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Structure et fonction : l’impact de la liturgie, du symbolisme et de l’usage sur la conception architecturale

Auld Kirk à Mississippi Mills, bâtie en 1836, constitue l’un des premiers exemples d’une église presbytérienne érigée en Ontario

Photo : Auld Kirk à Mississippi Mills, bâtie en 1836, constitue l’un des premiers exemples d’une église presbytérienne érigée en Ontario

Par

Vicki Bennett

Les bâtiments et l'architecture, La communauté

Published Date: sept. 10, 2009

Au cours du XIXe siècle, l’emplacement, l’état matériel et les mérites stylistiques des églises constituaient aux yeux du public des indicateurs fiables de la valeur d’une communauté, sa fibre morale et de son éthique du travail. Le fait de construire une église suggérait un potentiel de stabilité, de croissance, voire de prospérité. Aujourd’hui, les historiens se fondent sur les mêmes critères pour établir comment une communauté donnée abordait des problématiques aussi variées que la liturgie, l’autorité gouvernant l’église et les questions d’ordre politique.

Les nombreuses communautés de confession chrétienne qui existaient dans l’Ontario du XIXe siècle pouvaient généralement être classées dans l’une des deux catégories de foi suivantes : les catholiques, placés sous l’autorité de Rome, et les anglicans et les mouvements religieux non conformistes (par exemple les protestants qui n’étaient pas membres de l’Église anglicane), qui jouissaient traditionnellement d’une plus grande indépendance congrégationnelle.

L’architecture des églises catholiques, vieille de plus de 1 500 ans, était étroitement réglementée par la hiérarchie ecclésiastique. Les caractéristiques architecturales étaient dictées par les besoins liturgiques du rite eucharistique catholique. En effet, l’aspect sacrificiel de la messe catholique exigeait la présence d’un sanctuaire, souvent sous la forme d’une abside en hémicycle comportant un autel. Les sacristies, c’est-à-dire les petites structures annexes flanquant le sanctuaire, abritaient les vases sacrés et les vêtements sacerdotaux entre les offices.

Les catholiques se réunissaient dans des édifices dotés d’une nef centrale de forme oblongue, qui accueillait les processions rituelles, et de nefs latérales qui permettaient aux fidèles de parcourir le chemin de Croix. La statuaire de piété, les tableaux et les vitraux constituaient autant d’éléments nécessaires à une église catholique digne de ce nom. Bien que les éléments structurels et ornementaux varient en fonction du statut socioculturel de la congrégation, la marque distinctive de l’architecture catholique résidait toujours dans l’homogénéité de la structure liturgique.

Certains aspects de l’architecture de St. Stephen-in-the-Field, une église anglicane à Toronto, témoignent de l’influence néo-gothique religieuse

Les églises anglicanes et non conformistes érigées en Ontario au début du XIXe siècle étaient caractérisées par leur structure uniformément austère, qui découlait autant d’une conviction religieuse que d’un manque de moyens ou de ressources. Dans leur forme la plus dépouillée, le seul élément conférant à ces premières églises le statut de lieu de culte était leurs hauts murs et leurs vastes fenêtres. Les bâtiments ecclésiastiques étaient de taille modeste, et les cérémonies consistaient avant tout à venir écouter la parole divine. Les ministres du culte lisaient les textes sacrés et prêchaient depuis une chaire placée au centre de l’axe de l’église. Bien souvent, l’église était dépourvue de toute reproduction figurative et de vitraux; même les crucifix étaient en général absents, car ils étaient considérés comme des symboles de superstition et d’idolâtrie.

Entre la fin des années 1830 et le début des années 1840, un nouveau mouvement émerge en Angleterre, un courant qui va transformer profondément et irrévocablement l’architecture des églises de l’Ontario. L’ecclésiologie anglicane, qui souhaite revenir à ce qu’elle considère comme l’âge d’or de la spiritualité idyllique et de la pureté nationale, prêche en faveur d’un retour massif et archéologiquement conforme à l’architecture et au symbolisme anglais gothiques du XIIIe siècle. Les bâtisseurs des églises se voient contraints d’y adjoindre des porches, des nefs, des chœurs, des sacristies et des fonts baptismaux octogonaux en pierre. Les églises étaient d’une longueur équivalente à trois fois leur largeur, et comportaient des murs latéraux peu élevés et une toiture fortement inclinée. À cette époque, le courant néo-gothique s’étend dans une certaine mesure aux constructions réalisées en Ontario par presque toulés les autres confessions religieuses.

La Cathédrale Notre-Dame d’Ottawa, une basilique catholique, a modifié son sanctuaire afin de créer un espace plus intime suite à l’adoption du Concile Vatican II

La Cathédrale Notre-Dame d’Ottawa, une basilique catholique, a modifié son sanctuaire afin de créer un espace plus intime suite à l’adoption du Concile Vatican II

Parallèlement à la réémergence des motifs gothiques dans l’architecture religieuse, certaines voix s’élèvent pour protester contre la réintroduction des rites convenant plutôt aux églises médiévales. L’Église méthodiste, qui voit le nombre de ses fidèles augmenter de façon constante, et qui s’inquiète du lien unissant ce style historique et les anciens rites catholiques, décide de construire des églises s’inspirant d’une Auld Kirk à Mississippi Mills, bâtie en 1836, constitue l’un des premiers exemples d’une église presbytérienne érigée en Ontario conception en amphithéâtre. Avec ses sols inclinés et ses balcons situés à l’étage, l’ensemble n’est pas sans rappeler les salles de concert contemporaines. Le plan en amphithéâtre renforce la distance séparant l’assemblée des fidèles et les personnes participant activement à la liturgie, mais améliore sensiblement la visibilité et l’acoustique. La chaire, la table de communion, l’orgue et le chœur sont placés sur un sanctuaire surélevé à la façon d’une scène, et sont ainsi mis en évidence. Ces changements constituent une toute nouvelle façon de penser l’espace liturgique méthodiste, et séduisent rapidement les communautés presbytériennes et baptistes.

Dans le même temps, les catholiques, dont les églises sont généralement conçues sur le modèle des églises gothiques françaises, commencent à s’inquiéter du fait que le style gothique puisse être associé au protestantisme. Cette inquiétude, à laquelle s’ajoute une allégeance renforcée à l’autorité papale à la suite de la ratification du Concile Vatican I (1862-1870), conduit les catholiques à adopter un style architectural italianisant. Ce style se caractérise par une façade imposante, démesure que l’on retrouve également dans la structure du maître-autel, les fenêtres cintrées et l’abondance des détails d’inspiration classique. C’est seulement après l’adoption du Concile Vatican II (1962-1965) que l’architecture catholique connaît des changements radicaux. Les façades et les espaces intérieurs deviennent plus intimes. Les officiants font face à la congrégation et célèbrent la messe depuis des autels de dimensions plus modestes, placés tout près de l’entrée du sanctuaire. Ces transformations coïncident avec l’émergence d’une tendance « modernisante » qui touche toutes les confessions dans les années 1960, et qui se traduit par le recours à des motifs originaux et par l’emploi de nouveaux matériaux. Malheureusement, bon nombre d’anciennes églises ont été « remises au goût du jour » avant que leur valeur patrimoniale puisse être estimée.