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La fin d’une époque
Les années ayant précédé la Grande Guerre sont souvent idéalisées et perçues comme une succession de garden-parties, de promenades dans le parc le dimanche après-midi fréquentées par une société strictement répartie en classes sociales qui met tout de côté à l’heure du thé. C’est la dernière époque à porter le nom d’un monarque britannique, Édouard VII (1901-1910), bien que les sentiments qui la caractérisaient aient perduré bien après la mort de ce dernier, jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.
Mlle Mable Davis (à l’extrême droite) avec ses collègues au bureau de la Toronto Railway Company, en 1903
Nous semblons en savoir long (ou plutôt penser en savoir long) sur la population édouardienne grâce au portrait qui en est dressé par la culture populaire dans Titanic ou Downton Abbey et par les émissions de téléréalité historiques Edwardian Farm et Manor House. Mais à quoi ressemblait la vie d’un Ontarien ou d’une Ontarienne ordinaire à l’époque édouardienne? Comment les sentiments et attitudes propres à cette dernière se sont-ils manifestés? Pour répondre à ces questions, nous avons fouillé dans la collection d’archives de la Fiducie pour y trouver les dossiers personnels détaillés d’une famille torontoise appartenant à la classe moyenne de l’époque.
La Fiducie possède et gère le domaine Ashbridge, à Toronto, et a la chance de disposer d’une importante collection d’archives associée à la famille. La famille Ashbridge a vécu dans la région de Toronto dès la fin du XVIIIe siècle, mais une grande partie de la collection illustre la vie de ses membres précisément durant cette période ayant précédé la Première Guerre mondiale.
La cour de Wellington Ashbridge (1869-1943) auprès de sa future épouse Mabel Davis (1879-1952) est dépeinte dans une série de lettres révélatrices. Le couple fait connaissance à la Queen Street Methodist Church, à proximité de leurs demeures des quartiers Est. Ils s’écrivent alors que Wellington travaille comme ingénieur civil à Edmonton, de 1902 à 1903. Ces lettres de séduction mettent en lumière le tempérament réservé et désuet qui règne alors. Ils ne commencent à s’adresser l’un à l’autre par leur prénom qu’après des mois de correspondance et des fiançailles officielles. Si les lettres témoignent de l’amour et de l’affection qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, elles donnent également un aperçu fascinant de la vie au sein de la classe moyenne à l’époque édouardienne.
Pour une jeune femme, Mabel a de nombreuses responsabilités. Avant son mariage avec Wellington, elle travaille de longues heures dans les bureaux de la Toronto Railway Company au poste de « commis à la caisse n° 3 », prenant souvent le tramway de son domicile de banlieue pour aller travailler, et se liant d’amitié avec ses collègues du même sexe. Elle aide à prendre soin de sa mère, dont la santé mentale est fragile. Les lettres expriment les tourments qu’elle endure pour prendre la décision d’envoyer sa mère dans un asile, qui est alors la seule alternative (à la garde familiale).
Sa mère souffrante, Mabel s’occupe du ménage et prend souvent du retard dans les corvées; elle souligne à maintes reprises qu’elle est épuisée. Elle en vient à régler son réveil à 3 h 30 pour finir la lessive de la veille avant de partir au travail.
Mabel apprécie les activités récréatives typiques, comme jouer de l’orgue, aller à la messe et assister aux événements mondains, fabriquer des chapeaux, se promener, rouler dans la nouvelle « décapotable », s’asseoir sous la véranda avec des amis, aller au théâtre et, bien entendu, « prendre » le thé, activité édouardienne parmi les plus stéréotypées.
Après leur mariage, Mable et Wellington déménagent dans l’Ouest, où naissent leurs deux filles : Dorothy en 1905, et Winifred dite « Betty » en 1907. En 1913, Wellington retourne à Toronto avec sa jeune famille pour superviser le lotissement et la vente des propriétés foncières de la famille Ashbridge aux fins d’aménagement de la banlieue. C’est un épisode typique de cette période d’urbanisation galopante.
Dorothy et Betty n’ont laissé que peu de témoignages directs datant d’avant la guerre. Cependant, les livres de comptes détaillés de Mabel permettent de recueillir des renseignements sur leur enfance. Elles jouissaient d’aises auxquelles peu d’enfants avaient alors accès, telles que des nouvelles robes, des manteaux, des livres et des leçons de musique. Nous savons également qu’elles s’adonnaient à des activités populaires auprès des enfants de l’époque, notamment l’échange de cartes de Saint-Valentin, usage qui s’est démocratisé à la fin de l’ère victorienne.
La famille Ashbridge se souvient et rend compte des années d’avant-guerre avec tendresse, la plupart de ses membres les ayant vécues durant leur jeunesse. Dans une lettre à Wellington, Mabel partage le poème suivant, présenté lors d’un concours :
« (Il n’est pas donné à l’homme de connaître l’avenir
Ou cette course qu’est la vie ne serait que confusion,
Mais c’est petit à petit, en travaillant dur sans faillir
Qu’au faîte même de la grâce s’achèvera son ascension) » [Traduction libre]
Ces lignes véhiculent clairement un sentiment d’optimisme, de progrès et de piété que nous pourrions qualifier de typique de l’époque. Pourtant, comme l’histoire allait le prouver, l’espoir exprimé par Mabel, indubitablement partagé par de nombreux membres de la société, ne tarderait pas à être mis à rude épreuve par les horreurs de la guerre moderne. [Toutes les images sont reproduites avec l’aimable autorisation de la collection Ashbridge de la Fiducie.]