stages et les placements coopératifs.

Plusieurs établissements postsecondaires dispensent une éducation ou une formation officielle dans le secteur spécialisé de la conservation du patrimoine culturel et naturel, notamment : l’École des arts de la restauration Willowbank (Queenston), l’Institut du patrimoine du Collège Algonquin (Perth), le Centre des ressources patrimoniales (Université de Waterloo), les programmes du Collège Fleming en gestion et conservation des musées et en technologie de gestion des écosystèmes (Peterborough), le programme de maîtrise en restauration d’œuvres d’art de l’Université Queen’s (Kingston), l’Institut d’études canadiennes de l’Université Carleton (Ottawa) et le programme de formation continue en préservation et conservation du patrimoine bâti de l’Université Ryerson (Toronto). Bon nombre de ces programmes sont en relation avec le secteur du patrimoine par le biais de partenariats conclus avec les employeurs, les municipalités, les sociétés de conseil privées et les organisations non gouvernementales. Les experts de la province en matière de conservation approchant pour beaucoup de l’âge de la retraite, il est rassurant de constater l’essor de ce type de programmes et leur capacité à répondre aux exigences en matière de formation et d’éducation.

Nous observons également une tendance vers un autre type d’investissement en matière de conservation du patrimoine culturel : le choix de sites patrimoniaux pour l’organisation d’activités ou l’implantation d’entreprises. L’usage actif des lieux historiques est l’un des meilleurs moyens de garantir leur préservation. En l’absence de destination réaliste ou envisageable dans la pratique, le destin d’un bâtiment inoccupé est souvent scellé. Dans certains cas, un locataire ou un propriétaire est prêt à investir dans un édifice historique pour tirer parti de son charme particulier. Un restaurant peut par exemple miser sur l’atmosphère authentique qui se dégage d’un lieu pour attirer la clientèle, et les artistes aiment reconvertir les bâtiments industriels en galeries en raison du choc esthétique obtenu entre l’ancien et le nouveau.

Les édifices menacés de négligence ou de démolition sont souvent identifiés trop tard, bien après les premiers dommages. Dans une dernière tentative pour les sauver, un mouvement voit parfois le jour pour demander leur désignation ou leur réaffectation. Mais cette approche a souvent peu d’espoir d’aboutir. Heureusement, de plus en plus de sites sont à présent reconvertis avant d’être en danger. En effet, un certain nombre de particuliers et d’organismes recherchent activement des sites patrimoniaux à des fins prédéfinies. Une multitude de restaurants et de brasseries en Ontario choisissent délibérément de s’installer dans des lieux historiques – maisons, moulins, églises ou encore usines. Parmi les exemples de ce type d’investissement et de stratégie de valorisation de la marque, citons The Keg Steakhouse and Bar à St. Catharines (ancienne usine Independent Rubber Co.), le Vicar’s Vice à Hamilton (ancienne église méthodiste) et le Oakland Hall Inn à Aurora (ancienne ferme). Ces anciens édifices si confortables suscitent un tel intérêt dans le secteur de l’accueil que certains n’hésitent pas à les réimplanter ou simplement à les reproduire, s’ils ne trouvent pas le lieu recherché dans leur région.

Le Lieu historique national du Canada de l’Ancien hôtel de ville de Woodstock est protégé par une servitude de la Fiducie et appartient à la municipalité de Woodstock. L’édifice a bénéficié d’une subvention de dotation destinée à financer son entretien sur le long terme.

Les investissements en matière de conservation – en particulier le financement par les deniers publics – semblent fonctionner par cycles. Idéalement, en respectant un programme d’entretien adapté, en planifiant les projets et en maintenant des efforts soutenus, on devrait assister à un flux constant d’investissements réguliers en matière de conservation. Cette conception semble toutefois contraire à l’approche adoptée dans notre société en termes de valorisation du cycle de vie des édifices. Nous sommes assaillis quotidiennement par les slogans vantant la gratuité d’entretien des produits et des technologies modernes. Si l’on se penche sur le cas des lieux historiques majeurs au Canada, on distingue clairement un schéma d’investissement coïncidant généralement avec des priorités budgétaires. Par exemple, pendant la Crise de 1929, une série de projets de création d’emplois a permis la transformation des fortifications coloniales du Canada à l’issue d’une vague de rénovations. À l’occasion des célébrations du centenaire de la Confédération en 1967, le gouvernement du Canada a lancé une campagne massive de programmes relatifs au patrimoine qui a abouti à de nouveaux placements financiers dans nos lieux historiques majeurs.

