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Walkerville : le patrimoine d’une ville de compagnie

Foxley – La résidence Ambery-Isaacs, construite par Albert Kahn, Devonshire Road (photographie reproduite avec l’aimable autorisation de Pat Malicki)

Les bâtiments et l'architecture, La communauté

Date de publication : févr. 11, 2010

Photo : Foxley – La résidence Ambery-Isaacs, construite par Albert Kahn, Devonshire Road (photographie reproduite avec l’aimable autorisation de Pat Malicki)

Walkerville figure au nombre – de plus en plus réduit – des villes de compagnie du XIXe siècle. Elle fait partie de la ville de Windsor depuis 1935 et demeure un exemple frappant de ce qui peut se produire quand un industriel visionnaire décide d’ajouter quelques acres de terre agricole française à son fief.

Cet industriel était Hiram Walker, un garçon de ferme du Massachusetts doté d’un bel esprit d’entreprise, qui s’essaie au commerce de gros, puis ouvre une distillerie de vinaigre à Détroit. Cette distillerie est établie sur les berges de la rivière du même nom, et c’est en regardant vers l’autre rive, en direction des petites exploitations agricoles canadiennes, que Walker se rend compte que son avenir lui tend les bras. Il n’est pas difficile de convertir une distillerie de vinaigre en distillerie de whisky, et Hiram passe à l’acte en 1858. La distillerie Hiram Walker & Sons devient vite légendaire, notamment pour sa marque de whisky Canadian Club.

La partie est du centre-ville de Windsor héberge un quartier pittoresque que ses habitants persistent à appeler Walkerville. Formé d’environ quatre pâtés de maisons, celui-ci s’étend de la rive de la rivière Détroit, où est érigée la distillerie, jusqu’à la rue Ottawa, située plus au sud, et il est délimité à l’ouest par Lincoln Road et à l’est par Walker Road. Mais la frénésie d’acquisition immobilière de Walker ne s’arrête pas aux limites de la ville. En effet, les terrains détenus par l’Américain finissent par déborder de plus d’un mille vers le sud. Les Fermes Walkers y sont construites, et leurs cultures fournissent des cônes de houblon (pour la future brasserie), du maïs et du seigle (destiné à la fabrication du whisky). Walker se met également à élever des porcs, car ceux-ci consomment l’empâtage résultant du processus de distillation.

Érigée sur le modèle d’une cité-jardin anglaise, la ville de compagnie propose de modestes logis aux employés de la distillerie. Ces habitations sont situées à proximité du centre industriel de la rue Walker. Le quartier résidentiel comprend des rues parallèles (Monmouth et Argyle) flanquées de petits chalets, de maisons en rangée de type quadruplex et d’habitations jumelées. Notons qu’il était obligatoire pour les employés de Walker de loger, pour un loyer modique, dans une habitation fournie par la société. Ironie du sort : il leur était également interdit de consommer la moindre goutte d’alcool – les forces de police de Walker y veillaient.

La Walkerville Land and Building Company, administrée par Walker & Sons, fait appel à de prestigieux cabinets d’architecture. D’entrée de jeu, le choix de Hiram Walker se porte sur le cabinet Mason & Rice, une célèbre firme de Détroit qui avait construit les magnifiques bureaux administratifs de la société en 1892. Au début des années 1890, l’entrepreneur américain fait bâtir de beaux duplex le long de Devonshire Road, à l’intention du clergé et de la direction intermédiaire. (De surcroît, Hiram Walker fait construire l’église municipale sur Riverside Drive, équipe la ville d’un tramway et dote la gare d’un hôtel.) Plus loin à l’intérieur des terres se trouvent d’élégantes résidences destinées aux classes supérieures, comme les directeurs et les administrateurs des nombreuses sociétés Walker. Contrairement à ses fils, Hiram Walker n’a jamais résidé à Walkerville mais faisait le trajet tous les jours en traversier, depuis Détroit.

Les bureaux administratifs de Hiram Walker (aujourd’hui reconvertis en musée) sont l’œuvre d’Albert Kahn (photographie reproduite avec l’aimable autorisation de Pat Malicki)

Photo: Les bureaux administratifs de Hiram Walker (aujourd’hui reconvertis en musée) sont l’œuvre d’Albert Kahn (photographie reproduite avec l’aimable autorisation de Pat Malicki)

L’intérieur du manoir Willistead, un bâtiment construit par Albert Kahn (photographie reproduite avec l’aimable autorisation de Pat Malicki)

Photo: L’intérieur du manoir Willistead, un bâtiment construit par Albert Kahn (photographie reproduite avec l’aimable autorisation de Pat Malicki)

Edward Chandler Walker, le « fils numéro un », a fait bâtir une somptueuse demeure en 1909 et l’a baptisée Willistead, en hommage à feu son frère aîné, Willis. De nos jours, Willistead demeure la plus belle résidence de la région. Pour réaliser ce qui constituait à ses yeux l’expression physique de sa valeur personnelle, Chandler fait appel à Albert Kahn, l’extraordinaire dessinateur du cabinet Mason & Rice. Albert Kahn est le fils d’un rabbin immigrant de nationalité allemande. Sa collaboration avec l’industrie automobile – alors à ses tout débuts – lui assure une renommée mondiale. Il conçoit de nombreux bâtiments prestigieux ainsi que des usines innovantes, très lumineuses, aussi bien sur le continent américain qu’à l’étranger.

Avec l’appui financier du gouvernement, Hiram Walker construit le chemin de fer Lake Erie, Essex and Detroit River Railway afin de faciliter le transport des divers produits fabriqués dans son empire industriel, y compris l’alcool, auquel il fait franchir la frontière américaine même durant la Prohibition, en profitant d’un vice de forme. Hiram Walker et ses fils ont même eu l’idée de bâtir une station estivale dans la ville de Kingsville, au bord du lac Érié, à l’intention des habitants de Détroit désireux de s’échapper d’une ville en plein développement pour aller se détendre sur des plages ensoleillées. Baptisé le Mettawas Hotel, ce lieu de villégiature possède sa propre gare, un bijou d’architecture conçu par Mason & Rice. Un service de traversier privé conduisait directement les estivants de la rive de Détroit au débarcadère de l’hôtel, d’où ils pouvaient rejoindre l’élégante gare et la rue principale de la ville, Devonshire Road (qui a depuis été démolie pour laisser placer au Chesapeake & Ohio Railway).

En 1904, les fils Walker décident de bâtir une église en plein cœur de la ville. Cette structure magnifique en pierre rend hommage à leur mère, dont elle porte le nom – St. Mary’s Anglican Church. Les plans de l’église sont dessinés par les architectes Cram Goodhue et Ferguson, de Boston et de New York, qui lui confèrent un style architectural évoquant celui d’une église campagnarde anglaise. Sa façade arbore de discrets éléments gothiques.

Au fil des années, Walkerville a vu disparaître certains de ses plus beaux bâtiments, dont ceux abritant la distillerie. Néanmoins, son charme pittoresque continue d’attirer les acheteurs avisés en quête de belles propriétés anciennes, à l’architecture soignée, nichées sur de vastes terrains paysagers, conçues dans des matériaux nobles et dans le respect de techniques de construction éprouvées. Walkerville demeure le plus beau quartier de Windsor.

Pour découvrir Walkerville en images, rendez-vous sur le site Web de la ville de Windsor (en anglais seulement).