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Conservation du patrimoine : neufs preuves de son atout économique

Comté de Loudoun, Virginie, É.-U.A.

Par

Donovan Rypkema

L'économie du patrimoine, L'archéologie, La communauté

Date de publication :01 oct. 2019

Photo : Comté de Loudoun, Virginie, É.-U.A.

Généralement, les partisans de la conservation du patrimoine soulignent entre autres le caractère architectural, la portée culturelle, l’intérêt social et la qualité esthétique des édifices historiques – des valeurs plus essentielles que jamais.

Ces dernières années, les chercheurs ont cependant aussi montré l’impact significatif de cette démarche sur l’économie locale. Certes, il ne s’agit pas, à juste titre, d’en affirmer la prédominance sur ces autres valeurs, qui revêtent une bien plus grande importance à longue échéance. Mais, comme a déclaré un jour le grand économiste britannique John Maynard Keynes : « À long terme, nous serons tous morts. » Le sort des édifices du patrimoine est souvent décidé par des individus concentrés sur l’avenir proche – politiciens, urbanistes, banquiers, propriétaires fonciers et autres promoteurs immobiliers, notamment. Il faut ainsi leur en démontrer l’atout économique.

La majorité des recherches sur cet aspect du patrimoine a été effectuée au Royaume-Uni, au Canada, en Australie et aux États-Unis. Toutefois, les « neuf preuves » énumérées ci-dessous sont basées principalement sur celles réalisées aux États-Unis par notre entreprise ces dernières années.

Au cours des trois dernières décennies, de nombreuses études se sont penchées sur l’impact économique de la préservation historique, généralement au niveau des états fédérés, dont 20 à 25 en ont commandité. Indépendamment des responsables de ces études, quatre grands impacts se sont dégagés dans la plupart des cas :

  1. Emplois et revenu. Le processus de restauration historique exige une main-d’œuvre abondante, qui touche une part du budget alloué en général bien plus large que dans le neuf. On enregistre ainsi un meilleur impact au niveau local, mesuré sur la base du nombre d’emplois nécessaires et du montant du revenu des ménages pour un investissement total de la même somme.
  2. Préservation historique et revitalisation du centre-ville. Depuis 20 ans, les centres-villes – de grandes et de petites municipalités – connaissent une renaissance à travers toute l’Amérique du Nord. Aux États-Unis, au moins, quasiment tous les cas de réussite durable résultent d’une stratégie de revitalisation axée principalement sur la restauration d’édifices historiques.
  3. Tourisme patrimonial. D’après des résultats cohérents établis aux États-Unis et dans d’autres pays, les visiteurs intéressés par le patrimoine restent plus longtemps, déboursent davantage par jour et se rendent dans plus de lieux que les touristes de manière générale. Par ailleurs, nos études montrent qu’ils consacrent plus d’argent à chacune des cinq catégories de dépenses touristiques – logement, alimentation et boisson, transports locaux, achats au détail et divertissement.
  4. Districts historiques et valeurs de l’immobilier. Il s’agit de l’aspect le plus analysé de la relation entre patrimoine et économie – dans toutes les régions des États-Unis, par différents chercheurs et à l’aide de méthodologies variées. Et chose surprenante, les résultats sont particulièrement cohérents. Les propriétés situées dans des districts historiques surpassent le marché, qu’il s’agisse de comparer ces derniers à des zones similaires non désignées, au marché dans son ensemble ou à eux-mêmes avant leur désignation. Les allégations selon lesquelles les districts historiques et la réglementation supplémentaire afférente nuisent aux valeurs de l’immobilier ont tout simplement été démenties. À l’Université de Waterloo, Robert Shipley a établi des modèles similaires dans des villes canadiennes.