La promulgation dela Loi de 1975 sur le patrimoine de l’Ontario a ouvert la voie à une période de réinvestissement provincial par le biais de subventions destinées au patrimoine. Cette tendance a atteint son apogée dans les années 1980 et s’est poursuivie jusqu’au début des années 1990. Nombre de lieux historiques à usage institutionnel – tribunaux, hôtels de ville et autres hauts lieux municipaux – ont fait l’objet de vastes travaux de restauration destinés à étendre leur usage ou à donner de nouvelles vocations à ces sites patrimoniaux importants, mais souvent détériorés. Des années 1990 jusqu’à récemment, le gouvernement a consacré sporadiquement des fonds à la conservation du patrimoine.

Pendant cette même période, divers programmes municipaux de financement destiné au patrimoine ont été créés, et la province a apporté son soutien à des organismes sans but lucratif dans le cadre du Fonds d’encouragement à la protection du patrimoine (1999-2001). Ces dernières années, le remboursement d’impôt sur les biens patrimoniaux a constitué le principal programme incitatif durable à l’intention des propriétaires dans les municipalités ayant décidé d’y participer. Ce programme, qui permet une réduction de la fiscalité foncière de 10 à 40 pour cent, cible le secteur privé, et son administration est confiée à la discrétion de chaque conseil municipal. Face au ralentissement économique survenu à l’automne 2008, le gouvernement du Canada et le gouvernement de l’Ontario ont mis en place des encouragements financiers et un soutien en matière d’infrastructure sans précédent. Ce financement récent a profité à de nombreux sites patrimoniaux publics d’envergure. La plupart des projets sont en cours.

Ce tour d’horizon des investissements publics en matière de conservation révèle un schéma de financement générationnel – une approche qui encourage l’entretien différé en favorisant les mises de fonds ponctuelles plutôt qu’un soutien opérationnel continu. Bon nombre de propriétaires n’ont pas les moyens de maintenir en état des biens patrimoniaux ayant traversé de longues périodes d’entretien différé, et en vertu du système en vigueur, la construction de bâtiments neufs apparaît comme une option plus envisageable. La réalité économique veut que les fonds investis dans des projets de conservation soient plus rapidement injectés dans l’économie locale : l’accent étant placé sur la main-d’œuvre et la spécialisation, cela conduit à la création d’emplois à long terme. La construction de bâtiments neufs implique des dépenses bien supérieures pour l’achat de matériel et de marchandises, mais réduit la nécessité de faire appel à une main-d’œuvre qualifiée. En raison de notre incapacité à promouvoir une culture de l’entretien, nous constatons aujourd’hui la faiblesse et l’insuffisance de ce secteur d’activités. Il apparaît clairement que la meilleure forme de conservation et d’investissement passe par des mises de fonds constantes, progressives et durables.

Afin de garantir un investissement patrimonial prudent, il est essentiel d’intervenir avant la détérioration des biens du patrimoine culturel ou naturel résultant d’un manque d’entretien ou d’une quelconque action destructrice. Dans certains cas, le sauvetage d’un site est rendu possible grâce aux efforts inlassables d’une poignée de passionnés qui investissent du temps et de l’argent de façon proactive, dans le seul but de protéger, de préserver et de reconvertir les hauts lieux de leur patrimoine local bien aimé. Pour la conservation du patrimoine naturel, les bénévoles forment des fiducies foncières locales destinées à préserver du réaménagement et de la destruction des terres écologiquement fragiles, offrant des panoramas uniques. Dans le secteur du patrimoine culturel, les sections locales de The Architectural Conservancy of Ontario Inc., les sociétés d’histoire locales et les groupes de bénévoles se consacrant à des lieux historiques spécifiques jouent un rôle croissant dans le mouvement en faveur de la conservation.

Le Centre culturel et communautaire Mary Webb (anciennement l’église Highgate United Church), à Chatham-Kent.

Le Centre culturel et communautaire Mary Webb (anciennement l’église Highgate United Church), à Chatham-Kent.

En 2009, quelques particuliers vivant à Chatham-Kent se sont unis pour assurer la conservation d’un édifice désigné unique. Face à la diminution des effectifs de la congrégation, l’église historique Highgate United Church a fermé ses portes en tant que lieu de culte au mois de juin 2010. Bien avant cette date, un groupe de bénévoles locaux a fondé le Centre Mary Webb et pris contact avec la congrégation, ainsi qu’avec la Fiducie du patrimoine ontarien afin d’obtenir des conseils et une assistance technique. Un atelier spécial portant sur la conservation intégrée des édifices et une séance de remue-méninges ont été organisés par la Fiducie pendant la Conférence 2010 sur le patrimoine de l’Ontario.

Le Centre Mary Webb a élaboré un plan d’activités portant sur l’acquisition et la reconversion de l’église en centre culturel et communautaire. En décembre 2010, le Centre Mary Webb a racheté l’édifice à l’église unie. Dernièrement, le groupe a obtenu le statut d’association sans but lucratif sous le nom officiel de Centre culturel et communautaire Mary Webb. Le dépôt d’une demande d’attribution du statut d’association caritative est prévu afin que le centre puisse obtenir des subventions. L’ancienne église étant désormais sauvée, la municipalité procède à la désignation de ce haut lieu en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario.

D’autres groupes communautaires suivent de près la réussite du Centre culturel et communautaire Mary Webb. De fait, cette étude de cas peut en inspirer plus d’un et révèle avant tout l’importance d’une intervention précoce, de partenariats multiples et d’un plan d’activités bien conçu. Cet exemple illustre également l’intérêt d’entretenir de bonnes relations avec le propriétaire, au lieu de se poser en adversaire ou d’adopter une attitude conflictuelle.

L’investissement repose sur le principe que de petites actions peuvent avoir de grandes conséquences sur le long terme. Il est plus judicieux d’investir sur plusieurs générations que de façon cyclique et à court terme dans l’optique de préserver notre patrimoine culturel et naturel. Les principes applicables à la diversification d’un portefeuille financier se vérifient également pour les investissements en matière de conservation : les investissements les plus fructueux sont ceux qui misent sur la prudence, la régularité et la continuité sur une longue période. Les investissements financiers sont un aspect important en matière de conservation, mais l’éducation, le bénévolat, la volonté de conclure des partenariats, l’engagement personnel et l’intervention proactive des dirigeants communautaires jouent un rôle tout aussi capital. Investir aujourd’hui dans le secteur de la conservation est une entreprise dont les Ontariennes et les Ontariens récolteront à coup sûr les fruits à l’avenir.

Pour plus d'informations visitez le Centre culturel et communautaire Mary Webb (en anglais seulement).

Le Vicar’s Vice Restaurant and Pub (une ancienne église méthodiste), Hamilton.

Photo: Le Vicar’s Vice Restaurant and Pub (une ancienne église méthodiste), Hamilton.

Cette maison rouge, qui abrite aujourd’hui le Oakland Hall Inn, est un édifice désigné d’Aurora dont l’usage a été adapté afin de créer un restaurant, un salon et une salle de réception.

Photo: Cette maison rouge, qui abrite aujourd’hui le Oakland Hall Inn, est un édifice désigné d’Aurora dont l’usage a été adapté afin de créer un restaurant, un salon et une salle de réception.

Le Lieu historique national du Canada du Temple-de-Sharon, East Gwillimbury. Le site est protégé par une servitude établie par la Fiducie du patrimoine ontarien; l’extérieur et des fondations du bâtiment ont récemment fait l’objet de travaux de réparation.

Photo: Le Lieu historique national du Canada du Temple-de-Sharon, East Gwillimbury. Le site est protégé par une servitude établie par la Fiducie du patrimoine ontarien; l’extérieur et des fondations du bâtiment ont récemment fait l’objet de travaux de réparation.