    Comme mentionné ci-dessus, la plupart des études réalisées aux États-Unis au cours des trois dernières décennies portait sur les États fédérés. Les quatre ou cinq années passées, nous avons cependant mené des études sur l’impact de la préservation historique au niveau municipal. Pour y parvenir, nous nous sommes appuyés sur trois éléments : (1) la disponibilité de mégadonnées; (2) la possibilité de transposer des données numériques sous forme graphique grâce au SIG; et (3) le constat de partisans locaux selon lequel la seule véritable protection des ressources patrimoniales des États-Unis intervient au niveau des collectivités. Ces études municipales ont étayé l’impact économique de la préservation historique.
  5. Modèles de saisie immobilière. Dès la fin 2007 et pendant trois ou quatre ans quasiment partout, les États-Unis (et la majeure partie du monde) ont connu le plus grand effondrement économique depuis deux générations. L’impact négatif le plus important de la Grande Récession a concerné les valeurs immobilières. Suite à cet événement, des millions de familles ont perdu un bien irremplaçable : leur logement. Nous avons analysé les modèles de saisie immobilière dans les districts historiques locaux de plus de 30 villes à travers le pays. Chaque fois, les taux de saisie immobilière étaient inférieurs, généralement de loin, à la moyenne municipale. D’ailleurs, il convient de noter que ce phénomène ne reflète pas une présence exclusive de riches dans ces zones. Qu’elles se trouvent dans des quartiers aisés ou défavorisés, les maisons situées dans des districts historiques ont fait l’objet d’un bien moins grand nombre de saisies.

    Tableau : saisies immobilières à Nashville
    Tableau : saisies immobilières à Nashville
  6. Force des marchés haussiers et baissiers. L’élément ci-dessus a été associé au modèle de changement des valeurs immobilières sur les marchés haussiers et baissiers. Dans le cadre de plusieurs études, nous nous sommes intéressés à l’évolution de ces valeurs avant, pendant et après l’effondrement du marché immobilier. Le modèle général est le suivant : sur les marchés haussiers, la valeur des propriétés situées dans des districts historiques augmente plus rapidement que la moyenne municipale. Sur les marchés baissiers, la baisse de leur valeur est plus tardive et plus légère, tandis que le redressement survient plus tôt. Sur les marchés en reprise, la valeur commence à augmenter plus rapidement et retrouve son niveau d’avant la récession plus tôt que le reste de la ville.
  7. Petites et jeunes entreprises. Le domaine de l’analyse économique comprend le concept de « préférence révélée », selon lequel les préférences du marché sont dévoilées non pas grâce à des études mais plutôt à des décisions. Nous nous sommes basés sur cette théorie pour examiner celles des petites et des jeunes entreprises. New York, Indianapolis, Savannah et Raleigh : aussi diverses que ces villes soient, une part disproportionnée de nouvelles et de petites entreprises a choisi de s’implanter dans des districts historiques locaux.
  8. Entreprises axées sur la connaissance et la créativité. Ce qui est vrai pour les petites et les nouvelles entreprises l’est également pour celles dont les activités s’articulent autour de la connaissance et de la créativité. La part d’emplois se trouvant dans des districts historiques est plus importante chez ces entreprises qu’au sein de la population active globale.

    Tableau : emplois à Saratoga Springs
    Tableau : emplois à Saratoga Springs
  9. Milléniaux et logement. La National Association of Realtors établit régulièrement des modèles générationnels chez les acquéreurs de logement. Dans sa dernière étude, elle indique que les milléniaux (qui constituent désormais le plus grand groupe démographique des États-Unis, devant les enfants de l’après-guerre) ont acheté 34 p. 100 de tous les logements, 44 p. 100 des logements construits entre 1913 et 1960 et 59 p. 100 des logements construits avant 1913. Nous en avons conclu qu’ils avaient pris leur décision en tenant compte du coût, du caractère et de la commodité.
Dubuque, projet de l’Iowa, É.-U.A.

Photo: Dubuque, projet de l’Iowa, É.-U.A.

Quartier historique, Louisville, Kentucky, É.-U.A.

Photo: Quartier historique, Louisville, Kentucky, É.-U.A.

D’autres éléments liés aux édifices et aux districts historiques présentent un atout économique indirect. On compte parmi eux l’optimisation du potentiel piétonnier, une densité de population à échelle humaine, la réduction des impacts environnementaux associés au déroulement et à la prévention des démolitions, l’amélioration des modèles d’utilisation des transports publics et la diversification au sein des quartiers.

Quoi qu’il en soit, une leçon s’impose : plusieurs atouts du patrimoine bâti relèvent du long terme, mais sa contribution économique à court terme peut être bénéfique à quasiment toutes les villes. [Photos avec l’aimable autorisation de Donovan Rypkema]